Bent Knee - Twenty Pills Without Water
Sorti le: 30/08/2024
Par Jean-Philippe Haas
Label: Take This To Heart Records
Site: https://bentknee.bandcamp.com
Soyons honnête. On avait craint que l’année 2021 ne marque la fin de Bent Knee, la fin de très grandes promesses, d’un avenir radieux pour ces jeunes Américains, pour leur musique ambitieuse et populaire à la fois. Le bancal et malaisant Frosting, composé et enregistré pendant la pandémie, semblait, sinon sonner le glas artistique de l’aventureux sextet, du moins constituer une douloureuse épine dans son pied. Gens de peu de foi que nous fûmes ! Réduite à quatre membres après le départ de Ben Levin (guitare, voix) et Jessica Kion (basse, voix), cette nouvelle formation rebondit de fort belle manière avec un album à la fois familier et différent des belles pages que ces anciens de Berklee écrivent depuis leur disque éponyme de 2011.
« Forest » remet l’église au milieu de village, si l’on peut dire, déployant son art rock raffiné dans un climat atmosphérique et solennel. Le superbe « Big Bagel Manifesto » décline encore davantage cette voie. Courtney Swain s’essaie au mélisme dans une première partie aérienne qui laisse ensuite place à un riff puissant dans un prolongement plein d’emphase. Pour autant, Bent Knee ne tourne pas le dos à cette pop largement embrassée sur son album précédent, en témoignent les extraits choisis pour faire la promotion de l’album : « Illiterate » petit îlot pop avec des motifs de guitare accrocheurs et « Never Coming Home » dont la légèreté contraste avec des paroles où transparaissent la mélancolie, renforcée par l’usage des cordes. Néanmoins, si ces titres ne comprennent aucun long développement (ce qui n’a jamais caractérisé la musique de Bent Knee, de toute manière), ils attestent de cette sophistication qui fait la signature du groupe : travail sur les textures sonores, arrangements soignés.
Les influences revendiquées – Phoebe Bridgers, Prince et Radiohead période In Rainbows – ne se dessinent que ça et là, par petites touches, dont une certaine gravité se dégageant tout au long de ces douze pistes composées, selon les propres termes du quatuor, sur les thèmes de l’anxiété et de la dépression qui résultent d’un grand chamboulement. La délicatesse éthérée de « Drowning » et le splendide crescendo de « Lawnmover » comprimeraient ainsi le cœur de n’importe quel punk endurci. Alors certes il y a moins de guitares, plus de cordes et de nappes de synthé, moins d’expérimentations noisy (mais y en aura-t-il beaucoup pour s’en plaindre ?). Toujours est-il que Bent Knee a fini sa mue, et a repris de belles couleurs en formation resserrée. Plus propre, mais loin d’être standardisé pour autant (les transitions insolites n’ont pas été abandonnées !), le son de Twenty Pills Without Water se recentre sur l’essentiel sans se renier. Peut-être le groupe a-t-il enfin trouvé sa voie véritable, une musique destinée à la fois au plus grand nombre et aux happy few.