Yves Robert - L'argent

Sorti le: 13/05/2008

Par Jérémy Bernadou

Label: Chief Inspector

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Il est rare d’avoir affaire à des disques qui surprennent non seulement par leur ambition, mais aussi par leur maîtrise de l’espace sonore et de leur sujet. L’argent fait visiblement partie de ceux-là. L’idée de base est déjà très originale et inhabituelle : cet album s’apparente à un recueil de propos d’une économiste, d’un psychanalyste, d’un trader et d’un philosophe. Cette réflexion sur l’argent, ses dérives et ses effets sur des personnages d’horizons variés est non seulement singulière au niveau du sujet abordé, mais aussi dans le traitement musical. Les voix des protagonistes sont profondément retravaillées, assez proches de l’optique électroacoustique. Les phrases sont constamment déconstruites, chaque syllabe adoptant son propre sens musical, mettant en lumière la trame qui se cache derrière cet ambitieux « opéra quotidien ».

Le son est issu d’une mise en forme profonde, mais reste pourtant doté d’une apparence accrocheuse, intimement liée au vocabulaire jazz qui sommeille en cette œuvre. En effet, le trombone d’Yves Robert – souvent présent sur plusieurs pistes simultanées – donne un aspect naturel et dynamique aux compositions. Les vocalises d’Elise Caron contribuent aussi à la profonde humanité de l’album, comme sur la conclusion « Non plus – jamais assez », superbement dépouillée. D’autres procédés sont visibles en filigrane, comme les bandes sonores maltraitées sur la fin de « Crime », ou les fréquences transformées à la moulinette informatique donnant cette coloration contemporaine et expérimentale au propos musical. Il n’y a qu’à écouter « Mon trésor 3 », où la contrebasse de Jean-Philippe Morel est constamment triturée, pour se rendre compte du travail intense sur le spectre sonore. Ainsi, Yves Robert a su forger à L’argent sa propre identité sonore.

Et ce n’est pas pour autant que ce travail s’enferme dans l’intellectualisme : les boucles electro qui jalonnent l’album vivifient l’ensemble sans pour autant sembler hors de propos. Ces éléments sont desservis par une production toute en profondeur, par une réalisation et un mixage très cohérents effectués par Sylvain Thévenard, membre à part entière de la formation. De cet album émerge un aspect moderne qui en rebutera certains, mais qui en fin de compte peut constituer une intéressante initiation à ces « musiques actuelles » par son côté humain – notamment grâce aux touches jazz – mais aussi par son sujet de discussion très pertinent !