Marillion - Happiness Is the Road

Sorti le: 21/10/2008

Par Jérôme Walczak

Label: Racket Records

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Le voilà donc ce tant attendu objet des gausseries les plus éculées, décrié avant sa mise en bac, forcément, désiré par les fans, regardé avec une indifférence prévisible, voire méprisante, par les autres, questionné sur sa nature intrinsèque : progressif ? Rock ? Pop ? Tout ? Ou rien à la fois ? Marillion est d’ailleurs le seul groupe sur lequel on s’interroge avec autant de véhémence quant à son identité musicale.

Un double album, troisième du groupe après Marbles et le gigantesque live The Thieving Magpie. Qu’on le veuille ou non, Marillion ébranle à chacune de ses sorties le microcosme progressif, tout simplement parce que ce groupe existe aujourd’hui depuis une trentaine d’années, qu’il a su façonner dans les années quatre-vingt un prog’audible, majestueux, écorché se résumant à une forme véritablement vivante de la vie, et que depuis les années quatre-vingt-dix, les cinq Anglais, portée par la voix majestueuse de Steve Hogarth, explorent systématiquement de nouveaux paysages musicaux, irritent les certitudes, se livrent à des incursions dans des contrées rarement bien considérées chez les ultras du genre (la variété, la pop, et, horreur, des chansons aux refrains et aux mélodies qu’on prend plaisir à retenir ; à une époque où on s’égosille sur Björk qui joue du pipeau avec des fils barbelés, on le concède, de telles audaces peuvent heurter…). Parfois, les expériences ont des ratés, et le dernier rejeton, Somewhere Else avait déçu, trop mou, trop sirupeux, trop prévisible sans doute aussi…

Essence, le premier disque, est un concept. L’atmosphère générale peut de prime abord désarçonner : pas de tubes en puissance, pas d’envolées lyriques, aucun titre épique façon « Ocean Cloud » ou « King », mais plutôt de l’apaisement. L’idée générale : s’interroger sur la nature de la vie. Hogarth se repose donc, se détend, et fait partager sa sérénité. Il est bien délicat de distinguer les morceaux tant l’homogénéité témoigne d’une structure raffinée sans être complexe. Les claviers de Mark Kelly et les basses de Pete Trewavas enveloppent l’atmosphère de mélancolie ; la mélopée d’Hogarth, bien posée, cristalline, ponctue chaque étape d’une lente et enivrante torpeur, rafraîchissante et pétrie d’optimisme.

Ce n’est ni gai, ni triste, mais simplement doux, avec une belle part laissée aux pièces instrumentales. Essence rappelle Clutching at Straws en moins douloureux. Comme son prédecesseur, y règne la noirceur et l’onirique, dépourvu toutefois des souffrances et autres tourments qui rendirent le dernier disque avec Fish si grandiose. Mentionnons, pour être complet, le recours inspiré aux nappes de claviers, aux samples, aux petits grelots, au glockenspiel et il sera aisé de conclure que dans cette première partie, Marillion innove à nouveau tout en maîtrisant parfaitement ses idées et en privilégiant une production et un son qui font de ce disque dépouillé et simple, une bien jolie pièce de marquetterie.

La seconde partie, The Hard Shoulder reste davantage plus accessible, avec quelques titres longs dont l’extraordinaire « The Man from the Planet Marzipan », deux morceaux on ne peut plus vendeurs (« Whatever Is Wrong with You » et le celtisant « Real Tears for Sale ») qui accueillent l’auditeur dans des registres qui lui seront plus familiers. Là encore, guère de reproches à faire : la production demeure irréprochable, difficile de repérer de titres plus faibles, à l’instar des albums précédents, malgré quelques petites défaillances noyées dans un flot harmonique réalisé avec panache, unité et esthétique.

Happiness Is the Road va marquer un temps fort dans la carrière de Marillion, et, pour être honnête, il s’agit de leur premier événement réellement émotionnel depuis Clutching at Straws. Ce disque est âpre, tendre, de cette tristesse qui reconstruit et qui réchauffe les cœurs. C’est à croire que les expériences diverses du passé étaient destinées à faire profiter l’auditeur de ce qui est, enfin, une grande réussite d’un groupe qui, quoi qu’on en dise, est un des plus flamboyants du rock progressif.