Le bilan 2020 de la rédaction

Tournées reportées, festivals annulés, sorties d’albums repoussées… 2020 a été rude pour les musiciens, et pour toute la culture en général. Peu soutenue par nos dirigeants, elle a été l’un des grands perdants de la crise sanitaire. Cette année noire a tout de même été éclairée par quelques beaux albums et quelques belles prestations scéniques, en « distanciel » ou en « présentiel », pour employer ce piètre jargon qui, du jour au lendemain, a été sur toutes les lèvres…

Chromatique vous propose donc un bilan de la rédaction pas tout à fait complet, avec quelques trous, à l’image de ce qu’a été 2020 pour la musique.

  • Chrysostome Ricaud

Les albums de l’année

1 : Andy Emler – No Solo

2 : Wobbler – Dwellers of the deep

3 : Skald – Viking memories

4 : Laura Perrudin – Perspective & Avatars

5 : Bon Voyage Organisation – La Course

6 : Jehnny Beth – To Love is to live

7 : Le Grand Sbam – Furvent

8 : Motorpsycho – The all is one

En 2020, contrairement aux deux années précédentes, il m’a été difficile de trouver 10 albums qui m’ont vraiment marqué. Le monde du jazz a proposé de très beaux projets (Paul Lay qui revisite l’histoire du jazz avec Isabel Sörling sur Deep Rivers, Sophie Alour qui part à la rencontre de la musique arabe sur Joy, David Neerman qui fait cohabiter une chanteuse soul, un ensemble vocal de musique contemporaine et des idophones de monde entier sur Noir Lac) mais aussi intéressants soient-ils, aucun d’entre eux ne m’a autant touché que la beauté du No Solo d’Andy Emler. Pour son troisième album, Laura Perrudin a, semble-t-il, totalement délaissé le jazz dont elle est issue, mais qu’importe puisque l’art pop qu’elle pratique sur Perspective & Avatars est à la hauteur de ses représentants les plus inspirés. S’il n’a rien à voir stylistiquement, c’est aussi du côté de l’art pop qu’il faudrait ranger le premier album solo de Jehnny Beth, la chanteuse française d’un groupe anglais (Savages) qui ne m’avait pas laissé entrevoir l’étendue de son talent. Belle surprise également avec le deuxième album de Bon Voyage Organisation qui excède tous les espoirs que pouvaient laisser entrevoir le premier. D’autres ont confirmé tout le bien qu’on pensait déjà d’eux, comme Skald qui continue, avec son deuxième album, un sans-faute dans son univers de vikings fantasmé. Ou encore les Norvégiens Wobbler qui, spécialisés dans l’imprégnation du rock prog de l’âge d’or, ont enregistré avec Dwellers of the deep le meilleur album de leur carrière. Leurs compatriotes, les vétérans de Motorpsycho ont sorti une étrangeté, avec un double album pas toujours inspiré au milieu duquel se trouve pourtant une suite jazz-rock-prog magistrale de 43 minutes, qui justifie à elle toute seule qu’on en parle ! Pour finir, saluons l’œuvre ambitieuse du collectif Le Grand Sbam qui réussit le tour de force d’être expérimentale et débridée sans en devenir imbitable. Une vraie pépite à conseiller aux amateurs d’avant-prog.

Les concerts de l’année

1 : Electro Deluxe – L’Observatoire, Cergy, 28 février 2020

2 : Guillaume Perret – Points Communs, Pontoise, 5 décembre 2020 (stream)

3 : Minimum Vital – Concert in Vital Musique (stream)

2020 m’aura tout juste laissé le temps d’aller voir un concert. Par chance, c’était un excellent concert de funk jazzy, et si je le mentionne ici ce n’est pas faute de mieux mais bien pour sa qualité. En cette année bien particulière, beaucoup d’artistes nous ont offert des concerts en streaming. J’avoue ne pas en avoir vu beaucoup, mais je me suis régalé avec celui de Guillaume Perret, que j’avais initialement prévu d’aller voir en salle avant que les événements n’en décident autrement.

