Emile Parisien Quartet - Double Screening

Sorti le: 15/02/2019

Par Jean-Philippe Haas

Label: ACT Music

Site: http://doublescreening.com

Il ne chôme pas, Émile Parisien. Non content d’avoir récemment produit avec son quintette des disques marquants comme Sfumato (récompensé aux Victoires du Jazz en 2017) et son alter ego live dans la foulée, le revoilà déjà avec un nouvel enregistrement en formation à quatre, pas tout à fait la même que celle qui avait joué sur Spezial Snack, Julien Loutelier ayant la lourde tâche de succéder derrière les fûts à Sylvain Darrifourcq.

Le QR Code du visuel (qui mène à un site truffé de pop-ups aussi drôles qu’invasifs) et les titres des quatorze pièces renvoient au « concept » de l’album : « une réflexion amusée sur les dérives des nouvelles technologies, et de nos nouvelles habitudes dans la société ultra-connectée d’aujourd’hui ». Ou quand un artefact on ne peut plus ancré dans le réel – un orchestre acoustique de jazz – se moque gentiment des excès de la dématérialisation. Double Screening (en gros, l’utilisation d’écrans multiples à des fins récréatifs), c’est tout sauf de longs développements et d’interminables solos. A l’époque de la concision à outrance (essayez donc d’écrire une chronique de disque en 280 caractères), les morceaux sont directs et possèdent chacun leur petite originalité, leur manière de faire de l’œil et d’attirer l’attention, ici par la vivacité du propos, là par l’emploi complètement atypique d’un instrument. On reconnaît immédiatement la patte du quartet sur « Double Screening II », cette façon d’insérer des vides et autres micro-impromptus. Très imagé et coloré, l’album traduit le besoin d’immédiateté qu’on ressent dans la sphère de l’internet, et s’écoute comme on lirait une histoire pleine de rebondissements, avec ses moments épiques, ses scènes d’action, ses passages contemplatifs, ses séquences tristes ou inquiétantes. Le « scenario », sorte de cadavre exquis écrit tout à tour par chaque musicien, est habilement dosé, et le suspense maintenu jusqu’au bout. Sur « Hashtag IV », pendant que des cascades cristallines se déversent en une pluie rythmée, on s’avance petit à petit, en un lourd crescendo peu rassurant martelé par le piano de Julien Touéry. Vers quoi ? Un complot mondial reptilien ? Du « Spam » essaie de brouiller les pistes mais une filature discrète « Deux Points Zero », qui se finit en course effrénée, dévoile soudain la détresse d’« Élégie pour carte mère », où s’entremêlent les pleurs du saxophone de Parisien et de la contrebasse d’Ivan Gélugne. Que cache encore cet accablement ? Une chute vertigineuse où virus et chevaux de Troie se mêlent en une une gigue échevelée, celle de « Malaware Invasion » ! La folie hitchcockienne d’« Algo » nous guette-t-elle finalement dans le dédale de la matrice ? Finira-t-on emprisonné dans une toile virtuelle lentement tissée par le faucheux de « Daddy Long Legs », épuisé par la lumière bleue qui nous brûle inlassablement la rétine ?

A vrai dire, chacun mettra un peu ce qu’il voudra dans ces péripéties pleines de b(i)(ea)ts. Mais au terme de l’aventure, quelle qu’elle soit, on « like » et on « share » bien volontiers, avec force mots-dièses. #jazzmoderne #jazzfrançais #jazzextatique #avoirsurscene #jetezvousdessus