Gentle Giant - Free Hand

Sorti le: 11/03/2010

Par Christophe Manhès

Label: Alucard Records

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À partir de 1970, Gentle Giant a aligné une série d’albums d’une qualité remarquable dans laquelle chacun trouvera les cimes qui correspondent le mieux à son panorama musical. Mais cette belle réussite artistique va bientôt prendre fin. Quand Free Hand sort en 1975, période à la veille d’un repli qualitatif assez vertigineux dont, ni Gentle Giant, ni l’immense majorité des groupes de rock progressif ne se relèveront.

Alors que la presse change son fusil d’épaule en se focalisant désormais sur l’émergence du punk, plus proche selon elle de l’esprit vengeur du rock ‘n’roll, la plupart des stars du rock progressif s’engluent dans des projets vains et démesurés. Emerson, Lake & Palmer jouent dans des stades à la dimension de leur ego. Peter Gabriel s’est échappé de Genesis convaincu de la fin d’un cycle. Robert Fripp sent aussi le vent mauvais venir et dissout King Crimson laissant Bill Bruford désemparé. Les Yes font ce qu’ils peuvent pour relever la tête, sans convaincre.

En forme de baroud d’honneur, Gentle Giant publie en 1975 Free Hand avant l’inéluctable décadence. Curieusement, cet album représentera leur meilleure vente, peut-être à cause d’une production largement américanisée, c’est-à-dire directe, dynamique et plutôt rock. Pourtant il ne fait pas l’impasse sur la richesse d’écriture qui est la marque de fabrique du groupe.

Pour répondre au défi du changement d’époque pour le rock progressif, Gentle Giant a eu la bonne idée de se concentrer sur l’efficacité. Dès lors, si Free Hand est probablement le moins foisonnant des albums de la bande britannique, il parvient à dégager une énergie et un feeling qui correspondent plus fidèlement aux qualités remarquables du groupe sur scène. Gentle Giant a encore « les mains libres » et joue toujours une musique qui lui ressemble. Il en extrait même sa quintessence avec une maîtrise impériale.

Free Hand possède cette étrange faculté de faire pénétrer l’auditeur au cœur de la musique en spectateur enchanté par l’éclat de ses arcanes. Là où d’autres ont été souvent ridicules, Gentle Giant réussit à dépasser les couleurs souvent kitch de ses influences — folkloriques et baroques, toute une époque ! — pour générer une matière personnelle et délicieusement entraînante, presque funky, avec ces petits ingrédients modernes et en avance sur son temps qui font que la musique de Gentle Giant vieillira plutôt bien.

Rempli d’excellents titres, Free Hand est certainement l’album qu’il faut proposer d’écouter à ceux qui voudraient découvrir le groupe. Il les convaincra de son exceptionnel talent sans qu’ils ne soient repoussés par cette sophistication qui, pour les uns a fait le sel du rock progressif et, pour les autres a représenté une voie contre-nature rédhibitoire.