King Crimson - In the Court of the Crimson King

Sorti le: 10/10/2019

Par Chrysostome Ricaud

Label: DGM

Site: https://www.dgmlive.com/king-crimson

Il y a tout juste 50 ans paraissait ce monument de l’histoire de la musique qu’on aime ici à Chromatique. Il fait partie de ces rares albums dont on peut dire qu’ils sont quasiment à l’origine à eux seuls d’un mouvement musical ayant fait beaucoup de petits : le rock progressif. Bien sûr, il y a eu quelques précurseurs du genre avant In the court of the Crimson King. The Moody Blues avait introduit le Mellotron, effectué la fusion entre rock et classique et développé l’aspect conceptuel sur Days of future passed sorti en 1967. Il convient de mentionner également les débuts discographiques de Procol Harum, The Nice (premier groupe de Keith Emerson), Pink Floyd, Soft Machine et Caravan. Mais ceux-ci gardent encore un pied dans les sonorités des années 60, là où le premier King Crimson fait table rase du passé ! Tout paraît permis sur ce disque… Et surtout, son impact est bien plus conséquent. Les musiciens de Genesis qui avaient déjà sorti un album influencé par la pop des Bee Gees en cette même année, voient leur univers musical totalement révolutionné à l’écoute de In the court of the Crimson King. Ils s’en iront fissa acheter un Mellotron et enregistrer un deuxième disque à mille lieux de son prédécesseur. Il faudra également quelques essais discographiques aux deux autres ténors du genre, Jethro Tull et Yes, avant de trouver la formule qui fera leur succès. Alors comment expliquer que Fripp et ses comparses soient parvenus à une œuvre aussi aboutie et novatrice à peine 10 mois après leur première répétition ? En fait le coup d’essai d’une formation aux trois cinquièmes identiques a été enregistré sous le nom de Giles, Giles and Fripp un an plus tôt. The Cheerful Insanity of Giles, Giles and Fripp est une curiosité dispensable encore éloignée du rock progressif, sur lequel officiait déjà Michael Giles à la batterie, Robert Fripp à la guitare et Ian McDonald aux instruments à vent. En remplaçant le chanteur bassiste Peter Giles par Greg Lake, un ami guitariste de Robert Fripp, le groupe trouve la formule gagnante. Dans un procédé devenu assez courant depuis Paul McCartney avec les Beatles, Lake devient donc bassiste par défaut ! On ne s’en douterait pas tellement : il forme une section rythmique imparable avec Michael Giles. Il fait également des merveilles au chant, passant avec une aisance déconcertante de la rage de «  21st Century Schizoid Man  » à la sensibilité de « I Talk to the Wind ».

En seulement cinq titres, de nombreuses facettes du prog à venir sont définies. «  21st Century Schizoid Man  » préfigure déjà le métal progressif avec ses riffs lourds et distordus et ses rythmiques complexes et saccadées jouées à l’unisson. «  I Talk to the Wind  » explore le folk progressif avec ses harmonies vocales et sa flûte enchanteresse. L’usage intensif du Mellotron sur les merveilles que sont « Epitaph » et « The court of the Crimson King » gravera à tout jamais cet instrument comme le plus iconique du genre. Quant à « Moonchild », titre le plus long et le plus expérimental de l’album (nourri de musique contemporaine pour sa sous-partie « The dream and the illusion »), il exprime à lui tout seul comment toutes les barrières de la pop des années 60 ont volé en éclats. Désormais on ne se soucie plus de faire des morceaux de 2 minutes à la structure couplet-refrain et aux mélodies évidentes pour passer à la radio. Si les deux premières minutes de cette composition répondent à ces critères, lui sont accolées 10 minutes de recherche sonore libre dont la démarche évoque le free jazz.

Malgré le côté très aventureux, avant-gardiste et hétéroclite de ce premier LP, il trouvera immédiatement son public, atteignant la cinquième place des charts anglais à sa sortie. Impossible de terminer cette chronique sans évoquer la pochette du disque. Ce visage qui crie, cadré en très gros plan, ne peut pas laisser indifférent. Avec l’autre personnage que l’on trouve à l’intérieur de l’encart, il est le pendant parfait de l’univers musical de l’album. On les doit à Barry Godber, un informaticien dont ce sera l’unique pochette puisqu’il meurt d’une crise cardiaque seulement quelques mois plus tard. La réussite de cette formation si inspirée sera aussi rapide que brève, puisque deux mois après la sortie du disque et à peine un an après la formation du groupe, Ian McDonald et Michael Giles choisissent de quitter le navire, insatisfaits de la direction plus sombre et intense que souhaite prendre Fripp. Quant à Greg Lake, il s’en ira former Emerson, Lake and Palmer avec le succès que l’on connaît, laissant Robert Fripp, resté seul maître à bord, reconstituer la cour du roi cramoisi.