– La parole est à l’opposition !
Pour la troisième édition du festival Rock In Opposition, les organisateurs ont visiblement décidé de changer la donne. La programmation voit donc les habituels Magma et autres Present faire place à d’autres surprises, les groupes ayant répondu à l’invitation s’éloignant du courant « historique » du RIO, ce qui n’est pas un mal, mais restant soutenus par un public présent, toujours aussi éclectique qu’international. Bienvenue aux échanges passionnants et aux looks improbables !
Vendredi 17 septembre
Geneviève Foccroulle
Cette pianiste a publié en 2008 un coffret de neuf disques comprenant l’intégrale des compositions d’Anthony Braxton pour piano solo. Alors que ce dernier est réputé pour son versant le plus jazz, il s’illustre également par des œuvres pour effectifs classiques, à l’instar de ce que peut aujourd’hui faire John Zorn. Il est donc ici question de musique contemporaine, mais qui évite en partie la caricature, le compositeur n’étant pas issu du « milieu ». Un seul titre fleuve est interprété, dont l’idée de base est proche du In C de Terry Riley : jouer en boucle certaines lignes tout en gardant une grande liberté au niveau de l’ordre et de l’emboîtement des sections, ce qui peut même aller jusqu’à passer sous silence plusieurs pages de la partition. Le résultat est immédiat au regard du rythme qui domine et qui rend l’ensemble moins abscons. Et pourtant, la structure laisse apparaître à la longue une certaine monotonie, liée à un certain manque de nuances et de variations. Toujours est-il qu’avec une telle ouverture, le festival assoit son image de défricheur de musiques en tous genres et fait ainsi découvrir à l’assistance médusée une facette assez inconnue du jazzman culte.
Caspar Brötzmann Massaker
Le fils du légendaire saxophoniste free-jazz Peter Brötzmann (qui jouera d’ailleurs le lendemain) est à la tête d’une formation assez difficile à définir, entre un jazz-rock aux tonalités sombres, pas si éloigné des albums récents de King Crimson, et les gimmicks d’un guitar-hero avec tous les poncifs du genre (torse et pendentif en or bien visibles notamment), se concentrant davantage sur sa pédale d’effets que sa guitare. Malgré ce tableau incongru et plutôt insipide à première vue, l’artiste démontre une réelle capacité à faire jouer la section rythmique, simple et pourtant si implacable, et dont les phrasés évolutifs structurent une jolie progression au service de la performance globale. Même si l’on peut rester de marbre face à cette démonstration d’ego, la prestation du guitariste reste pétrie de choix intéressants.
Sleepytime Gorilla Museum
Il est temps de passer aux choses sérieuses, et le groupe est très attendu au tournant. Si la setlist se concentre sur le dernier album du groupe, In Glorious Times, les anciens titres disséminés tout au long du show sont interprétés dans des versions transfigurées, comme un répertoire en permanence réactualisé. Les morceaux sont introduits par un Nils Frykdahl en grande forme et au jeu théâtral, déclamant les paroles du titre à venir telles une comptine aussi glauque qu’intrigante. La configuration de la salle, assez inhabituelle pour le groupe (les spectateurs sont assis) ne freine pas pour autant l’enthousiasme général, comme en témoignent les quelques « headbangers » du dimanche qui n’ont pas hésité à souligner la dynamique des Américains. Petit à petit, le public se prête au jeu en pénétrant dans l’univers de la formation et rend ce moment unique. Tous ces choix audacieux mis bout à bout font de ce concert une expérience clairement marquante. La première journée du festival se termine de la plus belle des manières.
Samedi 18 septembre
Aquaserge
Voici l’une des belles surprises du festival, un groupe peu attendu et qui en aura convaincu beaucoup. Cette formation française se situe à cheval sur de nombreux créneaux : une disposition scénique à la Present, un duo de batteries qui rappelle leurs concitoyens de Taal… et surtout un rôle important laissé aux effets et à l’électronique, de façon assez proche de Yolk, formation qui s’était produite lors de la précédente édition du festival. La prestation d’Aquaserge s’avère bien plus convaincante que celle de ces derniers, grâce à une variété des situations toujours conservée, mais aussi grâce à une sonorisation qui met en valeur tous les instruments. Autant de conditions réunies pour apprécier une mixture réellement rafraîchissante.
