Dream Theater

22/11/2007

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Par Julien Damotte

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FESTIVAL : DREAM THEATER / SYMPHONY X

  Artiste : Dream Theater et Symphony X
Lieu : Paris, Zénith
Date : 5 octobre 2007
Photos : Dan Tordjman et Julien Damotte

Set-list Symphony X : Intro : Occulus Ex Inferni – Set the World on Fire – Domination – Serpent’s Kiss – The Odyssey

Set-list Dream Theater : Intro : An Ant Odyssey – In the Presence of Enemies – Strange Deja Vu – Blind Faith – Surrounded – Constant Motion – The Dark Eternal Night – Keyboard Solo – Lines in the Sand – The Ministry of Lost Souls – I Walk Beside You – Take The Time – Rappel : Medley: I. Trial of Tears – II. Finally Free – III. Learning to Live – IV. In the Name of God – V. Octavarium

Les fans des deux groupes et les amoureux du metal progressif en général rêvaient d’une telle affiche depuis toujours. C’est désormais chose faite puisque Mike Portnoy a eu la bonne idée d’emmener ses nouveaux amis du Gigantour en tournée européenne. Premier regret : pourquoi ne pas avoir donné plus de place à un groupe de la trempe de Symphony X, qui aurait mérité bien plus qu’un simple rôle de première partie ?

L’intro du dernier album en date des américains, le tant attendu Paradise Lost , se termine à peine que le Zénith se voit brusquement noyé dans une bouillie sonore innommable ne rendant pas justice à la qualité de l’interprétation des cinq musiciens. La guitare de Michael Romeo, pourtant impeccable au tout premier rang dans la fosse à photographes, se voit transformée en une pluie de décibels indigeste par l’ingénieur du son, comme si ce dernier avait une dent contre le groupe. Si l’on ajoute à cela des éclairages rudimentaires, il n’y a pas de doute, on a bien affaire à une première partie. Et pourtant, à l’image d’un Russel Allen impressionnant de charisme et de justesse (James Labrie a dû trembler dans les loges), les cinq américains livrent une prestation sans faille et allient virtuosité à présence scénique. Visiblement heureux de retrouver le Zénith (qu’ils avaient déjà enflammé en avril 2003 pour la première partie de Stratovarius), le groupe va même réserver une surprise au public parisien. Après avoir enchaîné sans temps morts les titres les plus efficaces du nouvel album, Russen Allen annonce que pour les vingt-cinq minutes restantes, ils ont prévu de jouer l’épique « The Odyssey » en entier. Inutile de préciser que ce morceau fait office d’apothéose et finit de convaincre les quelques indécis. Comme avec Stratovarius en 2003, Symphony X quitte la scène en laissant planer un doute : mais comment faire pour passer après eux ?

Dès le changement de décor, Dream Theater semble s’être donné les moyens d’asseoir son statut de tête d’affiche. A l’image de la pochette de Systematic Chaos, fourmis et autres panneaux de signalisation envahissent la scène et deux écrans géants font leur apparition en arrière plan. Exit le minimalisme du mois de juin, le groupe a repris les bonnes habitudes : show à l’américaine, éclairages impressionnants et animations vidéos somptueuses. Pour rester dans la démesure, le théâtre du rêve ouvre son concert par l’intro. la plus pompeuse qu’il soit : « An Ant Odyssey », le thème de « 2001, Odyssée de l’Espace » suivi du nouvel épique inédit en live jusqu’à présent « In the Presence of Enemies » dans son intégralité. Premier titre issu de Systematic Chaos et première inquiétude : Dream Theater va-t-il piocher la majorité des titres dans ses dernières productions ? Malheureusement oui. Si les nouveaux fans du groupe se réjouissent ouvertement de l’orientation de la set list, titre après titre, les plus anciens et nostalgiques de la période pré-Six Degrees of Inner Turbulence resteront sûrement sur leur faim à l’issu de ces deux heures et demi de concert. La majorité des chansons sont issues du dernier album en date qui est loin d‘avoir fait l’unanimité chez les fans de la première heure… et les autres. Si « Constant Motion » passe bien le cap de la scène grâce à son efficacité, des titres longuets comme « The Dark Eternal Night » et « The Ministry of Lost Souls » font vraiment pâle figure à côté des « Take the Time » et autres « Lines in the Sand ». Et que dire du dispensable « I Walk Beside You » ?

