Alan Simon - Anne de Bretagne

Sorti le: 05/05/2010

Par Jérôme Walczak

Label: Babaika Productions

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Alan Simon fait partie de ces grands derniers troubadours qui n’ont jamais craint la démesure. Il avait déjà frappé un grand coup avec Excalibur, opéra rock en trois parties relatant la fameuse chanson de geste (1999) et cette fois, c’est de l’histoire tragique d’Anne de Bretagne dont il est question. Premier point positif, et non des moindres, Alan Simon fait preuve de pédagogie : le livret, récité par un Jean-Claude Dreyfus au faîte de son art, apporte de nombreuses précisions sur la vie de cette reine, mariée à deux rois de France (Charles VIII et Louis XII), qui par huit fois perdit ses enfants à leur naissance, et rouvrit le parlement de Bretagne à Nantes, lieu choisi par le musicien pour la première représentation de son spectacle.

Bien souvent les opéra rock suscitent la défiance tant les thèmes choisis ne laissent part qu’au seul imaginaire, avec un fond pour le moins malingre. Alan Simon, au contraire, ne prend pas son public pour de vulgaires incultes, et impose avec brio et pléthore de grands artistes, une histoire vraie, touchante, finalement très shakespearienne dans l’âme. Si les Italiens du Colossus Project pouvaient en prendre un peu de la graine, eux qui s’en prennent à qui mieux mieux à de grands classiques de la littérature ou du cinéma qui n’ont rien demandé à personne, sans fondamentalement enseigner quoi que ce soit à leur public…

Cette fresque épique, colossale en termes techniques, ne serait rien sans les âmes qui ont contribué à la modeler. Christian Décamps interprète le rôle de François II de Bretagne, son fils Tristan celui de Charles VIII, le roi mal aimé et vindicatif. La suavité et la mélancolie de Nilda Fernandez conviennent parfaitement au roi Fernando d’Aragon, celui qui inscrivit l’Espagne au rang des peuples modernes, au prix de nombreux morts aux Amériques qui venaient juste d’être découvertes. Les deux compères de Tri Yann (Jean-Louis Jossic et Jean-Paul Corbineau) jouent pour leur part Louis XII et Philippe de Montauban. Sans oublier une Anne pathétique mais ô combien courageuse habitée par la douce harpiste Cécile Corbel.

A cet aréopage francophone s’ajoutent sans fausse note et avec une belle continuité des artistes venus des quatre coins de l’Europe : Giorgio Conte, des choristes de l’opéra de Gênes, le symphonique de Budapest, Les Holroyd (Barclay James Harvest), le folklore celtique du Bagad de Saint-Nazaire (rebaptisé Bagad Anna Vreizh pour l’occasion) et Fairport Convention. En somme, de vrais ménestrels qui portent avec talent un script riche et élégant.

D’un point de vue musical, ce spectacle populaire, au sens noble du terme, reste particulièrement empreint de chants traditionnels bretons et d’un folklore déjà largement balisé depuis près de trente années. Les puristes pourront reprocher sans doute à Alan Simon de ne pas avoir privilégié la vague nouvelle de la folk électro, popularisée depuis peu par Alan Stivell ou Dan Ar Braz par exemple : cet argument est à balayer d’un revers de main tant l’oeuvre présentée ici pendant près de deux heures reste diversifiée, et les véritables moments de rock montrent sans complexe que ces musiques qu’on pensait si bien connaître recèlent encore dans leur besace des trésors d’émotion inattendus.

Autre argument que pourraient opposer les mouettes grincheuses : aucun accès individuel aux pistes n’est possible… et c’est tant mieux ! L’éclatement des morceaux qu’induisent les nouveaux supports nuisent à l’idée même de concept, c’est un affront fait à la musique épique, et les techniciens ont été bienheureux d’empêcher ce nuisible écueil.

Avant de clore ce chapitre, mentionnons le second disque qui accompagne ce DVD, où se succèdent des interviews d’artiste (peut-être un tantinet consensuelles), des clips et quelques extraits des sessions d’enregistrement. Alan Simon prouve que le rock peut encore attirer une audience variée. Le spectacle populaire, lorsqu’il est incarné avec un tel respect du public et un tel amour de l’histoire avec un grand H, confine tout simplement au respect.