Thierry Zaboitzeff
L’ancienne tête pensante d’Art Zoyd est ici chez lui, tant son groupe d’origine était une pierre angulaire du mouvement « Rock in Opposition » d’origine. Pourtant, il se consacre, depuis son départ en 1997, à toutes sortes d’expériences musicales, pour des projets aussi diffus qu’intéressants. Ainsi, le multi-instrumentiste apparaît seul sur scène, entouré de sa collection d’instruments et d’effets. La démarche vaut le coup d’œil, les titres et les digressions sont variées, mais un aspect inégal se dégage de l’ensemble. Les séquences pré-enregistrées sont incroyablement datées et mettent en lumière une facette plutôt amateur, loin de correspondre au talent du personnage. On ressent bien évidemment tout son savoir-faire, mais la performance reste frustrante. Des titres d’Art Zoyd, réarrangés pour l’occasion, sont interprétés avec brio, histoire de ponctuer un concert en demi-teinte.
Peter Brötzmann Full Blast
C’est l’heure de mettre les enfants au lit, l’artillerie lourde est de sortie ! Le vieux briscard du free-jazz n’est pas tout à fait en terrain conquis, mais qu’importe : les notes se déversent avec une dextérité sans faille tout au long de ce concert d’une heure… pour deux morceaux seulement, étirés à l’extrême, histoire de désarçonner le public autant que possible. L’aspect visuel de la performance frappe irrémédiablement, la musique du quartette est incroyablement vivante, et c’est en regardant les musiciens que l’on en perçoit toute la logique, avec un réel travail de mise en forme, d’écoute entre les musiciens, et le niveau ahurissant du batteur Michael Wertmüller, à la rapidité et à la précision sans faille. Les spectateurs sont très divisés alors que le concert est loin d’être aussi abscons que ce que l’on peut craindre. Le rappel, devant une salle bien moins garnie qu’au début du set, permet de présenter un autre visage de la formation, plus axé sur les nuances et les dialogues entre saxophones. Musique physique, bouillonnant en permanence, ce n’est pas pour rien que le disque le plus connu de Brötzmann s’appelle Machine Gun !
Gong
Changement radical de registre (encore une fois !) avec un groupe resté ancré dans son imagerie des années soixante-dix, comme en attestent les déguisements incongrus de Daevid Allen et les projections psychédéliques sur l’écran en fond de scène. Le public ne s’y trompe pas et c’est une véritable déferlante de « babas » qui retombent littéralement dans leur jeunesse, insouciants et enthousiastes comme au bon vieux temps. Gilli Smyth, âgée tout de même de soixante-dix-sept ans, ouvre les portes de son monde riche en couleurs et en champignons hallucinogènes, comme si Angel’s Egg venait de sortir la veille. Alors évidemment, rien n’est bien neuf dans cette formule, et même si de nombreux titres du dernier album sont interprêtés, le groupe garde son aspect intemporel, loin des modes et du conformisme ambiant. Totalement « in opposition » en fin de compte, tant la formule semble traverser les âges, pour le plus grand bonheur des habitués.
Dimanche 19 septembre
Miriodor
Voilà un groupe manifestement heureux d’être là ! Il faut dire que les Québécois viennent trop rarement fouler les planches du Vieux Continent. Trente ans après leurs débuts, leurs albums continuent à se suivre avec pour chacun d’entre eux une formule qui reste sensiblement la même : une musique instrumentale jouant constamment avec les cassures et autres digressions sans pour autant oublier en chemin l’impératif de cohérence. Et c’est d’ailleurs cette immédiateté qui sort du lot au cours de la prestation, cette « fusion », l’art de faire groover des compositions. Le batteur Rémi Leclerc fait preuve d’une ferveur communicative, qui donne une grande impulsion au groupe et permet aux morceaux de prendre leur envol. Pourtant certains titres manquent de relief et donnent l’impression d’un concert presque trop homogène. Pour autant, les bonnes idées ne manquent pas, à l’image de ce duo entre guitare et clarinette sur « Réveille-matin ». Bref, le groupe a montré qu’il était à la hauteur du festival, et c’est bien l’essentiel.
