6:33 : back to the eighties

Profitant de leur premier concert pour promouvoir leur nouvel album Feary Tales for Strange Lullabies : The Dome, nous sommes allés prendre des nouvelles de 6:33. C’est donc la formation live que nous retrouvons dans les loges avant leur montée sur scène : Nicko (guitare, composition), Rorschach (chant, paroles), Vicken (batterie), Mister Z (claviers) et Mano Low (basse).

Ce n’est pas toujours facile de s’y retrouver avec vos pseudonymes. N’y avait-il pas un deuxième claviériste dans le groupe ?

Nicko : Emmanuel qui est présent sur tous les disques a choisi d’arrêter la scène par manque de temps, mais il reste dans le groupe pour tout ce qui est enregistrements et production. C’est dans son studio qu’on a enregistré l’album. À chaque sortie on nous demandait s’il était parti car il s’amuse à changer de pseudonyme : Dietrisch von Schtrudle puis Howahkan Ituha.

Pourquoi avoir commencé par vous produire masqués ?

Nicko : C’était une blague. On était des fans ultimes de Mr. Bungle qui eux aussi à leur débuts étaient masqués, donc on a voulu leur rendre un petit hommage. On s’est dit aussi que ça nous permettrait de nous lâcher complètement.

Rorschach : Il y avait un côté esthétique, comme une troupe de théâtre. Mais ça a fini par nous saouler. On perdait le contact avec le public. Et après le confinement c’était moins drôle.

Nicko : On joue avec des oreillettes donc déjà on n’entend pas les gens. Ça rajoutait une barrière. À la fin j’avais l’impression de faire les concerts tout seul dans mon coin.

Avoir un batteur est une nouveauté pour le groupe. Pouvez-vous nous expliquer comment c’est arrivé ?

Vicken : Je connais le groupe depuis longtemps. Un jour j’ai retrouvé Nicko en soirée qui m’a dit qu’ils cherchaient un batteur car tout le monde leur dit que ça serait mieux, visuellement et au niveau du son. Il m’a envoyé deux morceaux à jouer, je me suis filmé et je leur ai envoyé.

Vicken, joues-tu sur le nouvel album ou est-ce qu’il y a encore de la programmation de batteries ?

Nicko : Lorsqu’on a commencé à chercher un batteur, l’album était déjà enregistré. Donc Feary Tales a été fait comme les autres avec des batteries programmées. Mais personne ne nous a grillés jusqu’à présent. Tu le découvres maintenant ou tu l’as deviné en l’écoutant ?

En l’écoutant je ne sentais pas la plus-value d’un batteur. Je trouvais que ça sonnait comme sur les précédents albums, ce qui me laissait imaginer qu’il y avait encore de la programmation. Ça n’enlève rien au fait que les batteries sont très réalistes et réussies, mais on ne sent pas les nuances et l’élasticité du tempo qui résulteraient d’un jeu humain.

Nicko : A l’époque de Deadly Scenes, Batteur magazine nous avait envoyé un mail pour interviewer notre batteur. Ça va être compliqué, il n’est pas très bavard ! (rires)

Rorschach : Hier soir j’ai joué avec Romain Bachelard, batteur d’Obispo entre autres. Je lui ai donné le disque en le prévenant que les batteries étaient programmées. Il m’a envoyé un message et il m’a dit : « franchement, sans déconner ?! ».

Nicko : Sur le nouvel album, à la différence des autres, il y a beaucoup de morceaux où on a utilisé des vieilles boîtes à rythme. On voulait ce côté un peu eighties, rétro. Sur « Flesh Cemetary » par exemple, c’est la Linn LM-1 qui a été utilisée sur « Mama » de Genesis ou encore « Radio Gaga » de Queen. C’est assumé.

Vous nous avez habitués à un album tous les deux ans. Cette fois-ci il a fallu patienter six ans. Que s’est-il passé ?

Rorschach : On a monté un spectacle pour Deadly Scenes avec lequel on a tourné pendant deux ans. On a commencé à bosser en 2017 sur le nouvel album, on enregistrait au fur et à mesure qu’on créait les morceaux.

