The Mothers 1971

Frank Zappa - The Mothers 1971

Sorti le: 18/03/2022

Par Florent Simon

Label: Zappa Records

Site: https://www.zappa.com/

Dans la lignée de The Mothers 1970, la Zappa Family Trust livre sa fournée annuelle avec ce coffret qui couvre une année entre chaos et euphorie pour Frank Zappa. Après les excellents Zappa in New York Deluxe ou The Roxy Performances, voici donc 8 cds riches de 100 titres pour 6 shows complets. En complément sortent également deux triples vinyles des shows au Fillmore East et au Rainbow Theater.

C’est en mai 1971 que notre moustachu préféré part en tournée avec sa formation à travers l’Amérique du Nord puis l’Europe sans discontinuer. Surnommée “The Vaudeville Band”, celle-ci comprend le duo “Flo & Eddie” (Mark Volman & Howard Kaylan, anciens chanteurs des Turtles), Aynsley Dunbar (batterie), Jim Pons (basse), Ian Underwood (sax/claviers) et Bob Harris (claviers) qui sera remplacé par le vétéran Don Preston.

La joyeuse troupe, suite aux mouvements internes, finit par trouver un ton satirique et délivre un discours anti-establishment fidèle à Zappa. Le nouveau programme mêle comédie bavarde et instrumentation solide, sortes de sketchs musicaux entourés des pièces musicales classiques, le tout saupoudré d’une bonne couche de bouffonnerie.

Fillmore East, New York, 5 et 6 Juin

Les 6 premiers disques sont dédiés aux 4 shows de la résidence au Fillmore East de New York, devant une salle pleine à craquer. Il faut dire que leur public, de plus en plus large et jeune, raffole de ces happenings drôles et désinvoltes dont le bouche à oreille porte le goût du scandale.

D’emblée, le remastering du son dépasse le Fillmore East – June 71 ce qui classe d’office cette box dans les indispensables.

Les morceaux s’enchaînent mécaniquement dès le départ tonitruant de «Peaches En Regalia» pour atteindre rapidement le sommet, l’oratorio «Billy the mountain». Celui-ci ne fait jamais moins de 30 minutes qui sont nécessaires à la parodie rock-opéra pour déverser sa critique de la société avec brio, sans conteste l’apogée de cette formation. Prétexte aux plus excentriques improvisations, «King Kong», parfois remplacé par un «Chunga’s revenge» est tout aussi efficace.

Ono, Lennon et Zappa tapent le boeuf

Enfin, comment ne pas évoquer ce rappel du 6 juin où John Lennon et Yoko Ono se sont invités spontanément sur scène pour un bœuf imprévu. Démarré par un blues traditionnel «Well» trop sage et ponctué par les ululations de Ono, celui-ci devient exaltant une fois nos amoureux prêtés au jeu de la fameuse conduite au doigt du compositeur.

Ravis par ce one-off, les deux protagonistes décident de sortir chacun de leur côté cette réunion. Cependant, Lennon sortira dès l’année suivante un mix dénaturé et cisaillé, dont Zappa aura disparu des crédits; cela le forcera à attendre le retour de ses bandes en 1992, pour en restituer la réalité sur son Playground Psychotics.

Concert hybride, Pennsylvanie, 1 et 3 juin

Après ce chapitre, le “Vaultmeister” Joe Travers propose un concert hybride basé sur les précédentes dates à Scranton et Harrisburg. Cette soirée, avec une playlist déjà entendue 4 fois, reste très dispensable. La ferveur du public, moins discrète, les piquantes reprises désuètes ou encore les solos enflammés sur «Billy The Mountain» permettent toutefois l’émergence d’un certain charme.

On estime que ces 80 minutes auraient pu être mieux utilisées, par exemple par d’autres morceaux de choix absents ici, que ce soit du show du 7 août à l’UCLA (dont est extrait Just Another Band from L.A, publié en 1972) … ou encore, celui du 4 décembre au Casino de Montreux qui fera l’objet d’un culte notamment grâce au bootleg Swiss Cheese/Fire.

La formation 1971 dans le film 200 Motels

En effet, ce show rentrera dans la légende à cause d’un incident survenu à sa fin, lorsque les 3000 spectateurs durent quitter prestement un casino en feu à cause du lancement d’une fusée éclairante. Le groupe s’en sortira sain et sauf, mais devra faire une croix sur son matériel sono et lumière. Toute cette histoire sera relatée dans le morceau «Smoke on the water» de Deep Purple présents ce soir-là.

Rainbow Theater, London, 10 décembre

Le show londonien qui conclut ce tour est l’unique témoignage de leur périple européen. Eux-même n’auraient pas imaginé ce genre de mésaventure dans leur film 200 motels tout juste sorti, qui raconte ironiquement l’absurdité et la lassitude des déplacements sans fin lors des tournées (où quand la réalité rejoint la fiction). Côté technique, on assiste là aussi à un sans faute pour ce concert remixé par le grand Eddie Kramer qui y apporte clarté, équilibre et présence.

Les Mothers ont donc dû récupérer du matériel au plus vite, comme en témoigne cette balance en début du show vite dédramatisée par un Zappa toujours caustique. Et une fois le point fait, la magie revient vite. On sent que le groupe a gagné en cohésion et en virtuosité, avec un léger abandon de la comédie. Parmi les points forts, une nouvelle suite intitulée «Divan», incomplète ici, où ce long couloir instrumental «Pound for a brown» / «Sleeping in a jar», représente incontestablement le moment fort de la soirée. Certaines expérimentations font penser à la folie des premiers Mothers («Super grease»), et la musique se fait volontiers de plus en plus jazz rock, quand bien même les amateurs de rock uptempo apprécieront la dyade «Wonderful Wino» / «Sharleena».

Hélas! Après un «King Kong» jouissif de 20 minutes, le rappel en clin d’œil «I wanna hold your hand» va de nouveau être gâché par un spectateur qui pousse Frank du haut de la scène, qui, dans la stupeur générale, chutera de plusieurs mètres. Ce choc glacial de dernière minute viendra contraster la joie débordante qui régnait jusqu’alors. Cet ultime événement sonnera ainsi le glas de la tournée et de la formation, autant qu’il impactera le reste de la vie de Frank Zappa en termes de santé mais aussi de direction artistique. Laissé pour seul et suite à une rééducation intensive de 6 mois, il se réinventera courant 1972 en chef d’orchestre jazz fusion avec les captivants Waka/Jawaka et The Grand Wazoo.

Outre le caractère historique, c’est donc avant tout la qualité sonore exceptionnelle qui fait l’intérêt de ce coffret, nonobstant la quantité de musique (certes encore loin des mastodontes de King Crimson) qui totalise 10 heures d’archives. Une sélection plus courte et variée aurait certainement été aussi efficace, surtout si l’on considère les quelques moments phares absents ici.