L’espoir de l’année : Shaman Elephant – Wide Awake But Still Asleep

Cela semble devenir une habitude (cf. mon bilan de l’an dernier) : mon espoir de l’année est un groupe norvégien. Avec déjà deux très bons albums à leur actif, les musiciens de Shaman Elephant laissent entrevoir tellement de talent qu’on les sent capables de produire un chef d’œuvre ! On va donc tâcher de ne pas les perdre de vue…

La déception de l’année :

La palme revient bien évidemment à ce satané virus qui a déprogrammé tant d’artistes, et plus particulièrement l’édition 2020 du festival Jazz au fil de l’Oise pour laquelle je me faisais une joie d’aller voir Noir Lac, Paul Lay, Guillaume Perret, Naïssam Jallal, et Andy Emler avec Ballaké Sissoko.

L’initiative de l’année :

Karisma Records, en rééditant l’intégrale de Ruphus, m’a fait découvrir un groupe de jazz fusion des années 70 dont les deux meilleures productions ont toute leur place dans la discothèque des amateurs du genre. Si on ajoute à cela que ce label norvégien est à l’origine de mon espoir de l’année et d’un de mes albums de l’année, il mérite à plus d’un titre d’être mentionné pour ses excellentes initiatives !

  • Florent Canepa

Les albums de l’année

1 : Pain of Salvation – Panther

2 : Pure Reason Revolution – Eupnea

3 : Airbag – A day at the beach

4 : Green Carnation – Leaves of yesteryear

5 : Gravity Machine – Red

Panther continue de rugir en nous comme un cri primal, à la fois organique et mécanique. Le coup de griffe de Pain of Salvation ? L’album résonne plus fort encore au fil des écoutes et se place au cœur de la réinvention globale du groupe qui en est l’instigateur. En deuxième position, le retour tant attendu (en tous cas par certains membres de la rédaction !) de Pure Reason Revolution, en hiatus mais réanimant son vivifiant mélange d’électronique et de progressif, brassant plusieurs décennies d’influences et rythmant à la fois les dancefloors et les neurones. Après ce duo de tête, rien de tel qu’une pause en bord de plage avec les atmosphériques Airbag qui conjuguent le calme de la forme et la puissance du propos dans une bande son contemplative mais jamais passive. Autre hiatus, autre retour en force avec les Norvégiens de Green Carnation, mélodique et martial, où les accents doom côtoient l’élégance métal. Pour clore ce top d’une année étrange et frustrante mais finalement riche, le duo fascinant Gravity Machine qui fait flirter en toute connivence le folk, l’alternatif, le groove et la pop avec une voix et une voie uniques. Ces injonctions contradictoires inciteront l’auditeur à patienter plusieurs écoutes avant de tirer toute la sève de Red.

Les concerts / live streams de l’année

1 : Ultra Vomit – Live in Corona Virus, 13 mars 2020

2 : The Legendary Pink Dots – Petit Bain, Paris, 20 février 2020

3 : Guillaume Perret – A certain Trip, Jazz au fil de l’oise, 5 décembre 2020

Bien entendu, comment juger une année sur seulement un trimestre “autorisé” pour applaudir nos groupes fétiches ? Entre annulation des festivals d’été et reports des tournées, il faudra encore patienter pour ressentir l’émotion musicale au sein d’une foule… Merci, cela dit, aux potaches Ultra Vomit, qui ont été l’un des premiers groupes à dégainer un concert virtuel sur les réseaux sociaux. Véritablement “live” et plein d’humour, le Live in Corona Virus résonne comme le dispositif d’une époque mais avec tout ce qu’il faut de recul immédiat pour en rire ou en tous cas en sourire, tout en remuant la tête. Juste avant, dans le monde d’avant, il y avait eu les psychédéliques et indispensables Legendary Pink Dots qui avaient fait exploser le Petit Bain de leurs décibels lunaires et de leurs comptines hallucinogènes. Une apesanteur prolongée en fin d’année par Guillaume Perret qui a eu la lumineuse idée, en collaboration avec le festival Jazz au fil de l’Oise, de diffuser en direct son concert, sans public mais plein d’émotions. A certain trip, en effet.

L’espoir de l’année : Völur

Un peu comme Heilung en son temps, les sinistres tout autant qu’inspirés Völur, transforment la musique en incantation au cœur de quatre titres obsédants. S’il devait rester une trace discographique du confinement, ce serait peut être celle-ci qui alterne évasion insensée et enfermement indécent et saisit l’auditeur du haut de ses cris ou de ses murmures. L’année nous a été volée mais nous a donné Völur.