Côté performance, James Labrie est, comme lors du concert à Clermont-Ferrand en juin, en meilleure forme vocale que jamais (c’est d’ailleurs la première fois que votre serviteur l’entendra chanter juste sur le refrain de « Blind Faith »). John « Chabal » Petrucci, quand il ne se lance pas dans un aller-retour supersonique sans saveur, montre qu’il a toujours un feeling incroyable lors de ses diverses impros mélodiques sur « Surrounded » notamment. Jordan Rudess est quant à lui plus joueur que jamais puisqu’il vient partager le devant de la scène avec ses acolytes guitaristes et bassistes à l’aide de son nouveau clavier portable. Si ses interventions improvisées ne sont pas toujours à la hauteur de son jeu sur album, l’aîné du groupe s’en donne à cœur joie et cela se voit. John Myung, s’il est toujours effacé scéniquement parlant, est plus présent au niveau du son. La basse semble enfin prendre une place importante dans le mix. Mieux vaut tard que jamais ! Enfin, Mike Portnoy reste une fois de plus fidèle à son image d’harangueur de foule et de leader charismatique du groupe derrière ses fûts en plexiglas.

Esthétiquement parlant, contrairement à Symphony X, tout est irréprochable, du son aux éclairages. Pourtant, si l’on parvient à écarter le côté « poudre aux yeux », il est facile de voir que la différence entre les deux groupes ne vient pas de cet étalage d’artifices, mais vraiment du plaisir que les musiciens éprouvent sur scène et de la rage qu’ils sont de vouloir en découdre. Depuis 2004, les cinq New-Yorkais sont de plus en plus froids sur scène et semblent avoir perdu l’innocence et la spontanéité des débuts. Si chaque passage au Zénith parisien reflète le succès grandissant du groupe (l’évolution des prix du merchandising parle d’elle-même : quatre-vingt quinze euros pour un maillot de basket par exemple !), le nombre de nostalgiques est lui aussi de plus en plus important. Il faudra s’y faire, les goûts changent… et Dream Theater aussi.

Julien Damotte

Progressia vous propose également un autre point de vue sur ce concert, celui d’un de ses lecteurs.

Il fut un temps pas si lointain où les concerts de Dream Theater étaient un véritable remède à la morosité ambiante. Déjà, tout avait mal commencé : si je me réjouissais de les voir en ce vendredi 5 octobre au Zénith de Paris, le prix des places pour la première fois proposé à plusieurs tarifs ne me disait rien qui vaille, surtout au moment où le groupe Police, de passage dans la capitale, scindait la fosse – le lieu du mérite par excellence – en deux pour mieux accuser les clivages de pouvoir d’achat en vigueur dans notre beau pays.

Aimant le théâtre du rêve depuis toujours, je m’acquittais tout de même sans rechigner des 46 euros requis pour bénéficier d’un bon placement eu égard à la longueur des sets habituellement proposés par les maîtres du metal progressif. Une fois sur place, une fouille en règle privait ceux d’entre nous qui souhaitaient conserver un souvenir photographique de la performance, de leur appareil. Tout juste si le port de jumelles était toléré dans l’enceinte où de grosses affiches nous prévenaient diligemment qu’hôtesses et placeuses étaient rémunérées uniquement au pourboire.

Après nous être une nouvelle fois soulagés de quelques euros au profit de ces charmantes demoiselles, nous assistons immédiatement au set de Symphony X débutant avant l’heure indiquée sur les billets, alors que beaucoup d’entre nous étaient en train d’investir les gradins (la disposition des sièges prive d’ailleurs une partie du public des images projetées sur écran). Pour ceux qui pensaient à une véritable double affiche, quelle douche froide que cette première partie étriquée de quarante minutes, où le brio des musiciens ne parvenait pas à compenser l’insuffisance d’espace et de moyens alloués ce soir-là à l’une des pourtant formations phares du metal progressif ! (Portnoy aurait-il perdu son légendaire fair-play ?). Ce manque de respect vis-à-vis des nombreux spectateurs arborant pour l’occasion de splendides tee-shirts à l’effigie de Symphony X devient malheureusement monnaie courante, et nous dûmes nous consoler temporairement en nous disant que le set de Dream Theater allait se dérouler à l’infini, avec peut-être un jam final associant les membres des deux groupes.

