Moraine - Groundswell

Sorti le: 03/06/2015

Par CHFAB

Label: Moonjune Records

Site: http://www.moraineband.com/

Troisième album pour ce quintette américain formé en 2005, au style éminemment personnel, oscillant entre avant-garde, jazz, et progressif instrumental… Le son de Moraine a quelque chose d’unique, en ce sens que la plupart des débats mélodiques y sont exercés par un instrument à vent (le saxophone ou la flûte, comme sur le superbe « Spiritual Gatecrasher ») et le violon. La musique de Moraine n’est pas symphonique, vous n’y trouverez pas de clavier, et elle s’exprime davantage sur des formats assez courts. Elle est l’hôte de l’excellent label Moonjune Records, abritant toute une myriade de formations, aux frontière du RIO, du new jazz, du post rock et autres réjouissances.

Autant éviter tout suspense, en déclarant qu’il s’agit là d’un groupe de très grande qualité, et probablement l’un des tous meilleurs de ces dernières années! Et ce Groundswell ne dément pas le constat, bien au contraire. Comme à l’accoutumée, la musique des Américains emprunte à une certaine gravité, balançant entre inquiétude, humeur vagabonde, et plages de beauté pure. Bien sûr, l’emploi du violon évoque le King Crimson de la période 1972-73 (« In That Distant Place », « Waylaid »), ou Van Der Graaf Generator à une ou deux reprises, de par la présence du saxophone, évidemment, mais sans pourtant jamais appuyer des influences qui se font rares au final. On découvre donc tout au long de l’album une musique instrumentale, alternant passages écrits, majoritairement, et improvisations. Tout ceci au service de séquences puissantes, folles, ou merveilleusement nuancées. On y croise des rythmiques binaires très entraînantes, ou plus complexes, sur la même plage, avec une égale félicité. La batterie et la basse sont formidables de fluidité, de retenue, de simplicité. La variété des ambiances et séquences convoque, de plus, une attention de chaque instant. Saluons également l’extrême soin de l’écriture, particulièrement fusionnelle (les instruments semblent faire véritablement corps), des arrangements, et du renouvellement sonore, grâce à l’apport d’effets très réjouissants. Ainsi le violon sait se transformer en harmonica déchaîné, ou la guitare en orgue saturé très Soft Machine !

Le travail de la guitare est assez atypique dans le sens où elle n’occupe qu’assez peu le terrain, ce qui ajoute à la personnalité du quintette, ses arpèges ou rythmiques intègrent parfaitement le travail de la basse et de la batterie, offrant un écrin idéal pour les deux duettistes de service. Elle s’offre tout de même quelques solos stratosphériques, hyper mélodiques ou puissants, et utilise même quelques descentes et montées en slide , cette technique blues-country, que l’on retrouve entre autres sur l’excellent « Gnashville » (on pense beaucoup à « Morphine »), histoire de nous attraper là où on ne l’attendait plus. On le dit et le répète, saxo et violon sont les maîtres ici, sans fard, souvent à l’unisson, ou dialoguant sur des mélodies écrites, toujours superbes. Ils savent tout aussi bien faire montre d’un délicieux sens du solo, parfois free, sur une bonne partie des morceaux. Grâce à eux, un esprit RIO et rock de chambre règne sur Groundswell, une tonalité acoustique et finalement Canterbury aussi. Point d’esbroufe, de la première à la dernière note, car Moraine est de l’école de la sobriété, ce qui ne l’empêche nullement de proposer un univers aventureux, très lisible, et sans cesse renouvelé. Comme pour nous surprendre toujours un peu plus, le quintette se plaît à parfois déconstruire ses propres séquences, au sein du même morceau. Enfin, pour accroître encore notre attention et notre plaisir, une flûte magnifique apparaît ici ou là (fascinant « Spiritual Gatecrasher », à la Änglagård), ainsi que quelques impressions électroniques (le morceau d’ouverture notamment). Il serait fastidieux et superflu de décrire par le menu le détail des dix morceaux de ce disque, tant ils parviennent à séduire, les uns après les autres… ! Et l’on se prend bien vite à vouloir y retourner, sous l’effet d’une sorte de douce contagion…

Pour résumer : liberté, inspiration, personnalité, lisibilité, cohésion, force, folie, émotion, nuance, finesse, renouvellement… N’en jetez plus ! Il semble bel et bien que Moraine construise, petit à petit, avec son propre vocabulaire, une œuvre inscrite dans la durée, à l’épreuve des modes, rejoignant sans le moindre doute le cortège des musiques d’exception. Sa place parmi les grands apparaît ainsi comme de plus en plus légitime, et cet album s’avère déjà être une réussite incontestable. Un album qui va compter !