La déception de l’année : Le hiatus d’Anathema

Assumer ce choix comme déception de l’année tout en descendant allègrement leurs derniers essais discographiques, n’est ce pas un drôle de paradoxe me direz-vous ? En réalité non, car la fin (ou en tous cas le hiatus) d’Anathema assène cruellement la difficulté de certains groupes ou artistes (même reconnus et vendeurs !) à survivre lorsqu’un coup aussi dur leur est porté. Sans scène, pas de vie, pas d’envie et pas de revenus. C’est triste d’autant plus que l’histoire se ponctue avec un goût amer, artistiquement parlant.

L’initiative de l’année : Le retour de Liquid Tension Experiment

Parce que Liquid Tension Experiment, c’est aussi un symbole. Celui de la désinvolture, de la musique qui se prend la tête sans se prendre la tête, celui d’une époque plus décontractée et qui nous invite donc peut-être à un retour à la normale… Les quatre cavaliers de l’instrumentation délirante mais maîtrisée nous ont annoncé leur retour en fin d’année et on y voit presque une note d’optimisme, portée par l’énergie débordante de Portnoy, le flegme de Levin, la rigueur de Petrucci et la fantaisie de Rudess. Des ingrédients qui devraient nous aider à transcender la crise, peut-être…

  • Jean-Philippe Haas

Les albums de l’année

1 : Artús – CERC

2 : Vincent Peirani et Émile ParisienAbrazo

3 : Valentin et Théo CeccaldiConstantine

4 : Plus 33 – Open Window

5 : Ghost Rhythms – Imaginary Mountains

Malgré une année catastrophique pour la culture et le spectacle vivant en particulier, quelques belles choses ont réussi à voir le jour, à se frayer en chemin entre les gouttes d’une pluie de mesures sanitaires relevant parfois de l’amateurisme le plus complet. Des valeurs sûres comme les rockeurs expérimentaux Artús, le duo jazz Parisien/Peirani ou le collectif jazz/prog injustement méconnu Ghost Rhytms ont sorti des disques parmi leurs meilleurs. Les frères Ceccaldi ont rendu hommage à leur père avec un superbe Constantine qui a fait l’unanimité. Quelques petits nouveaux prometteurs sont apparus, comme Plus 33 avec un premier album de rock progressif majestueux.

Les concerts / live streams de l’année

1 : Emile Parisien et Vincent Peirani – Les Bouffes du Nord, Paris, France, 17 novembre 2020 (concert enregistré pour le EFG London Jazz Festival 2020)

2 : Dream Theater – MHP Arena, Ludwigsburg, Allemagne, 5 février 2020

3 : Fish – The Lemon Tree, Aberdeen, 13 mars 2020

4 : Ozma – La Briquetterie, Schiltigheim, France, 19 décembre 2020

La crise sanitaire et les confinements ont contraint les artistes à se réinventer. Certains musiciens soudainement désœuvrés en ont profité pour composer. D’autres ont donné des concerts en ligne parfois sans public. Émile Parisien et Vincent Peirani ont honoré leur présence au EFG London Jazz Festival devenu virtuel en enregistrant un concert aux Bouffes du Nord à Paris. Fish a offert sur Youtube son seul concert donné en 2020, en appelant à faire un don, pour aider ceux qui n’ont pas pu travailler sur sa tournée annulée. Ozma a joué en livestream son excellent Hyperlapse, faute de pouvoir le faire sur les routes.

Les rares concerts avec public qui ont pu se tenir cette année ont été d’autant plus appréciés. Ainsi, voir et entendre DreamTheater interpréter sur scène l’intégralité de Metropolis Pt. 2: Scenes from a Memory vingt ans après sa sortie a quasiment relevé du miracle.

L’espoir de l’année : Red Fiction

Certains artistes sont difficiles à suivre et le multi-instrumentiste Jason Schimmel fait partie de ceux-là. Après Estradasphere, il devient difficile de suivre sa trace, chacun de ses projets changeant de nom après un album. On passe ainsi d’Orange Tulip Conspiracy à Atomic Ape pour arriver aujourd’hui à Red Fiction. Dans la même lignée que ses prédécesseurs, Visions of The Void, sorti en fin d’année chez Tzadik,mêle allègrement rock, musique de film et folklore proche-oriental, pour un cocktail détonnant et plein de rebondissements.

