– De la subversion à l’innovation

A l’occasion de l’escapade de l’un de nos chroniqueurs au sein du « pays du Milieu », nous avons tenu à nous engouffrer au sein d’une scène en pleine renaissance depuis les années 90. Focus sur le jazz en Chine.

1900 – 1949 : Naissance et reconnaissance d’une scène originale

C’est à Shanghai, « Paris de l’Est, New York de l’Ouest », que le jazz s’implante dès le début des années 1900. A cette époque, les mélodies jouées au sein des majestueux immeubles du Bund résonnent comme celles entendues aux abords des rives occidentales. Durant cette période, ce jazz n’a de chinois que son emplacement puisqu’il reproduit des codes. En effet, il faut attendre les années 1920 pour que s’opère un mélange subtil entre le folk chinois traditionnel et les rythmes et arrangements caractéristiques du genre issu de la Nouvelle-Orléans. Cette fusion se nomme shidaiqu et est à la base de l’actuelle mandopop.



Photographie du Bund, début du XXème siècle

Ce style a acquis ses lettres de noblesse au travers de noms tels que Li Jinhui(1891-1967), père de la musique chinoise populaire. Ses hits furent à la fois emprunts d’influences occidentales telles que celles du trompettiste Buck Clayton mais aussi de caractéristiques typiques de la musique chinoise traditionnelle, notamment les structures mélodiques pentatoniques. Mais le shidaiqu s’est également façonné au travers de lieux de joie et d’expérimentation tels que le Canidrome Ballroom, un club où le jazz côtoyait l’amour, le jeu et les drogues. Le Shanghai de l’avant-guerre était devenu à la fois une formidable scène d’innovation musicale mais également l’une des capitales de l’opium.

1949 – 1990 : Extinction des feux

Lors de l’avènement de la République Populaire de Chine en 1949, le jazz est censuré et banni au même titre que la drogue, les jeux et la prostitution. Bien que certains considèrent déjà avant cette date ce style comme un pervertisseur de la musique chinoise traditionnelle et un symbole du colonialisme occidental, il est toléré par l’ensemble des communautés habitant Shanghai et ses alentours. Il est finalement décrété que les mélodies du shidaiqu sont pornographiques et doivent être remplacées dans l’immédiat. Le jazz chinois entrera donc en hibernation à Hong Kong durant presque quarante ans, avant la réouverture de la Chine au travers de la politique d’ouverture menée par Deng Xiaoping.



Photographie de Li Jinhui, père du shidaiqu. Il fut exécuté en 1967 lors de la Révolution Culturelle.

Le jazz réapparaît timidement à Hong Kong au milieu des années 80 avant de s’implanter progressivement à Pékin. Selon Liu Yuan, éminent saxophoniste chinois, peu de personnes à cette époque savaient ce qu’était le jazz et seuls 4 ou 5 musiciens étaient présents dans la capitale. Néanmoins, grâce au rôle des NTIC et particulièrement d’internet, le jazz ainsi que d’autres styles musicaux tels que le rock seront démocratisés en Chine. Les musiciens locaux, qui rencontraient auparavant leurs paires grâce à des colloques et des voyages à l’étranger, n’avaient jamais été aussi connectés à la communauté internationale.


1990 – de nos jours : Reboot & Innovation

Malgré cette ouverture sur le monde, la censure continue à s’appliquer aujourd’hui dans une moindre mesure. Il est vrai que nombre d’artistes occidentaux sont encore censurés tels que Bjork ; elle appela à la libération du Tibet à la fin d’un de ses concerts à Shanghai. De plus, le jazz reçoit peu de support public contrairement à la musique traditionnelle. La scène locale est certes aujourd’hui en pleine expansion, mais limitée par ses moyens. Celle-ci a donc été forcée d’innover afin de regagner sa reconnaissance d’antan.

Cette innovation s’est caractérisée de deux manières. La première, par sa façon d’attirer de nouveaux talents. En effet, nombreux sont les musiciens à privilégier les plus petites scènes et à éviter les très concurrentielles New York et Londres. L’existence d’un marché de niche à Pékin allié à son atmosphère historique très puissante a alors favorisé l’émergence d’une scène locale à taille humaine, concentrée dans quelques lieux clés tels que l’East Shore Live Jazz Café, le Modernista et le CJW. Plus récemment encore, le célèbre club new yorkais « Blue Note » a ouvert une succursale dans la capitale au sein de l’ancienne ambassade américaine.

Devanture, ne payant pas de mine, de l’East Shore Live Jazz Café à Pékin. L’endroit est tenu par Liu Yuan, artiste majeur de la scène jazz en Chine

La seconde, par sa capacité à favoriser un brassage d’influences entre artistes de différentes nationalités et sensibilités musicales. Du fait de la faible densité d’artistes jazz, tout ce petit monde se connaît nécessairement. Les nombreuses interactions entre artistes combinées à l’affluence constante d’un public jeune encouragent donc les musiciens à collaborer régulièrement voire à repousser leurs standards en incorporant des influences rock. A titre d’exemple, l’East Shore Live Jazz Café accueille à la fois de jeunes groupes locaux en devenir, des musiciens stars tels que Nathaniel Gao et le propre quartet de Liu Yuan.


Nathaniel Gao, l’une des étoiles montantes du jazz chinois (photo récupérée sur « The World of Chinese »)

Enfin, même si Pékin s’est imposé au cours des deux dernières décennies comme un lieu majeur d’incubation pour le jazz, Shanghai occupe toujours une place importante. Cette mégapole abrite quelques clubs incontournables tels que le JZ Club ou le Cotton Club. C’est aussi dans cette ville qu’a lieu chaque année le JZ Music Festival, l’un des plus grands festivals de jazz en Asie.


