
Prog Rock Fest
26/09/2025
Le Casino de Paris - Paris
Par Jean-Philippe Haas
Photos : Christian Arnaud
Site du groupe : https://progrockfest.com/
Setlist :
Karnataka : Serpent and The Sea - All Around The World – Forgiven - Heart of Stone - Requiem For A Dream / IQ (premier soir) : From the Outside In - Sacred Sound – Subterranea - Guiding Light - Never Land - The Wake - Shallow Bay - Far from Here - The Road of Bones – Closer – Further Away - Ten Million Demons / RPWL : Victim of Desire - Sleep - A New World - 3 Lights - Welcome to the Machine (reprise de Pink Floyd) - Unchain the Earth (The Scientist) – Roses / The Watch : The Knife - Watcher of the Skies - I Know What I Like (In Your Wardrobe), Firth of Fifth - In the Cage - Supper's Ready / IQ (second soir) : Setlist IQ (second soir) : Frequency - Life Support - Stronger Than Friction - One Fatal Mistake- Ryker Skies - The Province – Closer - No Love Lost - Never Land - Leap of Faith - Far from Here – Headlong - The Darkest Hour1ère partie : Karnataka, IQ
2nde partie : RPWL, The Watch, IQ
Du courage, il en faut pour organiser dans une salle aussi prestigieuse que le Casino de Paris un festival de rock progressif, un genre qui a connu son Âge d’Or dans la première moitié des années soixante-dix, et qui a priori ne s’adresse aujourd’hui qu’à une niche d’amateurs. Las, certains festivals institutionnels ont récemment tiré leur révérence (Night of The Prog en Allemagne, Prog en Beauce en France), d’autres, déficitaires, ont cessé purement et simplement leur activité tandis que les survivants ne tiennent que grâce au bénévolat d’une armée de fans et à la passion qui les anime. La naissance d’un nouveau rendez-vous, parisien de surcroît, est donc plus qu’une agréable surprise lorsqu’on est attaché à cette musique qui fut un temps l’avant-garde créative du rock.
Fort du succès du concert d’IQ au Café de la Danse l’année dernière (voir notre article), l’organisateur Akayama Prod a vu les choses en grand : louer le Casino de Paris pour organiser un festival les 26 et 27 septembre 2025 et faire revenir le groupe britannique deux soirs de suite, en compagnie d’autres formations de rock progressif. Un pari audacieux, si on considère que l’audience du genre est tout de même limitée. Seul feu le Night of The Prog parvenait à fédérer plusieurs milliers de personnes venues de toute l’Europe prêtes à délier leur bourse pour une programmation très diversifiée et des locomotives prestigieuses. Rien de tout cela ici : l’affiche est centrée sur des groupes établis mais modestes, dont le terrain de jeu est un prog très classique : IQ, donc, mais aussi Karnataka, RPWL et The Watch. C’est donc avec une curiosité mêlée d’appréhension qu’on franchit les portes de la salle parisienne. Premier constat : la foule est loin d’être dense et compacte, ce qui fait craindre que l’événement ne puisse être qu’un unique coup d’épée dans l’eau. La faute à un prix d’entrée somme toute assez élevé ? Au peu de mobilisation des fans pour soutenir la musique live ? Des aspects qu’il convient de prendre en compte lorsqu’on envisage de produire des artistes confidentiels, inquiétudes que ne connaissent pas bien sûr les grosses machines qui organisent des concerts pour faire fonctionner la machine à cash, saignant au passage des fans quoi qu’il en soit suffisamment nombreux pour que s’opère une sélection parmi les plus aisés… Second constat : le son est exceptionnel. Qui n’a pas assisté, dans ces lieux rarement conçus à l’origine pour accueillir des concerts, à des shows au rendu désastreux, mixés avec les pieds quand l’ingénieur du son ne tente pas tout bonnement de compenser les limites de la salle ou les siennes en assourdissant le public ? Rien de tout cela ici : le Casino de Paris offre le plus grand confort sonore aux spectateurs, les protections auditives ne sont même pas nécessaires. Un luxe paradoxalement assez rare pour être souligné !