Rational Diet
Ces Biélorusses commencent à faire parler d’eux parmi les amateurs, grâce au renouveau et à la fraîcheur qu’ils parviennent à apporter à ce « rock de chambre » métamorphosé. Leurs compositions sont relativement difficiles à retranscrire en concert, étant donné la complexité de certains arrangements et les mises en place osées qui jonchent les sections. Adepte d’une musique plus dense et fougueuse que celle d’Univers Zero, le groupe parvient à reproduire avec soin toutes les subtilités nécessaires. Le rôle des cordes dans l’instrumentation est un avantage certain qui permet d’enrichir l’ensemble avec une subtilité très travaillée. Leur présence scénique peut sembler un talon d’Achille, même si ce n’est pas vraiment ce que l’on demande à ce genre de groupe, finalement. Certaines personnes dans l’assemblée sont gênées par un certain manque de précision au niveau de l’interprétation, or cet aspect est plutôt à rapprocher d’une certaine envie d’en découdre, une preuve supplémentaire de dynamisme. Alors que leurs albums continuent de progresser sortie après sortie, leur expérience live confirme tout le potentiel de la formation à l’enthousiasme est communicatif. On tient là un des coups de cœur de cette édition 2010.
Jannick Top Infernal Machina
Le bassiste chauve le plus célèbre du monde Zeuhl (hum…) continue sa série de concerts, deux ans après la sortie de l’album studio Infernal Machina, plutôt réussi compte tenu de ses objectifs. Seulement voilà, à force de jouer de cette façon avec la mode héritée de la grande époque de MDK, le risque de tout faire tomber à plat est grand. Et c’est justement ce qui se produit, avec un concert qui relève de l’auto-caricature : la rythmique martelée reste statique, presque figée dans cette volonté d’en faire trop. Alors c’est sûr, en mettant un volume très élevé et en se la jouant « musique martiale », le groupe parvient à convaincre une partie de l’audience, conquis par cet aspect spectaculaire très premier degré. Mais la redondance des morceaux a l’effet d’un pétard mouillé, et l’on se demande où ce cher Jannick veut en venir. Les titres paraissent sans fin, noyés au milieu d’un magma (hum, décidément) inintelligible et de choix douteux, comme ces séquences utilisées en permanence par la claviériste. Pour le coup, la « machine infernale » est à prendre au sens propre. C’est d’autant plus frustrant que même la présence de Klaus Blasquiz ne parvient pas à donner un regain d’intérêt à la performance. Dommage.
Art Bears Songbook
L’évènement aura donc bien eu lieu. Pourtant Il y a quelques mois, rien n’était moins sûr. Jewlia Eisenberg (Charming Hostess), qui s’était occupée des voix lors de la précédente réunion du groupe en 2008, annonçait qu’elle ne pouvait renouveler l’expérience en raison de problèmes de santé. C’est donc Dagmar Krause, la chanteuse originelle et icône de la formation, qui reprend les rennes le temps d’une soirée. Dès cette annonce, l’attente n’a cessé de grandir. Et évidemment, la qualité est au rendez-vous. La quasi intégralité des albums Winter Songs et The World As It Is Today est jouée, dans des arrangements retravaillés en profondeur pour l’occasion et adaptés au nouvel effectif. Malgré la tension et la difficulté des titres, l’humeur des musiciens est à la détente, et le sourire de Dagmar en dit long sur le plaisir qu’elle a d’interpréter avec une grande finesse ces morceaux si particuliers, éclairant des recoins cachés au milieu de compositions que l’on croyait connaître par cœur. L’arrivée de « The Dance » fait alors office d’apothéose, une pépite de plus au milieu d’un concert qui atteint pleinement son but. Et même bien plus !
On ne pouvait donc rêver un final plus réussi pour cette troisième édition d’un festival qui continue sur sa lancée, misant non seulement sur son aspect historique mais aussi sur l’évolution constante de ce courant musical. Les choix de programmation peuvent paraître surprenants pour certains, mais c’est justement cette audace qui évite à un tel événement de tomber dans la redite. Bref, une volonté d’aller de l’avant qui reste fidèle à l’esprit du mouvement original : la présence de Chris Cutler, à l’origine du « collectif » Rock in Opposition en dit long sur l’intérêt de la démarche de Michel Besset et de Roger Trigaux, qui restent à la tête de l’organisation du festival. Une somme de souvenirs qui feront date, à n’en pas douter.