La déception de l’année : la culture muselée

Le gouvernement Macron n’a pas été à une approximation / désinformation ni à un mensonge / cafouillage près. L’une de ses incompréhensibles décisions, c’est d’avoir muselé la culture, d’avoir interdit à des artistes de proposer leurs spectacles dans des conditions sanitaires strictes tout en autorisant les gens à aller s’entasser dans les supermarchés et les transports en commun pour « sauver l’économie ». L’équilibre mental de la population est passé à la trappe. Business first

L’initiative de l’année : le nouveau site de Chromatique.net

Parce que bon, on a bien le droit d’être content de nous-mêmes parfois !

  • Fermi Paradox

Les albums de l’année

1 : Giorgi Mikadze – Giorgian Microjams

2 : Caleb Dolister – Daily Thumbprint Collection 3, The Wandering

3 : World Sanguine Report – Skeleton Blush

4 : Dai Kaht – Dai Kaht II

5 : Markus Reuter – Truce

6 : Corpo – III

7 : Deluge Grander – Lunarians

8 : Chromb! – Le livre des merveilles

9 : Wobbler – Dwellers of the Deep

10 : Cheer Accident – Chicago XX

Une année 2020 pleine de découvertes musicales. Elle commence en beauté avec le premier album de Giorgi Mikadze en tant que leader et quelle réussite pour ce mariage alliant jazz avant-gardiste, compositions microtonales, folk et chœurs polyphoniques géorgiens. Caleb Dolister vient ensuite chatouiller nos synapses avec la sortie d’un projet initié en 2008 et réunissant deux douzaines de musiciens à travers les USA. Plus de dix ans auront été nécessaires pour venir à bout de cet album expérimental mélangeant jazz, rock, metal et plus encore. Inclassable aussi, le second album de World Sanguine Report, expérimental, avant-prog ou jazz, en fait c’est un peu tout à la fois avec un chant détonnant. Les Finlandais de Dai Kaht reviennent avec un second opus avant-prog, zeuhl sous stéroïdes, tout aussi jouissif que leur premier. Le guitariste Markus Reuter propose avec Truce, un album électrique et inventif entre rock progressif, ambient et jazz fusion. Préparez-vous aussi à une écoute visionnaire avec le troisième album de Corpo, un groupe italien des années 70 : du rock progressif et des cuivres, le tout saupoudré d’un peu de classique, d’éléments électroniques et de chant soprano. En cette fin d’année Dan Britton nous offre avec Lunarians, le troisième opus de l’heptalogie Deluge Grander, un album avec une orientation classique. Quel plaisir d’y retrouver certains thèmes et arrangements de Heliotians et Oceanarium revisités ! Les Lyonnais de Chromb! ravissent également nos oreilles avec leur Livre des merveilles, “Le fleuve Brison” serait certainement un de mes morceaux de l’année si je devais faire un classement. Des merveilles, la Norvège en compte une de plus avec Dwellers of the Deep, le nouvel album de Wobbler. Le dernier incontournable de l’année: le vingtième album de Cheer-Accident qui sort enfin chez Cuneiform Records au format CD, dans la continuité de l’excellent Fades.

L’espoir de l’année : Raphaël Panier Quartet – Faune

Le premier album de ce jeune batteur basé à New-York City : une très belle surprise avec la participation de Miguel Zenón au saxophone alto et à la direction musicale, mais aussi de Giorgi Mikadze au piano sur trois morceaux. En plus de sept compositions originales l’album contient aussi des adaptations de pièces classiques de Ravel (Forlane) et Messiaen (Le Baiser de l’Enfant Jésus), mais aussi de morceaux de Ornette Coleman (Lonely Woman), Wayne Shorter (E.S.P.), et Hamilton de Holanda (Capricho de Raphael). Brillant !

L’initiative de l’année :

Tous les labels, les groupes et artistes qui ont rendu cette année un peu moins pénible en nous proposant leurs nouvelles productions. Merci aussi à Bandcamp qui a multiplié les Bandcamp Fridays en renonçant à sa part de revenus pour soutenir ces acteurs.

