Yes - Heaven & Earth

Sorti le: 06/08/2014

Par Jean-Philippe Haas

Label: Frontier Records

Site: http://www.yesworld.com

Yes, le groupe qui probablement détenait – et détient peut-être encore – le record du monde du nombre d’egos surdimensionnés au mètre carré, a connu son lot de turpitudes au fil de sa longue carrière, des conflits de personnalités le plus souvent, qui auront été (parfois) salutaires et (souvent) fâcheux pour sa musique. N’empêche, depuis Drama, on n’imaginait guère un nouveau disque sans Jon Anderson. Et pourtant, en 2008, après avoir fait comprendre à celui-ci que, bon maintenant, ça commençait à bien faire, ses problèmes pulmonaires, le groupe décide de se séparer de son mythique chanteur, pour le remplacer par le pauvre Benoît David, cinquième roue du carrosse issu d’un tribute band, qui essayera de singer le maître pendant quelques années, le temps d’une tournée et d’un album, le bancal Fly From Here (2011). Il sera remercié bien vite à la première défaillance… et remplacé aussitôt par un autre clone : Jon Davidson, chanteur de Glass Hammer.

Dans le genre « ouverture ratée », « Believe Again » se situe quelque part entre le Yes des années quatre-vingt et le Asia d’aujourd’hui, avec son lot de sirops et de facilités pop un peu anachroniques. De nombreux groupes de néo prog actuels feraient beaucoup mieux que cette chansonnette totalement indigne des Britanniques. Même constat pour « The Game », ritournelle certes entraînante mais affreusement datée. On atteint sans doute le sommet du Mont Ridicule avec « Step Beyond » et son motif de synthé de supermarché, ses couplets façon « feu de camp » et ses paroles indigentes. Ou peut-être pas, car « To Ascend » se hisse en bonne place dans la catégorie « plus bateau que moi c’est le naufrage ». Il n’y a aucun mérite à égrener ainsi tous les titres pour les enfoncer, car il n’y a réellement pas grand-chose à sauver. Seul « Light of The Ages » se situe juste au-dessus de l’acceptable et encore, ce n’est que sur les deux dernières minutes de « Subway Walls » que notre Club des Cinq se souvient qu’il est un groupe de rock. Pire : aucune brillance instrumentale ne vient sauver l’album, alors que – faut-il le rappeler ? – cette équipe compte en son sein un guitariste et un bassiste d’exception ! S’ajoute à cela un mixage sans éclat, signé Billy « The Prog Collective » Sherwood, ex-Yes connu aujourd’hui pour rassembler d’anciennes gloires et leur faire jouer ses besogneuses compositions.

Si on remplaçait Yes par Asia sur la pochette, Heaven & Earth serait un disque presque agréable, au charme désuet. Malheureusement, c’est bien sous le nom de Yes qu’il sort aujourd’hui et, en tant que tel, il s’agit d’un pur blasphème. Chères icônes de l’ Âge d’Or du prog, il faut savoir s’arrêter au bon moment ! Car, hormis Van Der Graaf Generator, rarissimes sont les groupes de cette époque à avoir su rebondir avec classe. Qu’augure donc le retour de King Crimson alors que son fondateur semblait écarter encore récemment une telle possibilité ? Quel sentiment a laissé la tournée de Genesis, à part un gros coup de cafard ? Et un Thick As A Brick 2 était-il bien utile ? Qu’ont-ils donc tous à vouloir absolument exister à une époque où ils satisferont au mieux les vieux fans indécrottables et décevront au pire amèrement ceux qui auraient aimé qu’ils s’arrêtent en pleine gloire ?

Cet album aurait probablement trouvé un écho favorable auprès du public il y a trente ans. Aujourd’hui, on n’oserait pas le mettre sur une platine en public, ni même en comité restreint, sans prendre le risque de s’attirer moqueries et ricanements à peine dissimulés. Certes, Yes n’en finit pas de mourir, alors il est un peu facile de tirer sur l’ambulance. On se sent mal à l’aise à l’idée de tacler aussi sévèrement un groupe qui a produit des œuvres fondatrices du mouvement progressif. On ne peut toutefois s’empêcher de penser que « Heaven & Hell », eût été un choix de titre sacrément plus réaliste, car passer de la grandeur d’un Close To The Edge à la décadence que résume ce tout petit disque, c’est tout simplement navrant, ma p’tite dame…