Needlepoint - Walking Up That Valley

Sorti le: 21/01/2021

Par CHFAB

Label: BJK Music

Site: https://needlepoint.bandcamp.com/album/walking-up-that-valley

Onze ans que ce quatuor norvégien créé en 2010 existe, dont les compositions, les textes (anglophones), le chant, les guitares, la flûte, le violon et le violoncelle sont admirablement pris en charges par Bjørn Klakegg, son instigateur, et que pas un d’entre nous ne le sait ! Il aura fallu tomber dessus par hasard (enfin, pas tout à fait) lors d’errances sur des sites d’outre France pour trouver une infime chance à ces grands talents de surnager, quelques minutes, dans cet immense bouillon médiatique que brassent nos écrans… Il faut creuser, forer, gratter, cliquer sans cesse, tant il est difficile de sortir quelque chose d’un tant soit peu insolite, sincère, profond, parmi tout ce qui sort chaque semaine… Ces derniers temps les coups de cœur des bilans annuels se font rares, ce qui n’annonce pas forcément un niveau de médiocrité accru, si ce n’est un manque de visibilité, de possibilités de discernement, de découvertes, en un mot. Plus on a accès, moins on a accès, pourrait-on dire… Rien que le temps consacré à la recherche, c’est du temps en moins d’attention, d’écoute, et il devient de plus en plus difficile de dissocier le son de l’image. Pour nos enfants, cela semble même plié… Réjouissons-nous du coup, car ici il n’y aura que du son (une seule vidéo sur le net! Et amateur!) car 5 albums avec Needlepoint s’annoncent, dont le tout dernier ici présent: Walking Up That Valley.

Voici donc un univers emmené par un multi instrumentiste, chanteur, auteur et compositeur, ayant donc toutes les cartes pour tisser quelque chose de personnel. Et en effet, son chant, tout en retenue, en fragilité quasi enfantine, rappelle un certain Pye Hastings (Caravan), et épouse les méandres d’une musique nuancée, au charme infini, aux progressions d’accords franchement magnifiques, lumineux et pleins d’émotion intériorisée, décochant parcimonieusement quelques soli splendides de guitare, à mille lieues d’un prog positiviste et tapageur, ni sombre ou tendu, mais rejoignant davantage les rivages d’un Robert Wyatt bien groovy. L’album précédent, (The Diary Of Robert Reverie, 2017, une merveille) en dit long sur ce point, pochette comprise. On retrouve ici les mêmes eaux intimistes, le même appétit pour la rythmique, la même modestie, le même esprit de recherche, la même beauté instable, fruits d’une méticuleuse élaboration 60s et psyché. Chaque pièce est un enchantement, un sentier dont on ne sait où il mène, si ce n’est qu’il nous console de quelque chose, nous rappelle sans cesse que malgré les coups de la vie, les embûches, les déceptions, il demeure des éclats vivaces de poésie, de tendresse, de soleil dans les sous bois, d’amour (peut-on encore oser le dire aujourd’hui sans passer pour un niais ?). Et par les temps qui courent, lâcher son néo prog gothico hard métal des grands jours, ça peut faire du bien!

Les musiciens entourant Klakegg sont au diapason, offrant un écrin d’inspiration forcément jazz, mais aussi pop, tant les mélopées savantes (mais toujours harmonieuses) du patron y invitent. Et le miel de s’écouler chaque instant… Il faut entendre le travail incroyable de la batterie, véritable phénomène d’expression et de métronomie libre (Wyatt encore)… La basse (membre attitré d’Elephant9!) est arachnéenne, fuzz en diable, et en recherche perpétuelle. Les claviers sont incroyables d’expressivité, suintent l’analogique d’une pop finement saturée, entre Caravan (le morceau d’ouverture), le Soft Machine de Volume II, Homunculus Res pour sa fantaisie tendre, les Beach Boys ou Canned Heat pour leur délicatesse vocale, Motorpsycho (l’intro du deuxième morceau par exemple) pour certaines plages d’improvisation, ou encore Dungen pour son sens onirique. Deux plages de guitare dépouillée viennent en ponctuation. Il se dégage de ces rivières une évidence, un charme fou, une fluidité qui font immédiatement mouche, l’air de rien, et avec bien évidemment quelque chose de nordique, dans leur approche psyché rock si chaleureuse. Cette fameuse mélancolie heureuse… Un oxymore musical donc!

Bref, il n’y a rien à jeter dans cette proposition discographique, dont cet album, qui nous invite à prendre un brin de recul, n’est qu’une magnifique porte d’entrée et sera dans le Top 10 de cette année. Ce groupe doit absolument sortir de l’anonymat!