Vendredi 17 septembre
Geneviève Foccroulle
Cette pianiste a publié en 2008 un coffret de neuf disques comprenant l’intégrale des compositions d’Anthony Braxton pour piano solo. Alors que ce dernier est réputé pour son versant le plus jazz, il s’illustre également par des œuvres pour effectifs classiques, à l’instar de ce que peut aujourd’hui faire John Zorn. Il est donc ici question de musique contemporaine, mais qui évite en partie la caricature, le compositeur n’étant pas issu du « milieu ». Un seul titre fleuve est interprété, dont l’idée de base est proche du In C de Terry Riley : jouer en boucle certaines lignes tout en gardant une grande liberté au niveau de l’ordre et de l’emboîtement des sections, ce qui peut même aller jusqu’à passer sous silence plusieurs pages de la partition. Le résultat est immédiat au regard du rythme qui domine et qui rend l’ensemble moins abscons. Et pourtant, la structure laisse apparaître à la longue une certaine monotonie, liée à un certain manque de nuances et de variations. Toujours est-il qu’avec une telle ouverture, le festival assoit son image de défricheur de musiques en tous genres et fait ainsi découvrir à l’assistance médusée une facette assez inconnue du jazzman culte.
Caspar Brötzmann Massaker
Le fils du légendaire saxophoniste free-jazz Peter Brötzmann (qui jouera d’ailleurs le lendemain) est à la tête d’une formation assez difficile à définir, entre un jazz-rock aux tonalités sombres, pas si éloigné des albums récents de King Crimson, et les gimmicks d’un guitar-hero avec tous les poncifs du genre (torse et pendentif en or bien visibles notamment), se concentrant davantage sur sa pédale d’effets que sa guitare. Malgré ce tableau incongru et plutôt insipide à première vue, l’artiste démontre une réelle capacité à faire jouer la section rythmique, simple et pourtant si implacable, et dont les phrasés évolutifs structurent une jolie progression au service de la performance globale. Même si l’on peut rester de marbre face à cette démonstration d’ego, la prestation du guitariste reste pétrie de choix intéressants.
Sleepytime Gorilla Museum
Il est temps de passer aux choses sérieuses, et le groupe est très attendu au tournant. Si la setlist se concentre sur le dernier album du groupe, In Glorious Times, les anciens titres disséminés tout au long du show sont interprétés dans des versions transfigurées, comme un répertoire en permanence réactualisé. Les morceaux sont introduits par un Nils Frykdahl en grande forme et au jeu théâtral, déclamant les paroles du titre à venir telles une comptine aussi glauque qu’intrigante. La configuration de la salle, assez inhabituelle pour le groupe (les spectateurs sont assis) ne freine pas pour autant l’enthousiasme général, comme en témoignent les quelques « headbangers » du dimanche qui n’ont pas hésité à souligner la dynamique des Américains. Petit à petit, le public se prête au jeu en pénétrant dans l’univers de la formation et rend ce moment unique. Tous ces choix audacieux mis bout à bout font de ce concert une expérience clairement marquante. La première journée du festival se termine de la plus belle des manières.
Samedi 18 septembre
Aquaserge
Voici l’une des belles surprises du festival, un groupe peu attendu et qui en aura convaincu beaucoup. Cette formation française se situe à cheval sur de nombreux créneaux : une disposition scénique à la Present, un duo de batteries qui rappelle leurs concitoyens de Taal… et surtout un rôle important laissé aux effets et à l’électronique, de façon assez proche de Yolk, formation qui s’était produite lors de la précédente édition du festival. La prestation d’Aquaserge s’avère bien plus convaincante que celle de ces derniers, grâce à une variété des situations toujours conservée, mais aussi grâce à une sonorisation qui met en valeur tous les instruments. Autant de conditions réunies pour apprécier une mixture réellement rafraîchissante.
