Normal Love - Normal Love

Sorti le: 15/05/2008

Par Mathieu Carré

Label: High Two / Orkhestra

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Originaires de Philadelphie, les membres de Normal Love citent comme compagnons d’armes Kayo Dot, RUINS, Make A Rising ou Mick Barr et crient haut et fort qu’ils jouent une musique « pas facile ». C’est compliqué, la musique pas facile. Ça semble fouillis, obscur, mais tout cela reste voulu, maitrisé. D’ailleurs, les Américains, écrivent leur musique, revendiquent leurs partitions et refusent que l’on fasse d’eux des improvisateurs. Ils s’imposent en polytechniciens du son : si quelque chose se trouve à tel endroit, il y a une raison pour cela, et que l’auditeur connaisse ou non cette intime vérité ne revêt aucune importance, car le groupe donne plutôt l’impression de regarder son nombril que son public. Il offre ainsi l’image sophistiquée du dandy arrivant dans un costume si cher qu’il vaut mieux se contenter de le regarder plutôt que de lui parler. En bref, Normal Love impressionne tant que l’on ne sait plus s’il faut les admirer, les jalouser ou les ignorer.

La musique de Normal Love est pleine de ruptures virtuoses, on y trouve un violon inquiétant, des riffs de guitare saupoudrant l’ensemble, des ambiances glauques et instables. On jurerait entendre Mr Bungle ou Fantomas où l’on aurait remplacé les singeries de Mike Patton par quelque chose de plus raffiné mais d’aussi inutile, des sauvageons en smoking à l’opéra. Ahuri par la technique, on peut aussi être frustré par cette débauche souvent vaine, lorsque sous prétexte de multiples changements de direction, Normal Love se croit autorisé à n’aller nulle part. Ce n’est donc peut-être pas un hasard si les morceaux les plus réjouissants sont les plus courts, avec notamment les deux minutes éblouissantes d’Afrique électrifiée de « Ndugo » ou le puissant « The Final Sarcophagus of Darkness », vitaminé par un batteur tout en excès métallique. Le reste de l’album ressemble plus à une œuvre contemporaine écorchée, où intensité, vide et structures se retrouvent éclatés aux quatre coins du hall d’exposition.

Le passionné reconstituera sa propre histoire, en fera sa vérité, pour adhérer à ce propos volontairement insaisissable. Entre les coups de guitares saturées, une vague électrostatique irrésistible (« The Signal’s Coming From Pittsburgh ») et quelques cauchemars industriels, les passages stimulants ne manquent pas et on ne saurait ignorer la classe magistrale qui s’en dégage.

Au contraire de formations comme Zakarya qui basent leurs expérimentations sur un solide et fertile terreau d’influences communes, Normal Love construit seul tout son propos. Cette démarche entière, si risquée qu’elle soit, reste infiniment honorable. Telle un pilote intrépide roulant trop vite au risque d’abimer son bolide dans une sortie de route, la formation de Philadelphie fonce, ignore les forces de l’ordre et ne se fie qu’à son instinct.