Gong - Rejoice! I'm Dead!

Sorti le: 20/01/2017

Par CHFAB

Label: Madfish Music

Site: http://www.gongband.net/

Gong est mort, vive Gong! C’est ainsi, certainement, que le très regretté Daevid Allen (père historique fondateur de ce qui deviendra sans son concours l’école dite de Canterbury) aurait lui-même démarré cette chronique. C’est également le titre d’un des nombreux live de cette planète musicale qu’est Gong, fondée en 1969, maintes fois renouvelée et toujours en vie à ce jour! Mais saurait-il en être autrement? Rappelons que le cancer (You can kill my body, babe, but you can’t kill me) n’avait pas permis à l’artiste d’achever la tournée de 2015, encore moins de vivre, laissant Kavus Torabi (Kardiacs, Guapo, Knifeworld) aux commandes, lui qui avait déjà participé à l’album précédent (I See You), et fut officiellement intronisé dans Romantic Warriors III, indispensable DVD narrant l’épopée Canterbury. On y voyait Allen, le visage marqué mais incroyablement rajeuni du fait de ses cheveux coupés et de sa barbichette absente, annoncer le recrutement de Torabi (l’histoire nous dira que tout s’est décidé sur une simple conversation, sans que la moindre note n’ait été entendue)… Le coeur nous en serre encore… Restera à jamais cette image de lui, en tenue cosmique, tenant canne face à l’océan, stoïque… Inoubliable et persistant, jusqu’à sans doute notre propre dernière heure… Bienheureux ceux qui témoignèrent de la présence des deux musiciens en 2014, et dont on apprécierait une publication, vidéo ou audio, pour tous ceux qui ne purent y assister…

En attendant voici donc ce Gong nouveau, sans le maître donc (ce qui est loin d’être la première fois), mais dont la voix apparaît cependant à deux reprises, discrètement, presque l’air de rien, et en français, ce qui déclenche beaucoup d’émotion, tant c’est fait avec goût, et une grande dignité. Ce disque est aussi épaulé à l’occasion par Didier Malherbe, Steve Hillage, et Graham Clarke, histoire d’entériner le passage de sceptre. N’est pas Gong qui veut, non plus! On connaît déjà l’immense talent de Kavus Torabi, son jeu de guitare incroyable, son toucher, ses textures psyché-stoner, sa versatilité, sa voix claire et simple, ses qualités de compositeur et d’arrangeur suprême. Alors forcément les moustaches nous en viennent aux babines. L’apparition de ce nouvel album induit bien des questions, évidemment: Torabi va-t-il se fondre entièrement dans le Gong historique? Space? Jazz fusion? Ethnique? jazz rock? avant Pop Canterbury? Ou bien adaptera-t-il Gong à son propre univers, au risque de faire bondir les fans de théières volantes? Hommage, plumage, dérapage ou transformage? Et bien contre toute attente, c’est la dernière solution, la plus risquée sans doute, qui a été choisie, en adéquation parfaite avec le parcours artistique sans concession de Torabi, tout comme celui d’Allen.Rejoice I’m Dead est un album collégial et démocratique; l’esprit libre de Gong, son essence même, ont été préservés.

Imaginez une fusion improbable entre l’énergie enthousiasmante de Knifeworld (assez dominante il faut le dire), son saxo rythmique impérial, les glissandos et trilles cosmiques à la Steve Hillage (quel régal!), et les mélodies ethniques ou free de Didier Malherbe, le tout assaisonné de riffs rock très radiants façon Kavus sous influence Crimson… et ça marche! Diablement même. Le groupe y assure une excellence technique de tout premier ordre. Gong a une fois de plus pris un train en marche. On mesurait déjà les étendues qui séparaient Angel’s Egg de Gazeuse!, ou Floating Anarchy de I See You, alors pourquoi jouer la surprise? A l’allure de Rejoice I’m Dead (également le morceau titre, triomphant, contagieux, extraordinaire, défonçant tout sur son passage) on peut à nouveau se réjouir d’une telle transformation. Force, allégresse, poésie, électricité et dérive hyper spatiale sont au menu… Manqueront cependant l’absurde et l’autodérision, si constitutifs d’Allen… Une fois la nouveauté stylistique digérée (on navigue davantage dans des eaux rock que groove jazz ou funky), on se dit très vite que bon nombre des musiciens ayant traversé ce cosmos durant ces quarante-sept dernières années seraient tentés d’en refaire partie tant l’énergie et l’air frais qui s’en dégagent sont communicatifs. Une réussite donc. Une seule inconnue demeure: une nouvelle ère commence-t-elle vraiment, ou est-ce un simple hommage sans lendemain? Daevid et Gilly seuls nous le diront, de la-haut, là-bas, si loin, si grands… On n’a qu’une hâte: entendre Torabi et sa bande puiser dans le répertoire global de ce phénix, pour l’emmener sur scène.

C’est pourquoi et parce que Gong est mort que vive Gong!