Peter Gabriel - Peter Gabriel (Car)

Sorti le: 12/03/2019

Par CHFAB

Label: Charisma / Virgin records

Site: https://petergabriel.com/

1975, la nouvelle est fracassante : Peter Gabriel vient de quitter Genesis, au sortir de la tournée pharaonique de The Lamb Lies Down On Broadway, tournée éreintante s’il en est (plus de cent concerts)… On sait depuis les circonstances de ce départ; tout d’abord la santé extrêmement préoccupante de son tout premier bébé, lui valant des allers et retours incessants entre la maternité et le lieu d’enregistrement du dernier album, dont toutes les parties instrumentales se feront quasiment sans sa présence; ensuite il y a la pression médiatique sur son leadership, ses prestations vocales et scéniques (costumes, maquillages, mime, décors et lumières de scène accentuant son charisme), ne laissant qu’un place secondaire au travail musical de ses partenaires; enfin une certaine rivalité entre ses ambitions conceptuelles et une relative dubitativité de la part de Tony Banks, principal compositeur, ne goûtant que très moyennement l’omniprésence vocale du chanteur sur leur nouveau double album. Rien ne sera mentionné depuis sur le déroulé émotionnel de fin de tournée qui suivit l’annonce de ce départ.

Voilà Gabriel, à 26 ans, désormais délivré d’un certain poids médiatique, mais dans quelle proportions? Car il est inutile de préciser qu’il est maintenant attendu au tournant. Genesis a très largement prouvé depuis qu’il pouvait se passer de lui, et bien avant qu’il ne publie quoique ce soit, mais la réciproque est-elle vraie? Pour répondre à cela, Gabriel va prendre son temps, se consacrant tout d’abord, et c’est bien compréhensible, à sa nouvelle vie de famille, fait qui contribuera à le faire un peu oublier du public, histoire de réapparaître neuf un temps soit peu. Et pour achever sa mue, il va choisir de s’éloigner assez fortement de l’univers onirique et progressif qui fit la période exceptionnelle de sa première carrière. Bob Ezrin, le producteur, ayant oeuvré à la fois pour Alice Cooper, Dr John et Lou Reed va lui suggérer leurs musiciens, donc issus de la pop et du rock. Ainsi, ses préoccupations esthétiques et intellectuelles abordées dans The Lamb, à la fois plus réalistes et directes, vont se retrouver confirmées dans son tout premier album. Un seul musicien cependant ne le quittera plus, ni en studio, ni sur scène : le bassiste américain Tony Levin, qui à l’époque n’a pas encore la moustache légendaire qu’on va lui connaître, mais bien des cheveux ! Seul Robert Fripp, camarade croisé ici et là notamment grâce à Van Der Graaf Generator (signé aussi chez Charisma et ayant donc tourné avec Genesis), orphelin d’un King Crimson de nouveau en sommeil, tissera le faible lien progressif qui demeure dans sa musique.

Pour cet album, on parlera même de minimalisme, tant plusieurs titres apparaissent dépouillés et ramassés sur leur durée. Neuf titres en tout, présentant un éventail très varié (dispersé diront beaucoup), même si assez bluesy dans l’ensemble, entre proto-reggae (« Moribund The Burgermeister »), folk léger (le hit un rien horripilant « Solsbury Hill »), ballade émue et puissante (« Here Comes The Flood »), musique soul (« Waiting For The Big One »), titres chaloupés, et autre jazz début de siècle (« Excuse Me »). La carte de la diversité est bien de mise, comme si, rétrospectivement, et de son propre aveu, le chanteur se cherchait, espérant que quelque chose finisse par se dégager de tout ça. La production du disque et ses arrangements apparaissent comme un peu loupés, ne relevant pas d’un parti pris clair, ce qui contribuera aussi à rendre ce début de carrière solo hésitant. Peut-être l’ordre d’apparition des chansons n’est-il pas des plus judicieux… Pourtant, la plupart des titres (tous courts) sont réussis, et souvent font preuve d’un certain panache, confirmant au moins à quel point Gabriel est un chanteur exceptionnel, au timbre de voix alliant expressivité, éraillement et puissance, fêlure et sensibilité. La tournée qui s’en suivra gagnera en énergie, urgence et puissance, ce que le tempo de l’album n’arrive pas toujours à insuffler, et dont témoignent quelques très rares enregistrements pirates.

En résumé, la découverte de ce premier effort solo nécessite au fond d’ignorer totalement la période Genesis qui précède. Un fossé béant réside, comme pour mieux nous rappeler qu’un artiste se doit de toujours repousser ses limites, pour mieux se réinventer, à l’instar de l’immense Bowie. Pour Gabriel, cette quête de soi va durer encore pendant les deux albums suivant, avant de réellement exploser, balayant toutes les certitudes d’une musique pop un peu à bout de souffle, en cette toute fin des années 70.

Pour l’anecdote, la pochette, un rien cryptique et mystérieuse (comme les deux suivantes) est signée Hipgnosis, qu’on ne présente plus, et le pare-brise mouillé derrière lequel se cache un Gabriel à moitié endormi est celui de la voiture de Storm Thorgerson, photographe et co auteur du studio. Pour le visuel, Gabriel se fit fabriquer des lentilles de contact en miroir, ce qui lui donne pour l’occasion ce regard fou et luminescent. L’album ne sera pas un grand succès mais « Solsbury Hill » sera joué un peu partout dans le monde, une ritournelle évoquant le besoin de s’émanciper de son auteur.

