Peter Gabriel - Peter Gabriel (Scratch)

Sorti le: 21/03/2019

Par CHFAB

Label: Charisma/Virgin/Real World records

Site: https://petergabriel.com/release/peter-gabriel-2/

Il est déjà temps, après une tournée essentiellement menée aux Etats Unis et en Angleterre, de produire un deuxième album, en tentant de tirer des leçons du premier. Ce n’est pas chose aisée, car Gabriel est un garçon encore timide, dont la spontanéité n’est pas forcément sa qualité première, en matière de création d’abord, et encore moins d’enregistrement. C’est Robert Fripp, déjà présent sur son premier disque, qui va s’occuper de la production et de certains des arrangements sur celui-ci. Les captations se feront au Trident Studio, en Hollande, pendant l’hiver 1977-1978, avec un local dépourvu de chauffage central (!), le tout ponctué, pour anecdote, de très nombreuses parties de Risk…! D’un point de vue humain, le travail s’effectuera dans un esprit d’équipe bien plus soudé qu’auparavant.

Seuls Tony Levin (basse) et Larry Fast (synthétiseurs) seront reconvoqués. Ce dernier aura une place prépondérante dans le choix des sonorités, avec ses claviers, amenant toute une palette d’effets modulaires et sons tournant, qui apporteront à Scratch une aura magique et expérimentale. On pensera à Brian Eno, notamment, pourtant non présent sur ce disque. Fripp accentuera également cette nouvelle couleur avec sa guitare, ses frippertronics, notamment sur « Exposure », l’un des moments phares de l’album, puis lors de la post production, qui s’effectuera à New York.

En ce sens, ce second disque est plus abouti, plus homogène, moins artificiel, et au final plus progressif que son prédécesseur. Le premier morceau annonce la couleur, avec une boucle en spirale bien hypnotique, tout en conservant une pulsation très énergique et rock (Jerry Marotta à la batterie). On trouvera dans cet album la même variété qu’avec le premier, dans le sens noble du terme, avec un choix assez large de tempos, d’ambiances, même si de couleur un rien plus sombre; énergie (« On The Air », « Animal Magic », « Perpective »), majesté et puissance (les superbes « White Shadow » et « Exposure »), tempos lents et ambiances intimes (« Mother Of Violence », le superbe « Indigo », le magnifique et trop court « Flotsam And Jetsam »)… L’agencement des titres a gagné en pertinence, laissant une impression d’oeuvre plus accomplie, plus sensible, et à l’épreuve du temps. Seul le morceau de fin (« Home Sweet Home ») apparaît aujourd’hui complètement daté, avec son saxophone très années quatre-vingt, laissant une saveur un peu rance de générique de feuilleton télé américain! Gabriel y pousse des miaulements assez incontrôlés, ce qui se retrouve ailleurs dans l’album et ne l’avantage pas de ce fait, sa voix ayant du mal à se poser… La palette sonore, en plus des nombreux claviers, s’étoffe, avec l’apparition de la mandoline, ou de pedal steel guitar dont les notes glissées proviennent tout droit de la musique country (public et tournée américaine obligent?)… Il faut noter également que le niveau des compositions est meilleur, tout simplement, ce qui a tendance à gommer les quelques défauts de ce deuxième opus. Le remaster des années 2000 va rendre infiniment justice à l’ensemble, clarifiant davantage les détails.

Une fois de plus le visuel de la pochette est frappant, et particulièrement réussi, cette fois-ci inspiré par le deuxième créateur d’Hipgnosis, Peter Christopherson, qui suivit Gabriel à travers les rues enneigées de New York, celui-ci prenant des poses incongrues au milieu des passants médusés… La photographie est littéralement déchirée à la main, donnant l’illusion que c’est Gabriel lui-même qui tente de s’arracher à la réalité. La charte graphique noir, blanc et bleu sera poursuivie jusqu’au quatrième album, confirmant une prédilection toute particulière de l’artiste pour l’image autant que la musique. La suite de sa carrière ne fera que confirmer ce goût et cette soif de dialogue entre différents modes d’expression.

La tournée qui suit Scratch verra l’équipe de scène habillée en tenue de travaux urbains, avec gilet phosphorescent de rigueur. Inutile de préciser combien en live les nouveaux morceaux seront décuplés en terme de force et d’énergie, Gabriel y prenant à chaque fois sa pleine mesure. Pour en témoigner, un large extrait vidéo capté en Allemagne, lors de l’émission télé Rockpalast, est disponible sur internet. Professionnalisme, fougue, urgence, aisance scénique, conviction, magnétisme, en un mot, une performance à l’état pur…