Nicko : Entre temps je suis devenu papa, Rorschach aussi, j’ai déménagé, on s’est mangé une pandémie, ce qui fait qu’on a effectivement pris un retard comme jamais auparavant.

Vous avez sorti quatre albums excellentissimes sans bénéficier d’une reconnaissance à la hauteur de votre talent. Êtes-vous parfois tentés d’arrêter 6 :33 ?

Nicko : Tous les trois jours ! Des fois je me demande pourquoi je perds mon temps à faire ça. Mais c’est une drogue, avec ses bons et ses mauvais côtés. Certains matins tu te sens comme le roi du monde et deux jours après tu es la plus grosse merde. Tu vas essayer de composer un morceau, tu vas y passer deux semaines, mais tout ce que tu sors est pourri, tu te dis « ça y est je suis fini ». Et le jour d’après tu vas faire ton meilleur morceau !

Rorschach : Je suis assez d’accord avec toi, avec la musique qu’on fait on mérite d’aller chercher un peu plus loin. Mais il ne faut pas oublier que quand on avait 15 piges, notre rêve c’était ce qu’on est en train de faire : répondre à des interviews, parler de notre musique et voir notre gueule dans les magazines, donc c’est déjà gagné. Évidemment, si on pouvait gagner un peu plus de sous, faire en sorte qu’on n’en perde plus et qu’on puisse tourner un peu mieux… Mais je me considère déjà très chanceux, on a déjà une place dans le milieu musical.

J’imagine que la presse vous compare très souvent à Mr. Bungle. Est-ce lassant pour vous ou bien prenez-vous cette référence comme un grand honneur ?

Nicko : Ça reste un grand honneur. Après, avec le dernier album on ne nous l’a pas sorti une seule fois et je suis étonné.

Rorschach : On a souvent fait le rapprochement avec Mike Patton me concernant, parce que vocalement on a un peu le même timbre, la même démarche artistique. Je suis flatté, même si on n’est pas au même niveau. Et si tu décortiques un peu, on n’utilise pas les mêmes cris, on ne fait pas vraiment la même chose. Mais ça reste du chant clair qui alterne avec des bruits, des cris et on n’est pas trente-six à faire ça non plus donc tout de suite les gens te mettent dans une case. Mais un final, on nous parle de moins en moins de Mr. Bungle ou de Devin Townsend parce que c’est un peu établi, mais plutôt de tout le reste : Michael Jackson, Britney Spears, Paula Abdul. Il y a plein de mélanges, on va nous dire « j’entends du Queen, j’entends du Zappa », c’est plutôt ça qui revient plus que simplement la case Mr. Bungle. Finalement je pense qu’on en sort pas mal avec le nouvel album.

Arno Strobl a collaboré à plusieurs reprises avec vous. Le groupe Carnival in Coal a-t-il participé à vous montrer la voix d’une musique mélangeant le métal extrême aux genres les plus kitsch ?

Rorschach : Oui, Vivalavida m’a beaucoup marqué.

Nicko : Je n’ai jamais osé le dire à Arno, mais avant de le rencontrer je n’avais jamais écouté son groupe !

Comment s’est faite votre rencontre du coup ?

Nicko : C’est l’ancien chanteur qui était fan et qui lui avait demandé de faire une petite apparition sur le morceau éponyme du premier album. C’est comme ça que je l’ai connu. Depuis j’ai écouté du Carnival in Coal et j’ai vu tout de suite le lien. C’est fou de se dire que je ne les avais jamais écoutés, parce que Dieu sait que j’étais fan de ce style-là !

L’imagerie déployée autour de cet album est très différente des précédents. Pouvez-vous nous parler de l’ambiance que vous avez cherché à créer ?

