Genesis - Wind and Wuthering

Sorti le: 31/12/2018

Par Raphaël Dugué

Label: Charisma Records

Site: https://www.facebook.com/genesis/

Deuxième et dernier disque de Genesis en quatuor, Wind and Wuthering a souvent été éclipsé par son grand frère A Trick of the Tail. Pourtant, il s’agit bien d’un album aux qualités indéniables si l’on décide d’y prêter assez d’attention.

Avant même d’en entendre la moindre note, la pochette signée Hipgnosis donne le ton : Wind and Wuthering est un album aux ambiances brumeuses et hivernales. Depuis Trespass, Tony Banks reste la force créatrice du groupe avec ici trois morceaux écrits seul et trois contributions. A l’inverse de beaucoup de claviéristes de la scène progressive, Banks n’a jamais cherché la démonstration technique, son travail reposant plutôt sur une écriture harmonique recherchée, une science de la mélodie imparable et une utilisation pointue des différents claviers. Il n’est pas étonnant que ce disque reste l’un de ses préférés tant ce talent atteint son apogée ; il n’y a qu’à écouter le premier morceau pour s’en convaincre. Après les premières notes stupéfiantes au synthétiseur, Banks alterne l’orgue, le piano, le mellotron, au service d’un titre d’ouverture de haute volée (une habitude chez Genesis). Autre morceau signé Banks, « One For the Vine » est peut-être la meilleure composition écrite par le claviériste. C’est un sommet de subtilité dans les arrangements, les mélodies et les changements de rythmes qui développe au long de ses dix minutes une mélancolie toute en retenue typiquement britannique.

L’autre musicien essentiel sur Wind and Wuthering est Steve Hackett. Un peu en retrait sur A Trick of the Tail, le guitariste s’implique davantage. En plus de signer la partie centrale acoustique du premier titre sur lequel il installe un climat aux horizons embrumés, il est à l’origine de compositions empreintes d’un romantisme délicat mâtinées d’étrangeté comme « Blood on the Rooftops » (sans doute sa contribution à Genesis la plus importante), et les instrumentaux « Unquiet slumbers for the sleepers… » et « …in that quiet earth ». Hackett apporte aussi son sens mélodique dans ses soli (« Eleventh Earl of Mar », « All in a Mouse’s Night ») et lorsqu’il est moins en avant, son jeu est discret mais crucial (les arpèges splendides de « Afterglow »).

La section rythmique n’est pas en reste, les lignes de basse de Rutherford sont toujours aussi créatives et surprenantes (quel groove sur « Eleventh Earl of Mar »!) et Phil Collins fait encore preuve d’une musicalité unique allant de la subtilité (« One for The Vine ») à l’inventivité explosive de « Eleventh Earl of Mar » ou « Wot Gorilla? » sur lesquels il apporte cette touche jazz-rock inspirée du Mahavishnu Orchestra.

Les morceaux se suivent avec un sens aigu de l’équilibre et des contrastes. Le sublime enchaînement final en est un parfait exemple où le mystérieux « Unquiet slumbers for the sleepers… » laisse place au ténébreux « …in that quiet earth » qui évoque les hurlevents glacés dans un chaos que l’on n’avait plus entendu depuis « The Musical Box », pour s’achever par la délicatesse d’« Afterglow ». Wind And Wuthering émerveille aussi par son attention aux détails, chaque écoute permet de découvrir de nouvelles richesses : reverb sur les voix, percussions, Taurus pedal (pour les effets de drone), jeu sur les textures, etc. Le travail de production de David Hentschel est à ce sujet d’une justesse incroyable car ce niveau de densité n’est jamais étouffant.

Malheureusement, Steve Hackett restera insatisfait que certaines de ses compositions soient rejetées et quittera le groupe à la suite de la tournée de 1977. Banks, Collins et Rutherford continueront à trois sans se poser de questions mais il perdront en réalité l’unité si particulière qui existait depuis Nursery Cryme. Tony Banks l’avouera par la suite, sans Steve Hackett, il lui a manqué un allié pour explorer des territoires étranges et expérimentaux. Même si Genesis s’aventurera parfois sur des chemins intéressants (on pense surtout à Duke et quelques fulgurances sur Abacab ou Genesis), il ne retrouvera jamais un tel niveau d’excellence. Genesis clôt donc sa meilleure période avec un dernier chef d’oeuvre, le sixième d’affilée. Ce crépuscule lumineux (à l’image de son dernier titre) longtemps délaissé par les fans est une oeuvre somme, sans compromis et à la personnalité affirmée. Et si Wind and Wuthering était tout simplement le meilleur album de Genesis ?