Thierry Zaboitzeff
L’ancienne tête pensante d’Art Zoyd est ici chez lui, tant son groupe d’origine était une pierre angulaire du mouvement « Rock in Opposition » d’origine. Pourtant, il se consacre, depuis son départ en 1997, à toutes sortes d’expériences musicales, pour des projets aussi diffus qu’intéressants. Ainsi, le multi-instrumentiste apparaît seul sur scène, entouré de sa collection d’instruments et d’effets. La démarche vaut le coup d’œil, les titres et les digressions sont variées, mais un aspect inégal se dégage de l’ensemble. Les séquences pré-enregistrées sont incroyablement datées et mettent en lumière une facette plutôt amateur, loin de correspondre au talent du personnage. On ressent bien évidemment tout son savoir-faire, mais la performance reste frustrante. Des titres d’Art Zoyd, réarrangés pour l’occasion, sont interprétés avec brio, histoire de ponctuer un concert en demi-teinte.
Peter Brötzmann Full Blast
C’est l’heure de mettre les enfants au lit, l’artillerie lourde est de sortie ! Le vieux briscard du free-jazz n’est pas tout à fait en terrain conquis, mais qu’importe : les notes se déversent avec une dextérité sans faille tout au long de ce concert d’une heure… pour deux morceaux seulement, étirés à l’extrême, histoire de désarçonner le public autant que possible. L’aspect visuel de la performance frappe irrémédiablement, la musique du quartette est incroyablement vivante, et c’est en regardant les musiciens que l’on en perçoit toute la logique, avec un réel travail de mise en forme, d’écoute entre les musiciens, et le niveau ahurissant du batteur Michael Wertmüller, à la rapidité et à la précision sans faille. Les spectateurs sont très divisés alors que le concert est loin d’être aussi abscons que ce que l’on peut craindre. Le rappel, devant une salle bien moins garnie qu’au début du set, permet de présenter un autre visage de la formation, plus axé sur les nuances et les dialogues entre saxophones. Musique physique, bouillonnant en permanence, ce n’est pas pour rien que le disque le plus connu de Brötzmann s’appelle Machine Gun !
Gong
Changement radical de registre (encore une fois !) avec un groupe resté ancré dans son imagerie des années soixante-dix, comme en attestent les déguisements incongrus de Daevid Allen et les projections psychédéliques sur l’écran en fond de scène. Le public ne s’y trompe pas et c’est une véritable déferlante de « babas » qui retombent littéralement dans leur jeunesse, insouciants et enthousiastes comme au bon vieux temps. Gilli Smyth, âgée tout de même de soixante-dix-sept ans, ouvre les portes de son monde riche en couleurs et en champignons hallucinogènes, comme si Angel’s Egg venait de sortir la veille. Alors évidemment, rien n’est bien neuf dans cette formule, et même si de nombreux titres du dernier album sont interprêtés, le groupe garde son aspect intemporel, loin des modes et du conformisme ambiant. Totalement « in opposition » en fin de compte, tant la formule semble traverser les âges, pour le plus grand bonheur des habitués.
Dimanche 19 septembre
Miriodor
Voilà un groupe manifestement heureux d’être là ! Il faut dire que les Québécois viennent trop rarement fouler les planches du Vieux Continent. Trente ans après leurs débuts, leurs albums continuent à se suivre avec pour chacun d’entre eux une formule qui reste sensiblement la même : une musique instrumentale jouant constamment avec les cassures et autres digressions sans pour autant oublier en chemin l’impératif de cohérence. Et c’est d’ailleurs cette immédiateté qui sort du lot au cours de la prestation, cette « fusion », l’art de faire groover des compositions. Le batteur Rémi Leclerc fait preuve d’une ferveur communicative, qui donne une grande impulsion au groupe et permet aux morceaux de prendre leur envol. Pourtant certains titres manquent de relief et donnent l’impression d’un concert presque trop homogène. Pour autant, les bonnes idées ne manquent pas, à l’image de ce duo entre guitare et clarinette sur « Réveille-matin ». Bref, le groupe a montré qu’il était à la hauteur du festival, et c’est bien l’essentiel.