Nicko : Je trouve qu’en ce moment il y a une ambiance particulière dans la pop culture, le cinéma, la musique. Une petite nostalgie des années 80 qui dure depuis cinq, six ans. Tu vois les séries qui cartonnent comme Stranger Things, tous les remakes de vieux films des années 80. On a essayé de faire notre petite madeleine de Proust : des sons, des vieux synthés, tout un tas de choses qui nous rappelaient ce qu’on écoutait quand on était mômes. Et donc ça passait par l’imagerie. Tout l’artwork a ce côté Blade Runner, les néons, les pochettes colorées. Et l’album est comme ça, je le trouve coloré et beaucoup plus positif que ce qu’on a fait avant.

Rorschach : L’album est très eighties, nineties. C’est un sorte d’hommage à cette période parce qu’elle nous a construits. Entre nos 10 piges et nos 25 piges on a vécu ces deux décennies et ça a forgé tout ce qu’on est là. C’est ça qu’on essaie de retransmettre dans cet album.

Quel est le concept de cet album ?

Rorschach : On a développé ce qu’on avait mis en place dans Deadly Scenes. Dans les clips de « Black Widow » et « Nerd » on a commencé à dessiner un univers parallèle à la Sliders. J’aime bien cette série. J’ai créé cette mégalopole, The Dome, et c’est l’histoire d’un jeune artiste qui arrive à la capitale. Il y a toujours plein de voix dans ma tête, un peu comme dans le dessin animé Vice Versa. Le premier morceau « Wacky worms » parle de ça, de tous les vers dans la tête qui te parlent en même temps et te poussent à agir. Le héros va essayer de percer, et son parcours initiatique lui fait rencontrer des personnages hauts en couleurs comme le « Holy Golden Boner », le plus gros pimp du dôme, qui va le prendre sous son aile. L’album parcourt les moments où ça marche pour lui mais aussi ses phases de remises en question. Et la fin de l’album n’est pas la fin de l’histoire. Il y aura une deuxième partie.

Ce n’est pas la première fois que vous faites un album conceptuel. En quoi est-ce important pour vous ?

Nicko : Quand je me lance dans la composition j’ai du mal à ne pas avoir des images, une couleur, quelque chose. Je ne peux pas juste écrire un morceau pour écrire un morceau, ça ne m’amuse pas spécialement. Pour cet album on s’était fait cette ligne rouge, le côté eighties, Blade Runner.

Rorschach : Lui ça lui fait penser à des morceaux qu’il m’envoie, et moi ça me fait penser à des textes. On construit le truc au fur et à mesure et on voie où ça nous mène, mais on reste cohérent avec l’idée de départ.

Vous intégrez souvent des samples de voix parlées dans vos albums. Où les trouvez-vous ?

Nicko : Des fois on va tomber sur un sample par hasard qu’on trouvera drôle et qu’on voudra utiliser, ou inversement des fois il faudra chercher et là c’est plus long. Pour « Party Inc. », j’avais trouvé une vidéo américaine qui disait « ne couchez pas avant le mariage… », et je trouvais ça tellement en décalage avec notre société d’aujourd’hui que j’en ai pris un petit bout, parce que ça s’entrechoquait avec le message de la chanson.

Et sur le précédent album vous aviez enregistré un narrateur…

Nicko : Manu avait un ami américain, on l’a fait venir en studio et il a raconté toutes les conneries qu’on lui demandait ! C’était tellement pointu et ça rentrait tellement dans la construction du morceau en lui-même qu’on ne pouvait pas trouver ça sur internet.

Vos morceaux semblent couler de source alors qu’ils partent dans tous les sens. Quel est votre secret ?

Nicko : Je fais les trucs comme ça, et au fur et à mesure que j’avance sur un morceau, j’envoie les démos à Manu. Il a l’oreille fraîche, et il me dit ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Si j’ai un petit doute ou que quelque chose tombe comme un cheveu sur la soupe, il le voit tout de suite.

Vous avez un vrai talent pour écrire des mélodies addictives. Est-ce quelque chose qui vous vient inconsciemment ou y a-t-il une recherche consciente de votre part de mettre l’accent sur cet aspect-là ?

