Gentle Giant - In'terview

Sorti le: 23/04/1976

Par Jean-Philippe Haas

Label: Chrysalis Records

Site: https://gentlegiantmusic.com/

La police du rock progressif considère souvent Free Hand comme la dernière œuvre digne de ce nom de Gentle Giant, qui est aussi leur plus gros « succès », si on peut qualifier ainsi une modeste place dans les charts. Doit-on rappeler à certains ayatollahs que le terme « progressif » – mal traduit de l’anglais « progressive » – était à l’époque synonyme d’innovation, de remise en question permanente ? C’est très exactement ce qu’ont fait les Britanniques quasiment tout au long de leur courte carrière. In’terview , second disque chez Chrysalis, poursuit le virage entamé par son prédécesseur, à savoir une musique en apparence plus directe, moins alambiquée, dotée d’une palette d’instruments plus resserrée, où la virtuosité est mise au service de l’efficacité. Certes, le succès plus que confidentiel des albums les plus ambitieux et les plus complexes du groupe a sans doute joué dans ce choix d’une formule plus épurée, à la production plus incisive. Mais qui oserait encore dire aujourd’hui qu’In’terview est plat ou inintéressant ?

Comme son prédécesseur, ce huitième album studio, dont le nom fait référence aux bribes de faux entretiens qu’on entend ça et là, contient en filigrane de nombreuses critiques de l’industrie musicale. Mais bien que Gentle Giant ait été échaudé par certaines contraintes et désillusions, on ne peut pas décemment reprocher au groupe d’être devenu commercial ! Prenez « Interview », en ouverture : il n’est pas sérieux de qualifier ce titre de « facile » bien qu’il soit entraînant, à sa façon, et plutôt dépouillé. Au contraire, on y retrouve des caractéristiques typiques de Gentle Giant comme ce jeu de basse syncopé si reconnaissable, les contrepoints, les petits décrochages instrumentaux inattendus. Les Anglais n’ont pas davantage mis la complexité au rencart, ni leur manie des ruptures impromptues, même dans des compositions à l’apparence plus accessible comme ce « Give It Back » étrangement funky et sa partie centrale instrumentale totalement dépareillée ou « Another Show », qui sous faux-airs de rock’n’roll puissant et entraînant dissimule une rythmique bien peu académique. De même, le côté baroque, voire moyenâgeux, bien que nettement plus discret, se retrouve par petites touches et notamment sur « I Lost My Head ». Et que dire de « Design » ? Basé sur le chant de Kerry Minnear et les contrepoints apportés par Derek Shulman, on y retrouve les harmonies vocales propres au groupe, ces canons déroutants, le tout servi par un instrumentarium minimaliste à base essentiellement de percussions. Si ce morceau n’est pas progressif, lequel peut se targuer de l’être ?

Bien qu’écrit dans la précipitation, sous la pression du label, In’terview est extrêmement varié (peut-être même l’un des plus variés du groupe, osons le dire), ne contient aucun titre bâclé, aucun remplissage, et quelques belles perles, ce qui est d’autant plus impressionnant considérant la rapidité avec laquelle il a été composé et enregistré. Et comme il n’est jamais trop tard pour redonner sa chance à un disque, on ne serait trop conseiller à ceux qui ont subi la mauvaise influence de quelque spécialiste autoproclamé du bon goût, de se replonger dans ces trente-sept minutes de pur rock progressif.