Divers (Colossus) - Odyssey - The Greatest Tales

Sorti le: 28/02/2007

Par Jérôme Walczak

Label: Colossus

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Colossus est une association finlandaise active qui, régulièrement, donne de magistrales leçons de néo-prog. Prenez un thème porteur et universel : le Colosse de Rhodes, les Sept Mercenaires, l’Île au trésor, choisissez quelques groupes et faites-les plancher là-dessus avec obligation de produire un résultat musicalement harmonieux respectant les canons du rock progressif : ambiances garanties, nappes de clavier, progression dans le thème, structure de l’ensemble. Ici, c’est à Homère et son Odyssée que neuf groupes s’attellent pour un résultat séduisant, mais ambigu.

L’album est triple, quatre heures de musique et au final, assez peu de déchets. Ce qui est agréable, c’est la véritable unité de l’ensemble. Un bel effort a été fait dans le mixage et la production, car on a affaire à une structure très homogène tout au long des trois albums, qu’il est recommandé d’écouter dans l’ordre avec le livret sous les yeux, comme à l’opéra.
La production est assez dynamique, sans grandes plages un peu longuettes qui viennent nuire à l’ensemble. Bien entendu, il est facile de céder au jeu des ressemblances : ce qui vient à l’esprit, assez immédiatement, c’est Ayreon, et les amateurs du grand Lucassen devraient retrouver de nombreuses sonorités communes (« At the court of Alkinoos », par exemple) : mélange de voix féminines et masculines, voyages en clavier, guitares puissantes, chœurs. On a par moment l’impression d’entendre The Final Experiment ou Into The Electric Castle.

Ces trois albums méritent de nombreux adjectifs : épique, grandiloquent, romantique, parfois « grand-guignolesque ». C’est assez audacieux, par les temps qui courent, de se lancer dans de telles sagas ébouriffantes, à une époque où les formats courts sont préférés, à une époque où les incursions vers le jazz ou la pop sont saluées comme des avancées fondamentales. Saluons l’audace, mais… n’est-elle pas aujourd’hui un peu vaine ?
En effet, le projet de Colossus renoue avec une tradition progressive bien ancrée : The Lamb Lies Down on Broadway, Aqualung, The Dark Side of the Moon véhiculaient eux aussi des trames narratives qui à l’époque, la « grande » époque, avaient trouvé leur public, impliquaient l’auditeur dans toute une série de voyages, de discussions, de rêveries. Aujourd’hui, les temps ont bien changé, et un album comme The Greatest Tales donne plus l’impression d’un chant du cygne qu’il n’insuffle un nouvel élan musicalement créatif.

Il est à craindre que ce triple album ne résiste pas aussi bien au temps que ses illustres prédécesseurs. On pourrait reprocher à cet album d’être trop léché, trop formaté. The Greatest Tales, c’est tout simplement un immense Tribute album, un hommage aux grands anciens, que l’on écoutera par nostalgie plus que par souci de découvrir du nouveau. Ce disque, c’est finalement ce que Musical Box est à Genesis : une bouffée de nostalgie parfaite sur le plan technique, mais un décor de carton-pâte, avant tout. Ce qui charmait, et charme encore chez les The Lamb…, Aqualung et autres Misplaced Childood, c’est leur capacité, pratiquement infinie, d’offrir à l’auditeur de nouvelles impressions, de nouvelles sensations, de nouveaux voyages, parfois trente ans après. Ici, une telle longévité est peu probable : tout tourne trop rond, tout est bien lisse, et l’émotion de la première écoute risquera de s’estomper sans doute un peu trop rapidement.

L’effort doit être salué, mais il est à craindre que la voie musicale empruntée aboutisse à un cul de sac. Après tout, Ulysse a mis du temps avant de retrouver Ithaque, et nous, auditeurs de néo-prog, sans céder au chant des sirènes du prêt-à-écouter, trouverons-nous notre chemin ? The Greatest Tales est susceptible de nous garder longtemps prisonniers, mais il est certain que l’avenir du genre n’est plus de ce côté-là.