Nous l’aurons bien compris, son heure n’est pas encore venue.

1975, la nouvelle est fracassante : Peter Gabriel vient de quitter Genesis, au sortir de la tournée pharaonique de The Lamb Lies Down On Broadway, tournée éreintante s’il en est (plus de cent concerts)… On sait depuis les circonstances de ce départ; tout d’abord la santé extrêmement préoccupante de son tout premier bébé, lui valant des allers et retours incessants entre la maternité et le lieu d’enregistrement du dernier album, dont toutes les parties instrumentales se feront quasiment sans sa présence; ensuite il y a la pression médiatique sur son leadership, ses prestations vocales et scéniques (costumes, maquillages, mime, décors et lumières de scène accentuant son charisme), ne laissant qu’un place secondaire au travail musical de ses partenaires; enfin une certaine rivalité entre ses ambitions conceptuelles et une relative dubitativité de la part de Tony Banks, principal compositeur, ne goûtant que très moyennement l’omniprésence vocale du chanteur sur leur nouveau double album. Rien ne sera mentionné depuis sur le déroulé émotionnel de fin de tournée qui suivit l’annonce de ce départ.

Voilà Gabriel, à 26 ans, désormais délivré d’un certain poids médiatique, mais dans quelle proportions? Car il est inutile de préciser qu’il est maintenant attendu au tournant. Genesis a très largement prouvé depuis qu’il pouvait se passer de lui, et bien avant qu’il ne publie quoique ce soit, mais la réciproque est-elle vraie? Pour répondre à cela, Gabriel va prendre son temps, se consacrant tout d’abord, et c’est bien compréhensible, à sa nouvelle vie de famille, fait qui contribuera à le faire un peu oublier du public, histoire de réapparaître neuf un temps soit peu. Et pour achever sa mue, il va choisir de s’éloigner assez fortement de l’univers onirique et progressif qui fit la période exceptionnelle de sa première carrière. Bob Ezrin, le producteur, ayant oeuvré à la fois pour Alice Cooper, Dr John et Lou Reed va lui suggérer leurs musiciens, donc issus de la pop et du rock. Ainsi, ses préoccupations esthétiques et intellectuelles abordées dans The Lamb, à la fois plus réalistes et directes, vont se retrouver confirmées dans son tout premier album. Un seul musicien cependant ne le quittera plus, ni en studio, ni sur scène : le bassiste américain Tony Levin, qui à l’époque n’a pas encore la moustache légendaire qu’on va lui connaître, mais bien des cheveux ! Seul Robert Fripp, camarade croisé ici et là notamment grâce à Van Der Graaf Generator (signé aussi chez Charisma et ayant donc tourné avec Genesis), orphelin d’un King Crimson de nouveau en sommeil, tissera le faible lien progressif qui demeure dans sa musique.

Pour cet album, on parlera même de minimalisme, tant plusieurs titres apparaissent dépouillés et ramassés sur leur durée. Neuf titres en tout, présentant un éventail très varié (dispersé diront beaucoup), même si assez bluesy dans l’ensemble, entre proto-reggae (« Moribund The Burgermeister »), folk léger (le hit un rien horripilant « Solsbury Hill »), ballade émue et puissante (« Here Comes The Flood »), musique soul (« Waiting For The Big One »), titres chaloupés, et autre jazz début de siècle (« Excuse Me »). La carte de la diversité est bien de mise, comme si, rétrospectivement, et de son propre aveu, le chanteur se cherchait, espérant que quelque chose finisse par se dégager de tout ça. La production du disque et ses arrangements apparaissent comme un peu loupés, ne relevant pas d’un parti pris clair, ce qui contribuera aussi à rendre ce début de carrière solo hésitant. Peut-être l’ordre d’apparition des chansons n’est-il pas des plus judicieux… Pourtant, la plupart des titres (tous courts) sont réussis, et souvent font preuve d’un certain panache, confirmant au moins à quel point Gabriel est un chanteur exceptionnel, au timbre de voix alliant expressivité, éraillement et puissance, fêlure et sensibilité. La tournée qui s’en suivra gagnera en énergie, urgence et puissance, ce que le tempo de l’album n’arrive pas toujours à insuffler, et dont témoignent quelques très rares enregistrements pirates.

En résumé, la découverte de ce premier effort solo nécessite au fond d’ignorer totalement la période Genesis qui précède. Un fossé béant réside, comme pour mieux nous rappeler qu’un artiste se doit de toujours repousser ses limites, pour mieux se réinventer, à l’instar de l’immense Bowie. Pour Gabriel, cette quête de soi va durer encore pendant les deux albums suivant, avant de réellement exploser, balayant toutes les certitudes d’une musique pop un peu à bout de souffle, en cette toute fin des années 70.

Pour l’anecdote, la pochette, un rien cryptique et mystérieuse (comme les deux suivantes) est signée Hipgnosis, qu’on ne présente plus, et le pare-brise mouillé derrière lequel se cache un Gabriel à moitié endormi est celui de la voiture de Storm Thorgerson, photographe et co auteur du studio. Pour le visuel, Gabriel se fit fabriquer des lentilles de contact en miroir, ce qui lui donne pour l’occasion ce regard fou et luminescent. L’album ne sera pas un grand succès mais « Solsbury Hill » sera joué un peu partout dans le monde, une ritournelle évoquant le besoin de s’émanciper de son auteur.

Nous l’aurons bien compris, son heure n’est pas encore venue.