  • Ancestor

Les albums de l’année
1 : The Pineapple Thief – Versions Of The Truth

2 : Caligula’s Horse – Rise Radiant

3 : Villagers Of Ioannina City – Age Of Aquarius

4 : Jonathan Hultén – Chants From Another Place

5 : Zopp – Zopp

6 : Pain Of Salvation – Panther

Encore une très belle année en ce qui me concerne ! A tel point que choisir relève encore forcément d’une fichue injustice… Indépendamment de ce postulat, The Pineapple Thief confirme en 2020 son indéniable talent avec un excellent disque de crossover prog, qui, bien que fidèle à l’identité du groupe, propose quelques nouveautés alléchantes. Caligula’s Horse, un des icônes du prog-metal moderne, franchit distinctement un palier en ce qui concerne l’intensité. C’est l’album de plus d’éloquence, de plus de pureté, de plus d’excès. Entre emphase et moments de grâce… Villagers Of Ioannina City, un groupe provenant de Grèce, nous offre avec Age Of Aquarius, dans un genre proche d’une sorte de stoner psychédélique, un album totalement envoûtant et addictif. Jonathan Hultén lui, à l’origine guitariste de death metal, a élaboré un réel bijou de folk, d’une beauté époustouflante, générateur de calme et d’apaisement. Zopp rénove le style canterbury, y apportant une fraîcheur et une inspiration dignes des plus hauts éloges. Quant à Pain Of Salvation, fidèle à sa tradition, nous donne une énième leçon de créativité, toujours à l’avant-garde, avec un prog-metal autant sauvage que moderne et sophistiqué.

  • Mathieu Carré

Les albums de l’année

1 : No Tongues – Les Voies de l’Oyapock

2 : Valentin et Théo Ceccaldi  – Constantine

3 : Sylvaine Helary – Glowing Life

Un fleuve, ce n’est pas juste une source, un trajet, un débit et une embouchure, un fleuve, ce sont aussi et surtout des vies, des hommes et milles histoires qui vivent avec lui. Le quatuor français No Tongues, n’a pas hésité à se rendre sur place, entre Brésil et Guyane pour se remplir de l’Oyapock et a tout pris de lui : ses habitants, ses trafiquants, les pirogues qui puent le diesel comme les chants autochtones avant de concasser le tout dans un grand mixeur pour en tirer un album exceptionnel. Le collectage sonore réalisé sur place comme les mélodies traditionnelles viennent apporter la base d’une relecture ahurissante, où au gré de son humeur et de son imagination, on peut naviguer du jazz improvisé le plus profond à une transe hypnotique primitive. 

Avec les frères Ceccaldi, c’est toute l’histoire algérienne de la famille qui refait surface, empreinte de nostalgie et de joie, mais surtout pétrie par une énergie communicative qui emmène avec lui la fine fleur du jazz francophone d’aujourd’hui. A la fois exigeant, mais immédiatement accessible, Constantine fait l’unanimité et prouve s’il le fallait encore le talent de Théo et Valentin Ceccaldi qui s’imposent comme les chefs de file d’un renouveau du jazz hexagonal.

Enfin, La flûtiste Sylvaine Helary, au sein d’ une formation ramassée, électrifiée et presqu’agressive par moments parvient aussi de son côté à faire péter toutes les coutures musicales. Avec Glowing Life, elle s’affirme en tant que chanteuse et ressuscite l’esprit des grandes prêtresses, Maggie Nicols ou Dagmar Krause. Et si elle veut aller encore plus loin dans ces rudesses qui tutoient le Rock in Opposition, on signe tout de suite.

Et à travers ce palmarès 100 % local, c’est aussi un hommage à toutes les petites structures de production qui font vivre une musique ambitieuse et atypique de qualité qu’il convient de rendre. ORMO Records, le Tric Collectif / Full Rhizome, Ayler Records, en l’occurrence mais aussi beaucoup d’autres que la passion anime encore et toujours, et qui nous permettent de continuer à nous émerveiller. Merci à eux aussi, et à l’année prochaine !

L’initiative de l’année : 

Une cérémonies des Victoires du Jazz qui se respecte, avec de la vraie musique actuelle, c’est toujours bon à prendre (et on espère que ça deviendra une bonne habitude).

  • Thierry de Haro

Les albums de l’année

1 : ABEL GANZ – The Life Of The Honey Bee And Other Moments Of Clarity

2 : CRIPPLED BLACK PHENIX – Ellengaest

3 : WOBBLER – Dweelers Of The Deep

4 : ESTHESIS – The Awakening

5 : LAZULI – Le Fantastique Envol de Dieter Bohm

6 : JOHN Mc LAUGHLIN – Is That So ?

