Leprous

06/12/2017

Le Grillen - Colmar

Par Jean-Philippe Haas

Photos: Jean Isenmann

Site du groupe : https://www.leprous.net/

Setlist :

Bonneville – Stuck – The Valley – The Flood – From The Flame – Illuminate – Leashes – Malina – Rewind – (Rappel : The Price – Mirage – Forced Entry)

Quasi unanime depuis le début de la carrière de Leprous, la rédaction de Chromatique s’est trouvée fort divisée en ce qui concerne le nouvel album, Malina. Pas assez métal, trop pépère, pas assez innovant, trop commercial, pas assez tout, trop rien… Le groupe a clairement cherché à se renouveler, mais les avis diffèrent quant à la réussite de cette tentative. On a donc voulu en avoir le cœur net : au-delà de ce qu’on peut penser du petit dernier, que vaut donc Leprous en concert ? Après déjà plus d’une vingtaine de dates données à travers toute l’Europe, le quintette venu du froid s’est posé à Colmar, dans la sympathique salle du Grillen. Avant de pouvoir jauger la prestation des Norvégiens, il a fallu toutefois s’armer de patience, puisque trois groupes avaient été programmés en première partie sur cette tournée-marathon (trente dates en trente-deux jours!).

Le jeune trio norvégien Astrosaur ouvre le bal avec un post rock puissant et un tantinet expérimental qui alterne parties aériennes et passages nerveux. D’abord clairsemé, le public s’intéresse rapidement à ce groupe prometteur qui délivre une performance instrumentale carrée et défend de manière convaincante son album sorti en 2017 intitulé Fade In // Spaced Out, en dépit d’un volume sonore excessivement élevé. Un petit peu de communication avec le public eut également été de bon aloi… A côté de cette formation réduite, les Australiens d’Alithia offrent un contraste saisissant : pas moins de sept musiciens s’entassent sur la scène du Grillen pour le coup un peu trop étroite. Avec deux guitaristes invités et la présence au micro de Marjana Semkina, des Russes d’Iamthemorning (dont nous avions chroniqué Belighted), il va sans dire que la mission de l’ingénieur du son est délicate. La musique d’Althia méritait ainsi un rendu plus clair, ce qui aurait permis de distinguer toutes les nuances d’un prog rock atmosphérique mâtiné de passages plus énervés. Malgré tout, les spectateurs ont pu saisir le potentiel élevé d’un groupe qui, desservi par un son très brouillon, se démène pour convaincre. A défaut d’avoir été emballé, on ne peut que reconnaître la qualité des compositions dont l’ampleur se dévoile davantage sur disque.

Les choses vraiment sérieuses commencent avec l’arrivée des Islandais d’Agent Fresco. Les auteurs de l’excellent Destrier sont rodés à la scène et déroulent un show parfaitement maîtrisé. Les grands moments de leur dernière sortie sont passés en revue, avec quelques titres également de A Long Time Listening paru en 2010 et, en bonus, une nouvelle composition, prémices d’un album à venir, puissante et accrocheuse dans la lignée de ce que savent faire les Islandais : une formule mêlant math rock, pop et rock alternatif, déclinée sur des formats courts, efficaces et redoutablement techniques. Il est peu risqué d’affirmer qu’une partie des spectateurs s’est déplacée pour Agent Fresco, mais l’accueil enthousiaste que lui réserve le public dans son ensemble tend à prouver qu’il ne lui a pas été difficile de convaincre l’autre partie par sa spontanéité, ses mélodies imparables et la voix perchée de Arnór Dan Arnarson. Beaucoup d’énergie + une interprétation sans faille + des compositions aussi sophistiquées qu’immédiates = un concert quasi parfait. On en redemande volontiers, mais cinq Norvégiens attendent en coulisse d’en découdre avec les quelques trois cents personnes présentes.

Un solo de violoncelle annonce la venue de Leprous. Comme Malina, il s’ouvre sur « Bonneville », un titre qui commence délicatement pour exploser soudainement. A mesure que le show se déroule, on se dit qu’il y a un réel décalage entre la musique puissante, très technique, parfois métal, et le look de ses interprètes, des jeunots coiffés à la mode, mèche sur le dessus du crâne. Mais on aurait tort de se fier aux apparences. Le visage poupin de Tor Oddmund Suhrke cache un redoutable guitariste à l’étonnante dextérité, tout comme celui de Baard Kolstad dissimule un batteur d’exception. Et le concert se poursuit, toujours avec Malina. Si on ne sait pas encore quel sera l’avenir scénique de « Stuck » ou « From The Flame », on peut décemment penser qu’« Illuminate », sous tension et syncopée à loisir, est probablement destiné à devenir un classique du répertoire de ces bûcherons du Nord. D’autres comme « The Valley » ou « The Flood » ont déjà fait leurs preuves et traversent le set sans faux pli. Si le public fait systématiquement une ovation après chaque titre, celle-ci est décuplée sur un « Rewind », visiblement très attendu, placé juste avant le rappel où l’énorme « Forced Entry », tiré de Bilateral conclut une prestation formellement irréprochable, à l’image de son chanteur Einar Solberg. Toute acquise à la cause des Norvégiens, l’immense majorité du public ne ménage pas ses acclamations. On peut éventuellement regretter l’uniformité du spectacle car bien qu’impeccablement maîtrisé et bourré d’emphase, il a certainement manqué un peu de contraste. La faute à Malina qui a squatté les débats (sept titres sur douze) ? Toujours est-il que les fans ont obtenu ce qu’il attendaient : un concert où leur groupe favori s’est donné à cent pour cent.