FESTIVAL : ROCK IN OPPOSITION 2009

  Lieu : Carmaux, Maison de la Musique
Date : 18,19 et 20 septembre 2009
Photos : Fabrice Journo

Deux ans après une renaissance historique et remarquée, le festival Rock in Opposition revient avec une même volonté de défricher de nouveaux espaces sonores, tout en privilégiant un certain aspect communautaire. Les nationalités présentes se comptent par dizaines, et il s’agit bien de « the place to be » pour les amateurs du genre. Par ailleurs, de nombreux artistes affiliés de près ou de loin au mouvement RIO – Rock in Opposition pour le profane (et non pas une quelconque milice paramilitaire brésilienne) – seront présents tout au long de ces trois jours, conférant à l’événement une atmosphère d’autant plus exceptionnelle.

Vendredi 18 septembre

Electric Epic

Terre d’accueil de ce rassemblement international, rien de plus normal que l’hospitalité chère à nos mœurs voie une formation française se charger d’ouvrir le bal. Aidées de poids lourds de la scène jazz zeuhl hexagonale, les compositions de Guillaume Perret s’envolent toujours plus loin et plus haut. Souvent concentré sur ses pédales d’effets en tous genre, le saxophoniste bétonne les fondations à l’aide de son instrument et guide ainsi son quartette de manière originale. Avec une section rythmique exposée avec soin, les titres gagnent en tension, malgré des progressions qui manquent parfois de variété. Philippe Bussonnet joue à la perfection son rôle à la basse, d’autant qu’il se doit d’assurer également le concert suivant en compagnie de Magma. La formation exploite en permanence les nuances, notamment lorsque le côté atmosphérique s’efface pour laisser les chorus de Guillaume Perret prendre dessus. Pas d’expérimentation inutile, le musicien va droit à l’essentiel et confère une grande dynamique aux compositions. Cette dualité dans son jeu reste l’une des principales attractions de ce set homogène, à défaut de véritablement impressionner les foules. Bien qu’étant éloignés de la ligne stylistique globale, les membres d’Electric Epic s’en sortent avec les honneurs réussissant à créer une attente relative à leur première sortie discographique.

Magma

Devant un parterre d’adeptes bien rempli, la troupe de Christian Vander poursuit les hostilités et – surprise ! – le son est enfin à la hauteur et relègue l’édition de 2007 à un lointain souvenir. La formation est désormais bien affûtée depuis les changements de musiciens et leur apprentissage du répertoire kobaïen. Pourtant, les « joyeux » refrains et autres passages sombres se suivent de façon pour le moins téléphonée, laissant l’amateur d’audace sur sa faim. Avec cet aspect patchwork pour le moins étonnant, il faut s’y résoudre : Magma se contente de faire du Magma et ce genre de prestation en pilotage automatique a de quoi frustrer. Les musiciens se contentent d’assurer un spectacle sans surprise. Certes, le groupe joue ici en terrain conquis, le public est bien plus présent que pour les autres concerts, et à compter le nombre de reliques diverses et variées à leur effigie, beaucoup n’ont fait le déplacement que pour les voir. La version anglaise de « Kobaïa » offerte en guise de rappel ne manque par ailleurs pas d’efficacité. Mention spéciale au fan en transe devant la scène alors que Stella Vander annonce la sortie d’Ëmëhntëhtt-Rê pour le cinq novembre, histoire de combler la légère déception scénique, pourrait-on croire…

Setlist : Slag Tanz – Felicite Thosz – Emehnteht-Re – Kobaïa


Samedi 19 septembre

Charles Hayward

Le fondateur des mythiques This Heat restera pour beaucoup l’une des grandes surprises de ces trois jours. Simplement armé de sa voix et de sa batterie – et d’un piano pour les premiers titres –, il livrera l’une des prestations les plus personnelles et atypiques du festival. Le son d’ensemble, plus proche d’une certaine « new wave expérientale » que du rock in opposition, permet de dépeindre une ambiance originale et particulière, et surtout de surprendre le public, but avéré d’un festival comme celui-ci. Nulle trace de This Heat et de Massacre sur le tableau. La performance improvisée du batteur réside dans le fait d’être parvenu à éviter soigneusement l’aspect démonstratif : personne n’est ici pour voir une masterclass, et le protagoniste l’a bien compris. En revanche, l’univers de Hayward reste assez hermétique, et cette sensation de « collage » sur certains titres dérange quelque peu une partie de l’auditoire. La conférence de presse qu’il donnera après le concert ne fera que confirmer l’intégrité du personnage, qui va clairement jusqu’au bout de ses ambitions les plus folles.