7 : NEAL MORSE – Sola Gratia

8 : SNARKY PUPPY – Live At The Royal Albert Hall

9 : ALCANTARA – Solitaire

10 : PAT METHENY – From This Place

11 : MOTORPSYCHO – The All is One

12 : STEVE THORNE – Levelled – Emotional Creatures : Part 3

13 : GLASS HAMMER – Dreaming City

14 : THE FLOWER KINGS – Islands

15 : RED SAND – Crush The Seed

16 : DATURA4 – West Coast Highway Cosmic

17 : BRUCE SPRINGSTEEN – Letter To You

18 : FISH – Weltschmerz

19 : OZRIC TENTACLES – Space For The Earth

20 : HAKEN – Virus

Confinement oblige, l’année 2020 a été très prolixe en écoutes, en découvertes musicales ou en confirmation du talent de certains groupes ou artistes à tel point que j’aurais pu en faire un Top 50 ! Je me suis limité à 20 et comme chaque année, nos lecteurs intéressés par les Top 5 ne prendront que les 5 premiers, ou les 10 premiers s’ils souhaitent un Top 10, etc, etc….

Et comme souvent dans mes classements précédents, aucune tendance indiscutable ne se dégage des 3 premiers, tant et si bien que Wobbler ou Crippled Black Phoenix auraient pu se retrouver à la première place. Mais j’ai au final choisi Abel Ganz, la finesse de leur propos musical m’ayant particulièrement touché. De plus, depuis Shooting The Albatross, Abel Ganz est rentré dans une nouvelle dimension et ses 3 derniers albums tutoient à mon sens les plus grands albums de prog ! Dans une même logique sur ses derniers albums, Crippled Black Phoenix propose un patchwork de sensations dont le rock progressif fait partie, mais pas que … Leur diversité musicale, leur énergie sur scène sont pour moi les deux mamelles nourricières d’une jouissance auditive débordante. Quant à Wobbler, déjà sur son avant-dernier album, les Norvégiens nous avaient proposé une atmosphère particulièrement vintage, nous renvoyant aux heures de gloire des orgues et autres mellotrons si prisés dans les seventies. Cet album est donc une suite logique de leur excellence déjà mise en exergue sur From Silence To Somewhere.

Viennent ensuite les deux Français de l’année via l’excellent album d’Esthesis – chant en anglais, et le non moins fabuleux dernier opus de Lazuli, qui vous étreint dès le 1er titre pour ne plus vous lâcher jusqu’à l’épilogue, majestueusement terminé « dans les mains de Dieter ».

Pêle-mêle, sur les choix suivants, on ne pourra que se réjouir d’un album ‘renouveau’ de Neal Morse … certes Neal Morse fait du Neal Morse, mais ce Sola Gratia est « pêchu » et redonne vie à un discours musical que je trouvais un peu trop lisse sur les derniers albums de Neal. Je conseille également les albums – estampillés jazz – de deux maîtres incontestés du genre, John Mc Laughlin et Pat Metheny. John engendre un album roots hallucinant, dans la lignée des Shakti, saupoudrée de la période actuelle 4th Dimension : envoûtant !!! Et Pat, nous revient après diverses expérimentations, avec From This Place, vers le style éthéré et gorgé d’extases musicales qui ont une place bien à part dans ma discothèque.

Je ne m’étendrai pas sur l’ensemble des choix effectués, mais à titre personnel, cette base musicale fût essentielle cette année pour considérer que, si 2020 a apporté son lot de frustrations et difficultés, elle a également et par petites touches essayé d’imprégner nos oreilles puis nos cœurs de ces instants de bonheur … ce que l’on appelle ‘la magie de la musique’.

Les concerts de l’année

1 : Ange – Les 50 Ans au Trianon

2 : Anaïd – Le Triton

3 : Médéric Collignon – La Gare

4 : Echoes & More – Le Sax, Achères

5 : Pendragon – La Maroquinerie

Concerts en 2020 signifie 9 semaines et demies d’instant ‘live’ : pas de quoi en faire un film, juste de se rendre compte que vivre la musique dans le même lieu que les artistes qui nous la délivrent, apporte un plus émotionnel difficile à traduire de quelques mots. De ces instants magiques, j’aurai eu la chance de faire partie de ces privilégiés qui, deux soirs durant, ont pu célébrer le cinquantenaire du plus grand groupe français de tous les temps, à savoir Ange. Soirée exceptionnelle (pour moi, c’était le 1er soir) et inoubliable, où la joie d’entendre un répertoire traversant les siècles (au moins XXème et XXIème), avec la participation des musiciens qui ‘ont fait’ Ange, se mêlait au plaisir immense de retrouver les copains, les amis et de clamer notre joie d’être présents.

