Jordsjø - Pastoralia

Sorti le: 07/05/2021

Par CHFAB

Label: Karisma Records

Site: https://jordsjo.bandcamp.com/

Troisième parution studio pour ce duo norvégien, qui décidément, sans lâcher un seul détail de son esthétique (Hammond, Mellotron, piano, guitare, basse, batterie), n’en finit pas de peaufiner son art, franchissant encore un palier vers une maturité tout bonnement miraculeuse. On croirait traverser les années dorées du mouvement progressif, époque où il semblait que chaque nouvel album, pour chaque groupe, était un pas supplémentaire vers la beauté, l’affinement d’un style, et une recherche incessante. Pour les novices, Jordsjø distille un magnifique mélange de rock folk (Jethro Tull pour faire court, la présence d’une flûte sur quasi chaque pièce ne faisant qu’entériner ce constat), d’ambiances empruntant aux musiques de film d’horreur italien (Argento, Bava, Fulci, avec Goblin bien sûr, ou un Anglagard apaisé et tout en harmonies), un symphonisme pétri de mélancolie nordique (le Yes de Fragile vient immédiatement en tête, avec ses paysages blancset froids), enfin des constructions de thème faites de ruptures ou d’accalmies. Pastoralia (un titre pas si fidèle à son programme) en est à la fois sa quintessence et sa pierre angulaire, tant il semble encore surpasser son devancier (Nattfiolen) déjà très réussi, avec ses paysages de rêve éveillé.

Håkon Oftung (voix, claviers, guitares, flûte) et Kristian Frøland (batterie et percussions) semblent inépuisables, tant chaque morceau est un sommet d’inspiration, de ravissement, de déroulement, de contrastes, et leur art y apparaît plus que jamais consommé. Sans pourtant déplacer leur instrumentarium d’un iota, les deux compères ont eu l’excellente idée de convoquer quelques ornements extérieurs, imbriquant ainsi avec un naturel déconcertant une clarinette basse (splendide et décisive), un violon, une guitare ou une contrebasse. Des ajouts du plus bel effet, insufflant au symphonisme vénéneux de ce rock-là une atmosphère d’orchestre de chambre, aux arrangements superbes, pour des séquences absolument magnifiques. Une aparté boisée, avec une guitare acoustique dentelée au possible (« Fuglehviskeren »), articule le tout, pour ne pas déroger à la règle de cette impression divinement rétro et intimiste. Certaines mélodies vous restent en tête (« Skumring i Karesuando »), planant haut et fort, gage d’une ambition ayant le souci de rester à la portée de tous. Chaque écoute de ce Pastoralia est une récompense sans cesse accrue. Quarante-cinq minutes sont présentées, avec la volonté d’allier richesse et fluidité, et toujours une touche humaine et populaire (chant modeste, respect de la langue natale), dans le tout meilleur sens du terme. Pari plus que réussi et sincérité garantie, car ce disque d’exception s’écoule avec une exceptionnelle évidence, une beauté toute capiteuse, une magie semblant universelle, dont chaque méandre agit sur vous, inexorable, et avec un son qui lui rend enfin justice. C’est le propre des très grands classiques. Nul doute qu’il ravira les amateurs du premier jour, mais peut-être les moins curieux. Un petit bémol cependant, pour le visuel, dessiné par Sindre Foss Skancke, un peu en mode automatique, dont les formes naïves et bariolées laisseront dubitatifs certains d’entre nous … C’est aussi la limite d’une surface CD, là où le format vinyle sait rendre le sens du détail bien plus prégnant. Saluons du moins ce qui finit par devenir la charte graphique du groupe, puisque depuis le début cet artiste est présent sur chaque pochette.

Mine de rien, Jordsjø est tout simplement en train de prendre la tête du prog scandinave de ces quinze dernières années. Ou comment faire du merveilleux avec du vieux, tout en lâchant une bonne petite claque à ses aînés de vingt ans. Et paf. Ascension irrésistible… Disque d’exception.
Album de l’année. Et de loin.