Aranis

Les Belges prennent le relai avec une instrumentation qui surprend : contrebasse, violons, flûte, piano, guitare, accordéon… Sous une apparence connotée « musique de chambre », Aranis s’acharne à livrer un concert décomplexé avec son florilège de bravoure. L’influence du folklore et de la musique minimaliste enrichit leur mixture tout en calmant sensiblement le propos. C’est pourtant ce soin apporté à l’interprétation qui leur permet de réellement donner vie aux titres : les libertés accordées aux musiciens sont nombreuses, comme le prouve notamment l’introduction de « Asilah » où le crescendo s’achève en un tourbillon pour le moins jouissif. Violoncelliste et compositeur exclusif du groupe, Joris Vanvinckenroye livre une prestation impressionnante et parvient autant à triturer son instrument qu’à diriger ses camarades, non sans un certain plaisir de jouer très communicatif. La flûtiste Jana Arns, qui présente les titres avec gaieté, achève de détendre une atmosphère qui en a besoin. Souvent catalogué trop « expérimental » pour les festivals folk, le septuor trouve ici un public qui adhère à sa démarche.

Setlist : Kitano – Vala – Looking Glass – Gona – Turbulentie Kort – Airesym – Labyrinth – Trog – Ilah – Chamber Rock – Mythra – Asilah

Combat Astronomy

Cette ambitieuse formation compte dans ses rangs des musiciens ayant déjà fait leurs preuves dans le milieu du rock in opposition : Dave Willey aux claviers (Hamster Theatre) et la classieuse Elaine Di Falco (Thinking Plague). Ces derniers proposent néanmoins avec Combat Astronomy une musique bien différente de celle de leurs troupes respectives. Portés par des reflets ambient, ils développent un matériau protéiforme, parfois influencé par le free jazz – les passages « étouffés » du saxophoniste rappellent John Zorn –, comme doté de rythmiques qui s’affirment pleinement, une personnalité pourtant ardue à mettre en valeur sur scène, d’autant que le son est loin d’être à leur avantage. Manquant ainsi d’intelligibilité, la musique du quintette peine à convaincre et voit l’audience se vider petit à petit, la faute à un set un brin monolithique. Avec un son à la hauteur des espérances, l’ensemble aurait gagné en efficacité et en intensité. Le manque de cohésion de la part de la section rythmique basse / batterie finit par assombrir définitivement le tableau, quand bien même le talent est indéniablement au rendez-vous, comme en témoignent leurs albums studio dont le superbe Dreams No Longer Hesitate.

Koenjihyakkei

Tout le monde attendait un concert explosif, et il l’a été ! Ces Nippons cultivent plus que jamais cet aspect kitsch délicieusement jouissif, et sont visiblement heureux d’être de la fête. Le groupe profite de l’occasion pour interpréter deux nouveaux titres aussi fous et denses que ceux habituellement proposés. La chanteuse semble aussi épanouie qu’une fillette en cour de récréation et enchaîne des lignes vocales d’une technicité incroyable. Le chant à l’unisson avec le saxophone a de quoi impressionner sur les morceaux inédits. Les parties de claviers tenues par Taku Yabuki sont aussi d’une exécution hors pair : les membres de Koenjihyakkei aiment l’exagération tous azimuts, tout en conservant un fil conducteur qui rend l’ensemble rationnel et réussi. L’album Angherr Shisspa se taille la part du lion avec une recette musicale qui se révèle bien plus efficace en concert que sur disque, par cette couleur plus radicale et brute de décoffrage. Point d’orgue de cette fin de journée : la sémillante chanteuse annonce l’anniversaire de Taku avant que le groupe n’entame une version déstructurée de « Happy Birthday ». Décidément, cette volonté constante d’être à contre-courant leur va comme un gant, dès lors que l’esprit de ces Japonais loufoques trouvent écho auprès de farouches mélomanes !