Là encore, nous eûmes tout faux : axant désormais principalement leurs concerts sur les deux ou trois derniers albums, quand ils ne rendent pas hommage à leurs anciennes compositions en interprétant l’intégralité d’un de leurs vieux disques à l’occasion d’un anniversaire, Dream Theater fait à présent du metal pur et dur, et tente de singer Metallica dont le succès planétaire leur inspire certainement plus de respect que celui plus confidentiel, quoiqu’obtenu sans le soutien d’un coach payé à prix d’or, des Riverside, Mars Volta et autres Oceansize. Le parallèle offert avec le concert de Coheed and Cambria deux jours auparavant au nouveau Casino de Paris était pour le moins saisissant : là où le groupe de Claudio Sanchez propose une cérémonie dénuée de tout apprêt, se permettant même d’improviser une reprise d’Iron Maiden au cœur d’un de leurs titres, Petrucci et Portnoy nous sortent un numéro de vieux briscards où toute émotion est évacuée au profit du déploiement d’un savoir-faire certes toujours impressionnant, mais ô combien moins marquant à l’heure où la plupart des groupes voient leur niveau technique s’étoffer considérablement.

Alors bien sûr la mise en place est impeccable et le son du groupe n’a peut-être jamais été aussi bon (mention spéciale à John Petrucci dont la maturité lui permet sans doute envisager une carrière solo digne de ce nom), mais cela compense-t-il le fait que, pour la première fois, Dream Theater proposait une set-list en tout point prévisible ? Le pauvre James La Brie semble se demander ce qu’il fait là, toujours à la peine sur les titres metal proposés durant le plus clair de la performance, et suppléé par les growls inarticulés de Portnoy, censés compenser idéalement l’absence de James Hetfield à qui ils auraient sans doute proposé le poste si les deux foramtions jouissaient d’une popularité équivalente.

A cet égard, le comparatif implicite avec Russel Allen, dont les comparses composent eux en fonction de son registre vocal, n’est pas à l’avantage du front man canadien et il y a désormais une hiérarchie évidente entre les Portnoy et Petrucci d’une part, et les Myung, Labrie et Rudess, d’autre part (le passage chez Roadrunner annonce-t-il le début de la fin ?). Même si ce dernier se la joue façon Jan Hammer avec son clavier portable sur le devant de la scène (seule véritable idée sympathique de cette soirée), on ne m’enlèvera pas de l’idée que Dream Theater pourrait maintenant « splitter », comme en témoigne la multitude des side projects qu’ils entretiennent en parallèle d’une carrière entrecoupée de longs breaks très prudents.

Après tout juste deux heures de musique, les musiciens se retirent une première fois et ne reviennent que pour nous jouer un pot pourri (ça, un medley ?) d’une demi-heure avant que les lumières ne se rallument définitivement (ont-ils vraiment toujours plaisir à jouer ensemble ?).

Pour la première fois, le groupe ne marque pas plus le coup qu’il ne gagne de points en se produisant devant le public parisien qui était jusqu’ici le meilleur allié des américains en Europe, leur permettant de remplir de grandes salles sans publicité. Le bouche à oreille devrait s’en ressentir.

Pour une – tout de même – excellente relecture de « Surrounded » avec un solo magistral de Petrucci, je ne chanterai pas « De Profundis », mais pour combien de temps encore ? , sachant que ces désormais quadragénaires et bons pères de famille se mettent à gérer précocement leur héritage, avant même d’avoir atteint le statut de groupe de légende. La formule homérique des « an evening with » est-elle désormais si lointaine ?

Jean-Pierre Alenda

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