A l’occasion de l’escapade de l’un de nos chroniqueurs au sein du « pays du Milieu », nous avons tenu à nous engouffrer au sein d’une scène en pleine renaissance depuis les années 90. Focus sur le jazz en Chine.

1900 – 1949 : Naissance et reconnaissance d’une scène originale

C’est à Shanghai, « Paris de l’Est, New York de l’Ouest », que le jazz s’implante dès le début des années 1900. A cette époque, les mélodies jouées au sein des majestueux immeubles du Bund résonnent comme celles entendues aux abords des rives occidentales. Durant cette période, ce jazz n’a de chinois que son emplacement puisqu’il reproduit des codes. En effet, il faut attendre les années 1920 pour que s’opère un mélange subtil entre le folk chinois traditionnel et les rythmes et arrangements caractéristiques du genre issu de la Nouvelle-Orléans. Cette fusion se nomme shidaiqu et est à la base de l’actuelle mandopop.



Photographie du Bund, début du XXème siècle

Ce style a acquis ses lettres de noblesse au travers de noms tels que Li Jinhui(1891-1967), père de la musique chinoise populaire. Ses hits furent à la fois emprunts d’influences occidentales telles que celles du trompettiste Buck Clayton mais aussi de caractéristiques typiques de la musique chinoise traditionnelle, notamment les structures mélodiques pentatoniques. Mais le shidaiqu s’est également façonné au travers de lieux de joie et d’expérimentation tels que le Canidrome Ballroom, un club où le jazz côtoyait l’amour, le jeu et les drogues. Le Shanghai de l’avant-guerre était devenu à la fois une formidable scène d’innovation musicale mais également l’une des capitales de l’opium.

1949 – 1990 : Extinction des feux

Lors de l’avènement de la République Populaire de Chine en 1949, le jazz est censuré et banni au même titre que la drogue, les jeux et la prostitution. Bien que certains considèrent déjà avant cette date ce style comme un pervertisseur de la musique chinoise traditionnelle et un symbole du colonialisme occidental, il est toléré par l’ensemble des communautés habitant Shanghai et ses alentours. Il est finalement décrété que les mélodies du shidaiqu sont pornographiques et doivent être remplacées dans l’immédiat. Le jazz chinois entrera donc en hibernation à Hong Kong durant presque quarante ans, avant la réouverture de la Chine au travers de la politique d’ouverture menée par Deng Xiaoping.



Photographie de Li Jinhui, père du shidaiqu. Il fut exécuté en 1967 lors de la Révolution Culturelle.

Le jazz réapparaît timidement à Hong Kong au milieu des années 80 avant de s’implanter progressivement à Pékin. Selon Liu Yuan, éminent saxophoniste chinois, peu de personnes à cette époque savaient ce qu’était le jazz et seuls 4 ou 5 musiciens étaient présents dans la capitale. Néanmoins, grâce au rôle des NTIC et particulièrement d’internet, le jazz ainsi que d’autres styles musicaux tels que le rock seront démocratisés en Chine. Les musiciens locaux, qui rencontraient auparavant leurs paires grâce à des colloques et des voyages à l’étranger, n’avaient jamais été aussi connectés à la communauté internationale.


1990 – de nos jours : Reboot & Innovation

Malgré cette ouverture sur le monde, la censure continue à s’appliquer aujourd’hui dans une moindre mesure. Il est vrai que nombre d’artistes occidentaux sont encore censurés tels que Bjork ; elle appela à la libération du Tibet à la fin d’un de ses concerts à Shanghai. De plus, le jazz reçoit peu de support public contrairement à la musique traditionnelle. La scène locale est certes aujourd’hui en pleine expansion, mais limitée par ses moyens. Celle-ci a donc été forcée d’innover afin de regagner sa reconnaissance d’antan.

Cette innovation s’est caractérisée de deux manières. La première, par sa façon d’attirer de nouveaux talents. En effet, nombreux sont les musiciens à privilégier les plus petites scènes et à éviter les très concurrentielles New York et Londres. L’existence d’un marché de niche à Pékin allié à son atmosphère historique très puissante a alors favorisé l’émergence d’une scène locale à taille humaine, concentrée dans quelques lieux clés tels que l’East Shore Live Jazz Café, le Modernista et le CJW. Plus récemment encore, le célèbre club new yorkais « Blue Note » a ouvert une succursale dans la capitale au sein de l’ancienne ambassade américaine.

Devanture, ne payant pas de mine, de l’East Shore Live Jazz Café à Pékin. L’endroit est tenu par Liu Yuan, artiste majeur de la scène jazz en Chine

La seconde, par sa capacité à favoriser un brassage d’influences entre artistes de différentes nationalités et sensibilités musicales. Du fait de la faible densité d’artistes jazz, tout ce petit monde se connaît nécessairement. Les nombreuses interactions entre artistes combinées à l’affluence constante d’un public jeune encouragent donc les musiciens à collaborer régulièrement voire à repousser leurs standards en incorporant des influences rock. A titre d’exemple, l’East Shore Live Jazz Café accueille à la fois de jeunes groupes locaux en devenir, des musiciens stars tels que Nathaniel Gao et le propre quartet de Liu Yuan.


Nathaniel Gao, l’une des étoiles montantes du jazz chinois (photo récupérée sur « The World of Chinese »)

Enfin, même si Pékin s’est imposé au cours des deux dernières décennies comme un lieu majeur d’incubation pour le jazz, Shanghai occupe toujours une place importante. Cette mégapole abrite quelques clubs incontournables tels que le JZ Club ou le Cotton Club. C’est aussi dans cette ville qu’a lieu chaque année le JZ Music Festival, l’un des plus grands festivals de jazz en Asie.