Même si le public était moins nombreux, voir un concert parisien d’Anaïd – qui avait éclaboussé le Crescendo de son aura et de son talent – aura été une expérience formidable et unique : une salle conquise, un lieu cher à mon cœur (le Triton) et des musiciens particulièrement inspirés (avec une mention spéciale à Emmanuelle Lionet qui transcende l’expression vocale), tout était réuni pour faire une soirée exceptionnelle. Et elle le fut.

A noter que j’ai inscrit les 5 concerts ‘en public’ vus avant ce fatidique 16 Mars – et parmi eux, un concert tribute band d’Echoes & More ! Lors de précédents bilans annuels, j’avais pu citer The Musical Box ou The Watch mais voir un tribute de Pink Floyd pour une dizaine d’euros et pour une qualité musicale impeccable (Francis Guingamp à la guitare est l’exacte réplique de David Gilmour, je le certifie !) mérite d’être relevé. Un groupe indispensable pour tous les fans du Floyd – et l’assurance de passer une super soirée !

L’espoir de l’année : Esthesis – The Awakening

Esthesis est un groupe toulousain, dont la tête pensante, Aurélien Goude, semble être tombée dans la marmite prog quand il était enfant. Déjà l’année dernière, Esthesis avait sorti un EP nommé Raising Hands, qui sonnait Porcupine Tree, à tel point qu’il aurait pu constituer un élément de plus dans la discographie de Steven Wilson ! Pourtant, n’y voyez aucun plagiat – mais une influence magnifiquement maîtrisée du maître du rock progressif de ces 20 dernières années. Ce premier album démontre qu’Aurélien possède en lui un sens très développé de l’art progressif : ainsi, il va réussir à extraire la quintessence de ce que l’on a pu entendre chez Porcupine Tree / Steven Wilson, chez Pink Floyd – voire chez Anathema, période prog bien sûr. Cet album est classé 4ème dans mon Top Album, mais nul doute que si je ne l’avais pas reçu aussi tard, et que si j’avais pu m’en imprégner comme ses prédécesseurs au classement, il aurait probablement terminé … à une bien meilleure place !

La déception de l’année :

Aucune volonté de ma part de mélanger politique et loisirs mais force est de constater une incompréhension totale au sujet des décisions prises par nos gouvernants. Si en cette année particulière où les distanciations devaient être observées, tous les festivals ont été logiquement annulés (la foule étant entassée debout), il est absolument illogique d’avoir fermé les salles de spectacles où ces distanciations peuvent être respectées quand parallèlement les gens s’entassent dans des trains, des avions et des bus ! Incompréhensible !!!

L’initiative de l’année :

Cette année 2020 restera une chape de plomb sur les professions artistiques. Nos artistes ont dû se réinventer et ainsi, certains d’entre eux ont proposé des concerts en visio, depuis des salles de spectacles vides ou dans leur salon. Certes, une video ne remplacera jamais un concert en public où l’on est présent, mais cette initiative a eu le mérite de ne pas couper public et artiste durant cette longue période (qui n’est pas finie à l’heure où j’écris) – voire même de créer un lien plus intime, par exemple quand certains artistes demandaient à leur public, quelques titres qu’ils interprétaient par la suite.

Ainsi, de cette année 2020, je conserverai un immense respect pour ces artistes qui se sont réadaptés à cette situation difficile : Franck Carducci bien sûr, avec de nombreuses initiatives aussi pertinentes que délicieuses à vivre – même à travers un écran, mais aussi la fine fleur du jazz-fusion parisien (Hadrien Feraud, Jim & Jon Grandcamp, Michael Lecocq). Et puis, parmi celles et ceux avec qui j’ai aussi passé quelques soirées, je citerai Camille Bertault, Biréli Lagrene, Théo Ceccaldi ou Blank Manuskript. Merci à vous tous … en espérant vous revoir à quelques mètres de moi !