Valentin et Théo Ceccaldi - Constantine

Sorti le: 11/12/2020

Par Mathieu Carré

Label: Brouhaha / L'autre distribution

Site: http://www.theoceccaldi.com/

Constantine parle de la nostalgie de ce que l’on n’a pas connu mais qui nous berce depuis toujours, cet impalpable patrimoine commun qui forge une famille au-delà même des souvenirs et des photographies. Serge Ceccaldi n’avait que deux ans quand il quitta Constantine, et presque soixante ans plus tard, ce sont ses fils Théo et Valentin, violoniste et violoncelliste ubiquitaires du jazz français qui lui rendent hommage en adaptant la musique de leur compositeur de père. Le grand avantage de cet héritage immatériel, c’est qu’il s’appréhende plus par sensations et impressions qu’à travers les traditions et la permanence, et cette Algérie fantasmée écrasée de soleil et de luttes, on peut y mettre tout ce qu’on veut : des vocalises youyous de Leila Martial toute juste auréolée de sa Victoire du Jazz (« Ampsaga ») au fantôme de Frantz Fanon, en passant par le chant oriental mystique d’Abdullah Miniawy. Ils trouvent leur juste place dans ce portrait intergénérationnel, derrière lequel on devine le canevas de la musique méconnue de Serge Ceccaldi : mélodique, accessible et poétique, à l’image de l’élégante illustration de couverture, toute en teintes pastel et lignes claires qui n’est pas sans rappeler les œuvres de Jean-Michel Folon.

Comme pour toute fête qui se respecte, tout le monde est invité et on se tasse un peu pour être sur la photo souvenir. Il y a d’abord les amis de toujours, l’Orchestre du Tricot qui donne vie et épaisseur au propos pour souvent s’envoler vers des territoires plus velus et électriques quand les compositions s’allongent; et il y a les amis des amis, les invités spéciaux dont la liste ferait rêver plus d’un programmateur de festival : Yom en ermite klezmer, Thomas de Pourquery, Naïssam Jalal, Emile Parisien, Airelle Besson, Fantazio et, cerise sur le gâteau d’anniversaire, Michel Portal plus vif que jamais sur « Et même le ciel ». Porté par la beauté de la composition qui respire Piazzolla à plein branle-poumons, le génial octogénaire, à la fois à la clarinette basse et au bandonéon envoie les Ceccaldi au sommet à travers une virtuosité qui rappelle celle de la formation japonaise Salle Gaveau, également adepte du tango total.

Le concept de l’album, la richesse des contributions et des influences font que la cohérence de Constantine est plus métaphysique que purement musicale, mais qu’importe. Pour leur premier disque explicitement en commun, les frères Ceccaldi, ici relativement discrets musicalement et plus dans un registre d’orchestrateurs et de metteurs en son, signent un trésor. Papa peut être fier d’eux.