Setlist : Vissqauell – Becttem pollt – Rattims Friezz – New Song 1 – Nivraym – New Song 2 – Fettim Paillu – Angherr Shisspa – Vammilica Iffirom – Sunna Zarioki


Dimanche 20 septembre

Yolk

Les Français se chargent de débuter la dernière journée du festival avec une musique gorgée d’effets qui sait d’entrée faire bonne impression. Les motifs s’entrelacent et les boucles se confondent en une fusion personnelle à cheval entre le rock expérimental et l’électronique. Delphine Delegorgue et son chant passé à la moulinette de filtres divers apporte clairement une dimension supplémentaire aux compositions des Dunkerquois. L’impression d’un matériau perpétuellement façonné tenaille et rend leur performance d’autant plus intéressante. Les autres musiciens parviennent en outre à exploiter suffisamment leurs multiples aptitudes pour capter l’attention du public, avec des compositions malléables qui leur permettent de s’exprimer en totale liberté, à l’image de Valentin Carette à la guitare qui enchaîne riffs quasi metal et un travail d’une grande richesse sur les pédales d’effets. Une des bonnes surprises de ce festival qui peut se targuer de proposer un son qui sort véritablement du lot et empreint d’une identité affirmée.

The Muffins

Formation Canterbury née tardivement dans les années soixante-dix alors que ledit mouvement s’éteignait, The Muffins fait partie des rares survivants à pouvoir prétendre appartenir à la noble lignée de par leurs origines dans un tel festival. Ces vieux briscards usent donc d’un jazz aux multiples escapades. Billy Swann sait notamment se faire agréablement remarquer avec sa basse fretless qui domine une musique d’une inventivité certaine. Pourtant, leur répertoire manque de variété et rend leur prestation pour ainsi dire monotone. Sans pour autant faire mauvaise impression, les Américains caressent leurs auditeurs dans le sens du poil, tant et si bien que l’audace passe à la trappe. Bénéficiant d’un bagage seventies fort, le côté « vieille école » de ces compositions, avec des nuances plus marquées et des structures plus contrastées, leur permettrait d’attirer plus d’oreilles innocentes dans leur filet. Dommage, l’image d’une représentation scénique en demi-teinte restera présente dans l’esprit de nombreux festivaliers.

Present

Déjà à l’honneur il y a deux ans, Roger Trigaux et sa bande savent jongler avec cette imagerie sombre et martiale qui émane de leurs compositions. Précision millimétrique, notes affutées, tous les ingrédients sont rassemblés pour vivre une prestation attendue, tant les apparitions live qui gagnent toujours en intensité se font également plus rares. Le décor d’une autre dimension est posé, les oreilles s’immiscent dans un univers de cliquetis et autres métaphores industrielles. Le concert s’avère court, sans les explosions de la précédente édition. Cette économie de moyens est toute relative : la machinerie est bel et bien présente [NdlR : succulent], implacable, notamment lors de la reprise de « Docteur Petiot » d’Univers Zero. « Vertiges », en passe de devenir un des classiques du groupe issu du dernier album Barbaro (ma non troppo), tant il rassemble tous les éléments qui ont forgé l’identité des Belges jusqu’à présent [NdlR : juré, c’est la dernière] depuis leurs débuts en 1979. Alors que les premières notes de « Promenade au fond d’un canal » et sa progression terrassante résonnent, une impression tenace se ressent… jusqu’à l’arrêt du titre en plein milieu qui laisse un goût d’inachevé. Mais que se passe-t-il ? Bref, fidèles à eux-mêmes, les membres du groupe parviennent toujours autant à marquer les esprits.

Setlist : Delusions – Vertiges – Docteur Petiot – Promenade au fond d’un canal (début)

Univers Zero

Dans l’assemblée, beaucoup se demandent comment faire mieux que Present. Visiblement, Univers Zero préfère à juste titre répondre au problème à sa manière vu que la comparaison entre les deux concerts n’a pas vraiment lieu d’être, tant ils s’avèreront complémentaires. La fougue atypique de Daniel Denis à la batterie animera la prestation en propulsant avec emphase des compositions déjà remarquables. L’attitude free du groupe pousse les musiciens à se transcender, comme l’illustre Pierre Chevalier qui propose un solo quasi impressionniste, relevant davantage des pièces pour piano de Takemitsu que de l’avant-prog auquel est habitué le public. Malheureusement, de nombreux problèmes sonores viennent gâcher leur concert et énerver passablement Daniel Denis. Les Belges ne se laissent pas pour autant perturber par la situation et usent d’humour (« La Heineken, c’est pas de la bière ! ») et d’une musicalité hors du commun pour rattraper le coup. Univers Zero prouve aux plus récalcitrants que la musique peut être autant réfléchie que spontanée.

