Ange - Le Cimetière des Arlequins

Sorti le: 19/11/2004

Par Pierre Graffin

Label: Philips

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Composé de Francis Décamps (claviers), Jean-Michel Brézovar (guitare), Daniel Haas (basse), Gérard Jelsch (batterie) et mené par le poète déjanté Christian Décamps, Ange vainqueur en 1970 du Grand Prix du Golf Drouot, était attendu au tournant après leur très remarqué premier album, Caricatures. Le Cimetière Des Arlequins affirme ce que leur première livraison n’avait laissé qu’entrevoir : Ange était – et est d’ailleurs toujours – un cas unique et rare dans l’histoire du rock français. Si ce deuxième album ne fait que confirmer le style unique et les aspirations du groupe ébauchées dans Caricatures, c’est avec une maturité affirmée, une plus grande maîtrise technique et surtout, beaucoup plus d’ambition.

Christian Décamps, tel un Lewis Carroll sous acide, laisse libre cours à son imagination débridée et fantastique sur ce Cimetière Des Arlequins qui s’écoute comme on parcourt un livre d’images peuplé de personnages extraordinaires (l’apprenti sorcier) ou même carrément saugrenus comme « L’Espionne Lesbienne ». Ces histoires, souvent satiriques et parfois effrayantes, sont littéralement emmenées par un groupe qui fait preuve d’une rare cohésion musicale même si le seul instrumental, « Bivouac Final », bien que puissant et planant, semble plus improvisé que vraiment construit.
La magie est par contre omniprésente et Ange réussit l’exploit de captiver l’auditeur en restituant une ambiance personnelle, tour à tour cynique comme sur la difficile mais très réussie reprise de Brel : « Ces Gens-Là », et macabre, mais toujours captivante. Même s’ils restent encore en deçà de la maîtrise technique de leurs contemporains d’outre Manche – Genesis ou King Crimson, pour ne citer qu’eux, les frères Décamps réussissent là où beaucoup d’autres échouent. Ils développent en effet une identité propre, un style narratif et mélodique peu commun, tout en instaurant un souffle lyrique et créatif dont peu de groupes d’alors peuvent se vanter, particulièrement en France.

Même si la production n’est définitivement pas à la hauteur de l’effort et si les sonorités ont vieilli, Le Cimetière Des Arlequins n’a rien perdu de son charme envoûtant et reste un album incontournable de la discographie angélique. Une tournée triomphale suivra la sortie de ce disque, dont une apparition très remarquée au festival de Reading en Angleterre devant 30.000 personnes, avec Genesis en tête d’affiche. La presse française ignorera d’ailleurs poliment cet évènement musical pourtant sans précédent…