Rational Diet
Ces Biélorusses commencent à faire parler d’eux parmi les amateurs, grâce au renouveau et à la fraîcheur qu’ils parviennent à apporter à ce « rock de chambre » métamorphosé. Leurs compositions sont relativement difficiles à retranscrire en concert, étant donné la complexité de certains arrangements et les mises en place osées qui jonchent les sections. Adepte d’une musique plus dense et fougueuse que celle d’Univers Zero, le groupe parvient à reproduire avec soin toutes les subtilités nécessaires. Le rôle des cordes dans l’instrumentation est un avantage certain qui permet d’enrichir l’ensemble avec une subtilité très travaillée. Leur présence scénique peut sembler un talon d’Achille, même si ce n’est pas vraiment ce que l’on demande à ce genre de groupe, finalement. Certaines personnes dans l’assemblée sont gênées par un certain manque de précision au niveau de l’interprétation, or cet aspect est plutôt à rapprocher d’une certaine envie d’en découdre, une preuve supplémentaire de dynamisme. Alors que leurs albums continuent de progresser sortie après sortie, leur expérience live confirme tout le potentiel de la formation à l’enthousiasme est communicatif. On tient là un des coups de cœur de cette édition 2010.
Jannick Top Infernal Machina
Le bassiste chauve le plus célèbre du monde Zeuhl (hum…) continue sa série de concerts, deux ans après la sortie de l’album studio Infernal Machina, plutôt réussi compte tenu de ses objectifs. Seulement voilà, à force de jouer de cette façon avec la mode héritée de la grande époque de MDK, le risque de tout faire tomber à plat est grand. Et c’est justement ce qui se produit, avec un concert qui relève de l’auto-caricature : la rythmique martelée reste statique, presque figée dans cette volonté d’en faire trop. Alors c’est sûr, en mettant un volume très élevé et en se la jouant « musique martiale », le groupe parvient à convaincre une partie de l’audience, conquis par cet aspect spectaculaire très premier degré. Mais la redondance des morceaux a l’effet d’un pétard mouillé, et l’on se demande où ce cher Jannick veut en venir. Les titres paraissent sans fin, noyés au milieu d’un magma (hum, décidément) inintelligible et de choix douteux, comme ces séquences utilisées en permanence par la claviériste. Pour le coup, la « machine infernale » est à prendre au sens propre. C’est d’autant plus frustrant que même la présence de Klaus Blasquiz ne parvient pas à donner un regain d’intérêt à la performance. Dommage.
Art Bears Songbook
L’évènement aura donc bien eu lieu. Pourtant Il y a quelques mois, rien n’était moins sûr. Jewlia Eisenberg (Charming Hostess), qui s’était occupée des voix lors de la précédente réunion du groupe en 2008, annonçait qu’elle ne pouvait renouveler l’expérience en raison de problèmes de santé. C’est donc Dagmar Krause, la chanteuse originelle et icône de la formation, qui reprend les rennes le temps d’une soirée. Dès cette annonce, l’attente n’a cessé de grandir. Et évidemment, la qualité est au rendez-vous. La quasi intégralité des albums Winter Songs et The World As It Is Today est jouée, dans des arrangements retravaillés en profondeur pour l’occasion et adaptés au nouvel effectif. Malgré la tension et la difficulté des titres, l’humeur des musiciens est à la détente, et le sourire de Dagmar en dit long sur le plaisir qu’elle a d’interpréter avec une grande finesse ces morceaux si particuliers, éclairant des recoins cachés au milieu de compositions que l’on croyait connaître par cœur. L’arrivée de « The Dance » fait alors office d’apothéose, une pépite de plus au milieu d’un concert qui atteint pleinement son but. Et même bien plus !
On ne pouvait donc rêver un final plus réussi pour cette troisième édition d’un festival qui continue sur sa lancée, misant non seulement sur son aspect historique mais aussi sur l’évolution constante de ce courant musical. Les choix de programmation peuvent paraître surprenants pour certains, mais c’est justement cette audace qui évite à un tel événement de tomber dans la redite. Bref, une volonté d’aller de l’avant qui reste fidèle à l’esprit du mouvement original : la présence de Chris Cutler, à l’origine du « collectif » Rock in Opposition en dit long sur l’intérêt de la démarche de Michel Besset et de Roger Trigaux, qui restent à la tête de l’organisation du festival. Une somme de souvenirs qui feront date, à n’en pas douter.