Karnataka et sa chanteuse Sertari ouvrent le bal devant un public assez clairsemé en fosse – un peu moins au balcon. Arrivée en 2018, la chanteuse s’est facilement appropriée les deux titres interprétés par celles qui l’ont précédée : Lisa Fury pour « Serpent and the Sea » tiré de The Gathering Light et Rachel Jones pour « Heart of Stone » extrait de Delicate Flame of Desire. Mélodique, symphonique, légèrement prog du fait de la longueur des titres et de leurs différentes sections, de l’alternance de passages chantés et d’instrumentaux, le spectacle est des plus plaisants à entendre comme à voir. Le dernier album Requiem For A Dream occupe logiquement le gros de la playlist avec « All Around the World », « Forgiven » et le massif titre éponyme qui clôt un show destiné aux amateurs de belles mélodies, de chant cristallin et de guitare électrique versatile, celle de Luke Machin (si, il s’appelle vraiment ainsi). Si Karnataka n’est pas la plus originale des formations, elle a le mérite de faire vivre chaleureusement sa musique sur scène.
Après cette mise en jambes idéale et peu remuante, c’est au tour d’IQ d’investir le plateau pour son premier concert du week-end. « Investir » est le mot, car le contraste avec sa prestation du Café de la Danse est saisissant : un peu perdu dans un espace aussi grand, IQ reste en retrait, n’occupant les quelques mètres qui séparent Peter Nicholls du bord de la scène qu’en de rares occasions. Comme l’année dernière, c’est l’album Road of Bones qui lance les hostilités avec « From The Outside In », enchaînant avec le très emphatique « Sacred Sound » tiré de Dark Matter. Assez proche de celle de l’an passé, la setlist survole toute la discographie des Britanniques, à l’exception notable des deux disques enregistrés avec Paul Menel (ce qui, à la limite, peut se comprendre) et Tales From The Lush Attic (ce qui peut laisser présager une reprise intégrale du disque le lendemain… un espoir qui sera malheureusement déçu). Plus nuancée et plus complexe que celle de Karnataka, la musique d’IQ est souvent grandiloquente, et pour peu qu’il y soit sensible, le spectateur est transporté au milieu d’un torrent d’atmosphères changeantes. A ce titre, « Never Land », extrait du récent Dominion, est sans doute l’un des points culminants du concert : sans fioritures inutile ni structure complexe, le morceau est un simple crescendo d’émotion pure, applaudi avec enthousiasme. Les sauts temporels sont également acclamés avec « The Wake » et surtout « Further Away », le plat de résistance d’Ever, qu’on n’attendait plus, l’impasse ayant été faite sur ce disque lors de la précédente venue dans la capitale. C’est donc avec la plus grande satisfaction que l’assistance se disperse, lentement, le temps d’un debriefing autour d’une dernière bière ou aux stands de produits dérivés qui parsèment le hall.
Sans être comble, la salle est nettement plus garnie le deuxième jour où sont prévus RPWL, The Watch et un second concert d’IQ qui, dit-on, va reprendre l’un de ses albums favoris dans son intégralité. Ce 27 septembre marque la première date de la tournée européenne de RPWL, qui mènera le groupe jusqu’à Londres le 2 novembre. S’il ne fallait choisir qu’une seule performance sur les cinq offertes en deux jours, on peut parier que le choix du public se porterait sur celle des Allemands et leur prog planant, du moins à l’applaudimètre. La bande à Yogi Lang, connue à ses débuts pour reprendre des titres de Pink Floyd, a pioché dans sa discographie déjà abondante, privilégiant son album de 2005 World Through My Eyes. Si celui-ci n’avait guère recueilli nos suffrages à l’époque, il convient de reconnaître que la version revisitée sortie en 2025 pour ses vingt ans est nettement meilleure à tous points de vue, y compris la production et les arrangements. Les musiciens sont ravis d’être là, ça se voit et ça s’entend. Tout sourires, épaulés par deux choristes, ils livrent un spectacle carré, où la guitare de Kalle Wallner s’exprime sous toutes ses nuances. La reprise de « Welcome To The Machine » de Pink Floyd en milieu de concert fait mouche auprès du public tout comme le superbe « Roses » qui clôt en beauté la première partie de la soirée.
