Transatlantic - The Absolute Universe - The Breath of Life

Sorti le: 05/02/2021

Par Julien Giet

Label: Inside Out

Site: https://www.transatlanticweb.com

Ils sont quatre. Quatre comme les Tortues Ninjas. De là à imaginer Neal Morse, Mike Portnoy, Pete Trewavas et Roine Stolt déguisés en tortues géantes avec un bandana sur le front, l’idée est séduisante. La métaphore n’est pas seulement amusante ; armés de leurs instruments caractéristiques ils embarquent à bord leur dirigeable (dessiné par Pavel Zhovba) afin de répandre sur le monde – sur l’univers même – le récit d’une Odyssée musicale ambitieuse. Tels des héros, les Avengers du rock progressif sont de retour pour défendre les couleurs et l’esthétique d’un genre ancré dans son époque. Tout comme leurs homologues de fiction, ils officient fréquemment chacun de leur côté dans le but de conserver la passion de l’épopée à travers des exploits tous plus aboutis les uns que les autres avant de se réunir pour faire face à des ambitions qui les dépassent individuellement ; et c’est ensemble qu’ils franchiront un nouveau pallier dans la démesure.

La genèse de The Absolute Universe a de quoi alimenter la métaphore chevaleresque. Lors de sa conception, ce projet a vu naître deux visions qui se sont opposées ; celle de Roine Stolt qui semblait motivé par la réalisation d’un double album concept (exercice qu’il réussit avec brio notamment avec la dernière production de The Flower Kings, Islands) contre celle de Neal Morse qui cette fois ci n’en avait pas envie (exercice auquel lui aussi est pourtant habitué : The Great Adventure, The Similitude of a Dream, Testimony, Jesus Christ the Exorcicst, …), mais plutôt d’un format simple avec des pistes plus individualisées. Comment gérer cette divergence artistique sans pour autant risquer de perdre l’osmose ? Mike Portnoy a trouvé la solution ; sortir non pas un mais deux albums distincts. L’un d’eux sera un album simple qui correspondra à la vision de Neal Morse et l’autre sera un double qui contiendra l’ambition de Roine Stolt. Pour matérialiser (et justifier en quelque sorte) ce multivers, Transatlantic a eu l’excellente idée de proposer des variations dans les chansons qui se trouveront en doublon (jusqu’aux changements de paroles et de titres ; « Swing High Swing Low » sur Forevermore devient « Take Now My Soul » sur The Breath of Life par exemple). Ainsi, The Absolute Universe annonce la couleur ; avant même d’avoir goûté le plat, nous sommes déjà resservis.

A partir de ce point, la suite de la chronique concernera la version The Breath of Life. Pour lire l’article consacré à Forevermore, nous vous invitons à cliquer ici. Les conclusions des articles seront identiques.

En compagnie de cette lecture version Neal Morse, un sentiment viendra dominer notre appréciation de l’œuvre : ça sonne comme du Neal Morse. Cette expression doit être prise dans les deux sens du terme : qualitativement, Neal Morse n’a jamais rien eu à se reprocher. The Breath of Life est bien construit, les chansons entonnent des refrains qui ne vous lâcheront pas. Le défi principal sera de ne pas chantonner inconsciemment « Heart is like a whirlwind ». Pour autant, ce reproche (de luxe, soyons clairs) vient entacher ce tableau idyllique. Car Neal Morse, en plus de la qualité incontestable habituelle de ses productions, est hyper productif – et quelque peu redondant. A la première écoute, The Breath of Life semble n’être qu’un (excellent) album de plus de sa part. Or Transatlantic a cet aspect évènementiel, exceptionnel ; cette réunion au sommet qui n’arrive qu’espacée de plusieurs années (neuf entre Bridge Across Forever en 2000 et The Whirldwind en 2009, sept autres depuis Kaleidoscope en 2014), grandes étaient donc les attentes. Patienter de longues années (alimentées par moults albums signés Morse/Portnoy) pour savourer ces retrouvailles sous la forme d’un simple album de plus avec deux invités de marque peut être frustrant. Cette frustration trouve ses origines au travers d’un ressenti curieux ; à l’écoute de The Breath of Life, on reste sur notre faim (considérons que le festin est gargantuesque et que notre appétit est insatiable). The Breath of Life semble incomplet ; le départ et l’arrivée sont définis mais le chemin semble comporter des raccourcis poussifs contraignant l’aéronef à ne jamais s’arrêter par manque de temps, comme si la format de l’album simple était une contrainte. Pour être totalement transparent, la rédaction de Chromatique a reçu cette version avant Forevermore ; et c’est ce sentiment de manque qui est ressorti des premières écoutes, comme si on pouvait tangiblement se rendre compte que des parties ont été amputées sans avoir écouté la version longue pour comparer. C’est un reproche difficile à faire, avouons le; les attentes et fantasmes sont rarement surpassés par les faits réels. Mais cette petite étincelle propre au dirigeable de Transatlantic n’est pas là malgré les qualités évidentes de The Breath of Life .

Autant l’admettre de suite, même si vous n’en serez pas surpris : les vétérans du rock progressif à la recherche de nouvelles expériences novatrices pourront passer leur chemin de suite. Avec Transatlantic, on a la sensation de se retrouver à la maison, au sein d’une famille qui a ses imperfections, ses défauts mêmes, ses tics qui nous agacent, mais qui nous font ce bien fou car c’est eux, et personne d’autre, que l’on recherche pour retrouver ce petit quelque chose d’unique, ce repère qui ne change pas et qui restera là. The Absolute Universe est ambitieux. Il est copieux et se fiche des limites de l’excès. Les paroles ne volent vraiment pas haut et se contentent de mots clichés. C’est kitsch aussi. C’est convenu même, ce qui pourrait aller à l’encontre de l’esprit du rock progressif. On parle ici de cet art noble dans son esthétique, dans sa forme et moins dans son fond. Et quoi qu’on en dise, quoi qu’on puisse en penser, qu’on aime ou qu’on déteste, il y a bien un point absolument irréfutable : impossible de ne pas constater la passion débordante de nos quatre protagonistes. Ils aiment le rock progressif et pour peu que leur plaisir et leur dévotion nous atteignent à l’écoute de The Absolute Universe et en particulier de Forevermore (ou de n’importe quel album de Transatlantic d’ailleurs), la magie opère.

Concevoir un projet de cette façon (deux albums avec des changements, des modifications, mais partant d’une même base) est une idée extrêmement intéressante et amusante lorsqu’on se prend au jeu de repérer les différences et les similitudes. C’est peut-être l’innovation inattendue de The Absolute Universe. Pour autant, on peut se demander si posséder les deux albums est nécessaire. Le collectionneur qui vit en la grande majorité des amateurs de rock progressif ne se posera même pas la question. Pour les autres c’est une affaire de goûts; nous ne sommes pas en présence d’une version bleue et d’une version rouge comme dans la première génération du jeu Pokémon ; Forevermore et The Breath of Life sont différents au-delà des détails. Le format pourrait être vecteur de choix ; avez vous le temps de vous lancer dans un double album ? Le trajet en voiture/train/avion sera t-il long ? Plus simplement avez vous envie de prendre le temps ou préférez vous une expédition sans temps morts ?

Le compositeur Gustav Malher a dit que « La tradition n’est pas le culte des cendres mais la préservation du feu ». En continuant inexorablement à proposer ce rock progressif perdu dans le temps tel un dirigeable égaré dans l’espace et dans son admiration pour Procol Harum, Transatlantic contribue à la préservation d’un patrimoine passionnant pour passionnés. Et on ne peut que les en remercier.