Fish - Weltschmerz

Sorti le: 25/09/2020

Par Jean-Philippe Haas

Label: Chocolate Frog Records

Site: https://fishmusic.scot/

Voilà, c’est fini, c’est le dernier. Une tournée – espérons-le – et c’en sera terminé de la saga Fish, du moins dans le domaine de la musique. L’Écossais aura connu des hauts et des bas depuis son départ de Marillion au début des années 90. Entre ses changements de label, ses soucis de santé, de voix et ses problèmes financiers, sa carrière n’aura pas été un long fleuve tranquille : elle aura été émaillée de grands albums et d’autres plus anecdotiques, de tentatives cinématographiques plus ou moins fructueuses, de concerts souvent mémorables. Et si ceux qui l’ont suivi durant ces trois décennies en solo ont sûrement leur préférences et leurs repoussoirs dans sa discographie très fournie, ils sont probablement unanimes pour affirmer que le bonhomme est attachant et sincère. Weltschmerz – mot allemand qu’on pourrait approximativement traduire par « la douleur du monde » – termine-t-il cette aventure en beauté ?

De ce double album, qui lui aura nécessité trois ans d’écriture avec de fidèles musiciens, le bassiste Steve Vantsis et le guitariste Robin Boult, Fish en avait déjà donné un aperçu avec l’EP A Parley With Angels paru fin 2018. On découvrait ainsi « Man With A Stick », une chanson en hommage à son père qui, sur la fin de sa vie, ne se déplaçait plus qu’avec sa canne. La plume du chanteur y était acérée, les mots finement ciselés : un talent qu’il n’a jamais perdu depuis ses bijoux textuels pour Marillion. L’épique « Waverley Steps » donnait un autre avant-goût plus progressif, à travers la description d’un personnage qui s’avère finalement être Fish lui-même. Assez linéaire et peut-être moins enthousiasmant malgré les cordes et le saxophone, « Little Man What Now? », écrit après la mort de son père, était néanmoins servi une nouvelle fois par un texte superbe, en référence au roman de Hans Fallada.

Le reste de l’album est à l’image de ce déjà copieux échantillon : des textes soignés, autobiographiques en partie, beaucoup de passages symphoniques, renforcés par l’utilisation d’un ensemble à cordes tout au long des deux disques (Fish a recruté des musiciens du Scottish Chamber Orchestra), ainsi que de cuivres çà et là. Des invités de marque apportent une contribution non négligeable : le saxophone et la flûte de David Jackson (Van Der Graaf Generator) sur « This Party’s Over » et « Little Man What Now? », la batterie de Craig Blundell (Frost*) sur la plupart des titres et la guitare de John Mitchell (Arena). Parmi les moments forts de Weltschmerz, il y a tout d’abord le sobre et émouvant « Garden of Remembrance », (musicalement, on pense à « A Gentleman’s Excuse Me » de Vigil In A Wilderness Of Mirrors) : l’histoire d’un vieux couple dont la femme est peu à peu atteinte de sénilité et perd la mémoire. A l’autre bout du spectre stylistique, il y a « Rose of Damascus » qui évoque la guerre en Syrie ; une composition longue, aux atmosphères changeantes où l’on peut entendre des cordes, des passages chantés ou parlés – une pratique régulièrement utilisée par Fish pour donner de l’emphase (« Bitter Suite » avec Marillion, « Isis and Osiris » avec Ayreon, ou en solo sur « Black Canal », par exemple) – et quelques notes d’Oud pour faire écho à la thématique. Parallèlement, les références à son Écosse natale ont presque complètement disparu ; seul un flûtiau typique se fait entendre sur l’introduction de « This Party’s Over », une courte chanson sur les rapports houleux de l’artiste avec l’alcool. S’il n’est sans doute pas le titre le plus marquant, l’éponyme et final « Weltschmerz » demeure cependant notable par ses paroles, sorte d’autoportrait mêlé de réflexions sur l’état de notre planète, plutôt pessimiste, qui conclut une œuvre elle-même douce-amère par bien des aspects.

Weltschmerz est donc dans la droite ligne de l’excellent A Feast Of Consequences, une espèce de bande originale du monde et de la vie de Fish. Chaque titre prend son temps pour se développer et tisse sa propre ambiance, s’étire comme si l’artiste ne partait qu’à regrets. Si en tant que double album qui se respecte, celui-ci a son lot de passage forts et ses parties moins indispensables, les textes, de même qu’une production très limpide et équilibrée signée Calum Malcolm, maintiennent à un haut niveau la qualité de l’ensemble. Il ne reste plus qu’à souhaiter que la tournée pourra bien avoir lieu quand les conditions le permettront, pour que le géant écossais puisse défendre ce bien beau disque sur scène, avec tout l’engagement qu’on lui connaît.