The Watch hérite de la lourde tâche de succéder à RPWL. Les Italiens ont depuis longtemps fait leur choix : clone à l’origine du Genesis de Peter Gabriel avec des albums comme The Vacuum, ils ont vite compris que le statut de tribute band attirait plus de monde que celui de simple copie. Et il faut reconnaître qu’ils sont très bon dans ce domaine, et que leur show est désormais bien rodé. Bénéficiant d’une certaine manière de la rareté des concerts de The Musical Box, l’indétrônable groupe-hommage canadien, The Watch tourne régulièrement en Europe ces dernières années, reprenant tel ou tel album des Britanniques, et remplissant sans difficulté les salles où il se produit. Si la tournée actuelle est centrée – réédition de l’album oblige – sur The Lamb Lies Down On Broadway, le temps limité dont dispose le quintette ne lui permet pas de s’appesantir sur le dernier disque de l’ère Peter Gabriel. C’est donc tout le répertoire de cette période qui est exploré ce soir, presque chronologiquement, pour le plus grand plaisir du public, de « The Knife », tiré de Trespass, jusqu’à « In The Cage », l’un des morceaux-phares de The Lamb. Énorme cerise sur un gâteau déjà bien crémeux, le concert s’achève sur le multicolore « Supper’s Ready » qui occupe toute la face 2 de Foxtrot. Et si le décor est minimaliste, le jeu de scène inexistant et les costumes absents, le mimétisme vocal de Simone Rossetti et les instruments vintage contribuent à la magie d’un spectacle sorti d’une faille temporelle où on s’imagine sans peine Tony Banks sous les traits de Valerio De Vittorio, jouant l’introduction de « Firth of Fifth » ou Andrea Giustiniani en Anthony Phillips déployant toute sa palette de guitariste sur « The Knife ».
Inutile de préciser qu’après des émotions qui parlent directement au cœur du progueux, le concert d’IQ est attendu comme un point d’orgue. A priori, on peut regretter que le groupe ait choisi d’interpréter Frequency dans son intégralité ce second soir plutôt que, au hasard, Tales From The Lush Attic, grand absent du festival. On peut regretter également, surtout en tant que spectateur des deux concerts, que trois des titres du premier set se retrouvent dans le second. Mais quoi qu’on pense des options choisies, il faut reconnaître que le spectacle est à la hauteur des attentes. D’une part, Frequency a ses adeptes, en témoignent les réactions du public. Premier album sans Martin Orford, parti pendant l’enregistrement, il revêt aussi une importance particulière pour Peter Nicholls qui a échoué à l’hôpital pendant les sessions suite à une pneumonie. Par ailleurs, certains titres plutôt faibles sur disque prennent de l’ampleur en live comme le très consistant « The Province ». Enfin, même si IQ ne porte plus l’étiquette « néoprog » depuis longtemps, il ne laisse pas les plus anciens d’entre nous sur le bord de la route, avec des titres de The Wake, d’Ever et même de Nomzamo (« No Love Lost »). Bien que Nicholls soit parfois à la peine sur ce dernier – Il n’a pas la même tessiture que Paul Menel, loin s’en faut – il faut saluer une interprétation sans failles (on ne compte par la corde de guitare qui fait faux bond à Mike Holmes en fin de concert !) par un groupe qui n’est pas connu pour l’impétuosité de son jeu de scène. L’ovation finale, s’adressant autant à IQ qu’aux autres groupes et à l’organisateur, ne laisse aucun doute sur la satisfaction d’un public qui fait autant de bruit que si la salle était pleine.
Cette première édition du Prog Fest s’achève donc sur une note très positive, tant par la qualité des artistes que par celle du lieu choisi. On y a même vu un brin de jeunesse çà et là, ce qui peut laisser espérer que le prog classique survivra à ses fans les plus vénérables. S’il fallait émettre quelques recommandations concernant le futur du festival – il est certes toujours aisé de prodiguer des conseils a posteriori et assis dans un fauteuil confortable – l’une d’elles serait d’accorder une ouverture aux formations progressives plus métalliques qui, on le sait, attirent davantage de public. On espère toutefois que la production ait pu rentrer dans ses frais et il y a de quoi être optimiste, car après le concert d’IQ, Cédric Segal d’Akayama Prod a lancé un « à l’année prochaine !» de bonne augure. On attend donc une seconde édition de pied ferme !




