Nicko : Quand j’écris une mélodie et que je veux qu’elle soit catchy, je la réécoute le lendemain. Si l’envie de l’écouter perdure pendant une semaine, c’est bon signe. Si au bout de deux, trois jours je n’ai plus cette envie de mettre la démo dans ma caisse en allant bosser, c’est que ça ne fonctionne pas.

Rorschach : Il va même jusqu’à me dire les sonorités qu’il entend en yaourt, et moi je me démerde pour faire un texte qui rentre dedans au poil de cul. On s’entend bien, c’est vraiment un travail de compositeur et d’auteur à l’ancienne qu’on ne retrouve pas si souvent que ça. On a de la chance de s’être trouvés parce qu’on se comprend complètement. C’est un exercice qui est super intéressant pour moi.

Qui seraient selon vous les maitres ultimes lorsqu’il s’agit d’écrire des mélodies addictives ?

Rorschach : Paul McCartney, Elton John, Aerosmith…

Nicko : C’est marrant parce que j’adore Devin Townsend, je le mets sur un piédestal, et pourtant je trouve que c’est pas le mec qui écrit les refrains les plus addictifs. Par exemple Townsend n’a jamais sorti un « Midlife crisis », un refrain comme ça, tu te le manges et tu le chantes toute la semaine ! Dans Faith No More il y a des refrains ultra catchy, tu as aussi « Last cup of sorrow » [tout le monde se met à chanter]. Tu vois, tout de suite, tu as envie de la chanter.

Rorschach : C’est plus simple, plus efficace que Townsend ou Mr. Bungle. Peut-être que c’est-ce qu’on a voulu faire aussi avec 6:33, être plus immédiat  dans notre proposition musicale.

Avec cet album on sent le métal extrême, d’où vous venez, plus lointain que jamais, et inversement le côté pop de votre musique plus présent que jamais. Pouvez-vous nous parler de cette évolution ?

Tous : On vieillit ! (rires)

Rorschach [s’adressant à Nicko] : Tu étais vachement influencé par The Dillinger Escape Plan à l’époque.

Nicko : C’est vrai que quand on a commencé 6:33 je voulais faire un mix entre du mathcore et du Bungle.

Rorschach : Si tu réécoutes le premier album, c’est un peu bordélique. Nicko maitrise de mieux en mieux son art.

Nicko : J’ai du mal à le réécouter, mais quand je le fais, je pense à un clébard qui court partout.

Mister Z : C’était vraiment le défouloir, on avait tous des groupes à côté. On avait fait une reprise de East 17 où on s’était fendu la gueule. C’était n’importe quoi, ça bourrinait, il y avait des passages un peu techno, du pipeau au milieu. On était jeunes et  cons et on avait besoin de rigoler.

Nicko : Il y avait ce côté sale gosse, c’est vrai. On avait des groupes sérieux, moi je faisais du prog instrumental, Mister Z du néo-métal, Chris était dans un groupe de death mélodique et on avait envie de faire un truc pour se marrer et surtout pour mettre les choses qu’on ne pouvait pas mettre dans nos groupes respectifs. Mais comme tu dis, il y avait encore cette sève très métal.

Ce « tout est permis » est l’essence même du groupe depuis le début. Sur le nouvel album, entre ce qui ressemble à une musique de film pour enfants, des cuivres funky ou encore des mélodies dignes des Beach Boys, avez-vous l’impression d’essayer d’aller toujours plus loin dans le mélange des genres ?

Nicko : On n’a jamais bossé avec un cahier des charges. Avant on trouvait peut-être marrant de mettre tel ou tel style : un passage country ici ou jazzy là. Pour Feary Tales, c’était une ambiance générale. Tant que ça rentrait dans le moule qu’on s’était fixé, c’est-à-dire les années 80, 90, ça fonctionnait. On savait où aller en prenant des petits trucs à droite à gauche dans ce qu’on aimait de cette époque.

Y a-t-il d’autres dates de concert prévues ?

Rien d’officiel pour l’instant. C’est en chantier donc on ne peut pas encore en parler.