Setlist : Xenantaya – Présage – Civic Circus – Dense

Grand final : Univers Zero / Present

La mise en scène est impressionnante avec les batteries de Dave Kerman et Daniel Denis qui dominent l’auditoire. L’introduction de « Jack the Ripper » pointe le bout de son nez, suivi du phrasé si particulier du basson de Michel Berckmans. Les arrangements sont soignés, rien n’est laissé au hasard : chaque partie a été retravaillée en profondeur afin d’exploiter au mieux possible l’instrumentation assez exceptionnelle de l’événement. Bien plus massif qu’à l’habitude, le son est puissant, tel un mastodonte face à soi. La force de l’ensemble est décuplée et chaque intervention apporte une richesse supplémentaire. Accablants de noirceur et d’intensité, les crescendos prennent des proportions insoupçonnées. « Promenade au fond d’un canal » reprend son cours là où Present l’avait laissé : l’explosion est alors immédiate, les décibels fusent. La spontanéité des musiciens se fait de plus en plus palpable au fil des minutes, jusqu’à clore le titre dans un maelström incroyable, véritable bordel superbement organisé qui assène à l’auditeur des décharges des plus violentes jusqu’à franchir le point de non retour où chaque musicien y va de ses manifestations de transe. Dave Kerman sort ses habituelles chaînes et autres poupées Barbie pour marteler ses percussions, alors que Roger Trigaux triture sa guitare et laisse les autres envahir toujours plus l’espace sonore… Un final littéralement écrasant qui laisse une bonne partie du public sur les rotules, exténué et ravi d’avoir assisté à quelque chose d’historique.

Setlist : Jack The Ripper – Promenade au fond d’un canal (fin)

Guapo

Grande sensation pour beaucoup lors de l’édition 2007 du festival, les Britanniques reviennent avec un nouveau concept. Pour cela, le quartette est arrivé sur place dès le lundi pour mettre en œuvre le projet. En collaboration avec le GMEA – Groupe de Musique Electroacoustique d’Albi, plus habitué aux créations contemporaines qu’aux milieux « rock » –, Guapo adapte son répertoire à une idée simple mais ambitieuse : la spatialisation du son. Ainsi, à cinq reprises tout au long du festival, le public se retrouve dans la seconde salle pour se retrouver au milieu de « l’expérience ». La scène centrale permet de se concentrer sur chaque instrument, alors que sont disposés des hauts-parleurs tout autour de la salle. Le rendu visuel est lui aussi très soigné, le GMEA allant même jusqu’à projeter des animations sur le gong de Dave Smith. Piochant des titres dans leur trilogie (Five Suns, Black Oni et Elixirs), les membres de Guapo entraînent avec leurs ondes tournoyantes un public totalement immergé. Un événement rare et intense, hautement marquant, qui apporte une alternative au grand final « extatique dans la force » de Present et d’Univers Zero.

Avec autant de découvertes et de confirmations, le festival assoit assurément son aura internationale. Des groupes ravis d’être là, qui se fondent dans le public pour assister aux prestations de leurs pairs, et qui délivrent en outre des prestations « différentes », dans le plus pur esprit « in opposition ». Tout en élargissant son champ d’action, le festival conserve son son intégrité et affirme son identité. Organisateur aux côtés de Roger Trigaux, Michel Besset est un passionné qui se permet d’aller jusqu’au bout de ses rêves. Pour la prochaine édition, les noms de Art Bears, Sleepytime Gorilla Museum et Miriodor circulent… tout comme un certain Robert Wyatt. Quoi qu’il en soit, les souvenirs des ces trois jours resteront gravés, et pour longtemps.

Jérémy Bernadou

site web : Rock in Opposition Festival

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