Genesis - Foxtrot

Sorti le: 26/11/2018

Par CHFAB

Label: Charisma Records

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Que dire de plus sur cet album, considéré comme une pierre d’angle de la carrière artistique du groupe, autant que du genre musical dont il a fait partie, et laissant ses anciens membres évoquer des souvenirs pour eux bien lointains, n’étant pas vraiment sûrs d’avoir réellement maîtrisé sa création?… Comment fabrique-t-on un album de légende? Le mystère demeure, bien qu’au fond il témoignera toujours de cette envie de repousser les limites musicales, et de coller à un propos englobant étroitement fond et forme. C’est le propre de ce rock dit progressif, et c’est donc celui de Foxtrot .

Quatrième album pour Genesis, sorti en octobre 72, année d’exception faut-il le rappeler, tous genres musicaux confondus. C’est aussi le deuxième livré par la même formation, celle-ci confirmant avec encore plus d’excellence son niveau de jeu, d’expressivité, et d’inventivité. L’album confirme les merveilles de « The Fountain Of Salmacis » notamment, le morceau le plus symphonique et ambitieux de l’album précédent. Les cinq Anglais poussent encore plus loin le raffinement dans les compositions, en termes d’arrangements, de signatures rythmiques, de développement de thèmes, et d’agencement de séquences, le tout culminant avec « Can-Utility And The Coastliners », sommet de composition aux circonvolutions vertigineuses, sans pourtant jamais tomber dans la longueur ni l’hermétisme. Une réussite supérieure à « Supper’s Ready », au final, proposant pourtant des passages anthologiques, mais relevant d’un collage parfois un peu forcé, de l’aveu même de ses membres. Pourtant, ce morceau occupant la quasi totalité de la seconde face (superbe ouverture à la guitare classique de Hackett) est encore aujourd’hui considéré par beaucoup comme le morceau ultime du prog, toutes époques confondues…

Le foxtrot est une danse pratiquée sur du ragtime dans l’entre-deux-guerres, voilà donc un titre impliquant une certaine nostalgie, quelque chose d’heureux et d’à la fois passé, comme le suggère encore une fois le tableau surréaliste de Paul Whitehead. Entre mélancolie et surréalisme. Qui a inspiré l’autre? Le renard du titre (foxtrot: pas du renard), ou celui du tableau? On y retrouve cette envie de conter des histoires d’une époque révolue (le moyen âge, par deux fois), mais des sujets plus actuels sont également abordés, avec le racisme, le conservatisme petit bourgeois, les guerres, la shoah et la domination sociale. C’est prégnant sur « Time Table » (ballade sublime), « Supper’s Ready » (en partie) et surtout « Get Em Out By Friday », cette petite pièce dramatique kafkaïenne parlant ouvertement d’une machine bureaucratique écrasant (presque littéralement) les plus démunis, de la spéculation immobilière, de la délocalisation en périphérie, du droit au logement enfin. Un texte qui résonne avec une rare intensité quarante-cinq ans plus tard….

D’une manière générale, le maître d’oeuvre (et peut-être aussi le plus autoritaire de tous) aux compositions est Tony Banks, faisant montre d’une extraordinaire technique, de jeu comme de composition. Ses enchaînements d’accords relèvent du génie, et tutoient ce que la musique néoclassique a produit de plus beau, pour une inspiration résolument européenne (Tchaïkovski, Stravinsky, Debussy), combinée au jazz, au rock, et à la musique folk. Son jeu va même progresser, autant que sa mainmise sur la musique du groupe, et ce jusqu’à l’orée des années 80, où les cartes vont être redistribuées, au détriment de la musique, mais pas du succès. Le reste des musiciens est au niveau de cette excellence, avec une paire rythmique Collins-Rutherford de rêve, et une guitare à la fois impériale en soliste et très impliquée dans les arrangements pour Steve Hackett. On retrouve également les entrelacs de guitare folk et douze cordes en ouverture de « Supper’s Ready », l’une des marques de fabrique du groupe depuis Trespass

Peter Gabriel dompte davantage son expressivité, tout en approfondissant son écriture, développant moins de personnages que sur l’album précédent, et peut-être avec plus de lisibilité. Rien d’étonnant à ce que les costumes commencent à se développer dans les concerts, la fameuse tête de renard en premier, inspirée au chanteur par la pochette du disque, à la surprise des autres membres qui ne furent pas prévenus. L’équation magique se met en place: son, propos, image. Genesis est en pleine liberté, et rarement un groupe de musique aura combiné avec tant de popularité autant de différents types de techniques artistiques; musique, littérature, peinture, théâtre, voire plus tard photographie et cinéma. Désormais, tout le monde va tenter de faire de même. Bowie est peut-être le seul concurrent possible… Le groupe de reprises The Musical Box, aujourd’hui, témoigne encore à quel point Genesis (pour la bonne première moitié de sa carrière du moins) et Foxtrot sont un puits de sensations jamais encore démenti. Cet album a aussi été le premier à entrer dans le top 100 des ventes anglaises, obtenant la douzième place. En Italie, ou en Hollande, ce fut un triomphe total, déjà entériné par la tournée précédente. Du point de vue de la presse, la France ne sera pas en reste.

Avec l’album suivant, Genesis confirmera son talent, sans cependant innover comme il l’avait fait jusque là, avec un album généralement considéré comme son classique des classiques: Selling England By The Pound.