Field Music - Open Here

Sorti le: 21/05/2018

Par CHFAB

Label: Memphis Industries

Site: http://field-music.co.uk/

Sixième album et 12ème année d’existence pour ce duo british à la musique combinant évidence pop et sophistication de chaque instant, que d’aucun qualifierait de « art rock ». Un secret particulièrement bien gardé, hélas, tant le talent des frères Brewis est proportionnel à leur anonymat. Pour faire bref, depuis 2004, personne ou quasiment n’en a entendu la moindre note ni même le nom en notre chère et décidément ignorante bonne terre de France… Pour ce groupe de la verte Albion on citera de fortes références, entre XTC, Steely Dan, Prefab Sprout, Scritti Politti, Peter Gabriel, des groupes qui ont compté à l’aube des années 80 donc, et pas les moindres. On mettra d’entrée en avant le formidable double album Measure sorti en 2010, faisant montre d’une variété (le mot ici n’a rien de dépréciatif) et d’une inventivité de haute volée, preuve qu’inspiration et penchants solaires peuvent faire bon ménage, ou que la pop peut atteindre les mêmes hauteurs que nos musiques progressives, avec un format plus ramassé toutefois.

Open Here, nouvel opus, annonce la couleur dès la pochette (graphique, superbe), invitant à sortir de chez soi, de ses habitudes, de soi-même par extension… Un chez soi particulièrement étroit (le noir dévorant tout ou presque) résumé à une pièce de vie avec télévision et quelques meubles, illustration d’une vie matérialiste s’il en est, à l’imagination désespérément normative et docile. Le titre du disque, réduit à une indication sur la porte (étroite), brosse avec beaucoup d’ironie notre geste sociétale, par laquelle nous nous contentons de faire scrupuleusement ce qu’on nous dit… Info, dodo, boulot, pour résumer…

Nous l’avons annoncé en préambule la pop particulièrement intelligente de Open Here emprunte de nouveau à ce que les années 80 ont pu produire de meilleur, cold wave mise à part. Au menu: sonorités rythmiques ethniques de Peter Gabriel (époque 3 et 4), comme le démontre le très bon morceau d’ouverture, harmonies et arrangements très soignés d’XTC, les mélodies et l’ironie mordante des Talking Heads, des attirances jazz fusion, et quelques grooves ou riffs frippiens de cette même époque (on pense aussi du coup à Bowie). Au-dessus de la mêlée plane le sous-marin increvable des Beatles (cordes magiques, choeurs, mise en son) pour des moments de pur ravissement. Chaque titre, chaque chanson devrait-on dire, est tout un petit monde en soi, chanté avec clarté et beaucoup d’allant, faisant encore une fois de ce disque une collection de tableaux précieux et pétillants.

Cette musique est une invitation au printemps en quelque sorte, tous les printemps, celui des bourgeons, de la musique bien sûr, mais aussi des idées, des rencontres, de la liberté et des peuples. Pourtant, pas de drapeau ici, ni de fusil agité, pas de punk provocant ni contest rock, on y ressent davantage l’envie de vivre en paix et de voire le monde différemment. Il y a beaucoup d’élégance. Pour les anglophones, ou (et) les plus engagés d’entre nous, les textes le confirment, s’inscrivant très clairement en creux des dernières décisions européennes en matière de circulation, que ce soit des idées, des cultures, et des populations évidemment, une salve directe contre le Brexit. Le titre, encore une fois, est très éclairant.

Le rock, la pop, ces formes modernes de la musique, viennent d’illustrer à nouveau combien elles peuvent aussi être des véhicules de réflexion, d’idéal de vie, de créativité et d’affirmation, bien au delà d’un simple divertissement exutoire. Encore bravo donc à David et Peter Brewis, pour cette nouvelle preuve musicale et textuelle, bravo pour leurs mélodies et leur intelligence. Field Music, un groupe à découvrir sans plus tarder.