Frédéric Delâge - Mike Oldfield : Tubular Bells et au-delà

Sorti le: 22/04/2021

Par Jean-Philippe Haas

Label: Le Mot et le Reste

Site: https://lemotetlereste.com/musiques/mikeoldfield/

Outre le fait qu’ils soient anglais, Kate Bush et Mike Oldfield ont plusieurs points communs, et non des moindres : leur précocité, leur personnalité singulière, leur attachement à vivre reclus et leur volonté de maîtriser entièrement le processus créatif. Est-ce cela qui a séduit Frédéric Delâge au point de leur consacrer à chacun un ouvrage entier ? Ou bien est-ce le fan qui s’exprime, frustré qu’il n’existe aucune littérature en français consacrée à ces deux personnages importants de l’histoire du rock ? Car bien qu’ils se fassent discrets aujourd’hui, tous deux ont connu une immense popularité, ont durablement influencé une multitude d’artistes contemporains et restent encore dans de nombreuses mémoires.

Pour beaucoup d’entre nous, Mike Oldfield évoque principalement le hit de 1983 « Moonlight Shadow » interprété par Maggie Reilly, ou peut-être les quelques notes entêtantes et vaguement inquiétantes de la bande originale du film d’horreur L’exorciste. Mais qui sait de nos jours que l’album Tubular Bells contenant ce passage est celui qui a lancé par son incroyable succès la maison de disque de Richard Branson, Virgin Records ? Dans son nouveau livre, Frédéric Delâge revient sur la genèse d’une œuvre atypique évoluant à la croisée des genres et sur la vie de son auteur, artiste torturé tout aussi atypique.

Avec un style narratif désormais bien rôdé, Delâge évite toutes les embûches habituelles de ce type d’ouvrages comme les analyses musicologiques fastidieuses, les avis personnels trop envahissants et la subjectivité flagrante de fan, les digressions et l’abondance de détails inutiles : ces derniers sont relégués en notes de bas de page pour les lecteurs avides d’exhaustivité. Au contraire, par un découpage bien aéré, Tubular Bells et au-delà peut se lire d’une traite tel un bon page-turner. La première moitié est ainsi consacrée à cet album quasi légendaire, depuis les premiers pas musicaux de son créateur jusqu‘à son succès phénoménal inattendu et ses diverses conséquences. La seconde moitié du livre couvre le reste d’une carrière en dents de scie, pendant laquelle cette première réussite majeure va souvent réapparaître sous différentes formes, entre « suites » plus ou moins réussies, rééditions diverses et exposition mondiale aux allures de reconnaissance universelle aux JO de 2012.

Au fil des deux cents pages, on apprend donc entre autres que le jeune Oldfield était un artiste angoissé souffrant de crises de panique suite à une prise de LSD, que la musique a longtemps été pour lui une sorte de thérapie, qu’il n’a nullement eu son mot à dire en ce qui concerne l’inclusion de son œuvre dans le célèbre film de Friedkin (qu’il n’a finalement vu que des années plus tard), qu’il a un temps élevé un lion chez lui, puis suivi une thérapie de choc qui l’a débarrassé momentanément de ses peurs et blocages, que Five Miles Out est inspiré d’un vol qui a failli mal tourner, qu’Amarok contient « Fuck off RB » (pour Richard Branson) codé en morse, qu’il a vécu son adolescence sur le tard à Ibiza dans les années 90… et une multitude d’autres informations toujours très bien documentées.

Comme l’a fait Kate Bush : Le temps du rêve, ce livre comble une lacune dans un pays où on trouve presque à coup sûr, aujourd’hui encore, un exemplaire ou deux de cet album à la pochette emblématique chez le disquaire d’occasion du coin ou les grandes enseignes dites « culturelles ». S’il donne envie de se replonger dans Tubular Bells avec une connaissance nouvelle de l’œuvre et d’approfondir le sujet Oldfield (mais aussi d’éviter soigneusement certains disques !), souhaitons qu’il incite une plus jeune génération à découvrir cet incontournable représentant du bouillonnement créatif propre aux années soixante-dix.