Riverside – De retour de l’enfer

2016 restera dans l’histoire comme une année noire pour la musique et pour l’art en général. Quelle ne fut pas notre surprise quand Riverside annonçait, incrédule, fin février, le décès de Piotr Grudzinski ! Personne ne savait alors quelle serait la suite donnée à la bande de Mariusz Duda. Si aujourd’hui les doutes sont dissipés quant à l’avenir du groupe, il faut reconnaître que l’éminence grise de la formation polonaise sort de cette année, touchée par une succession d’évènements tragiques. Des évènements sur lesquels il a accepté, sans aucune réserve, de revenir dans cet entretien pour le moins émouvant.

Chromatique : La première question qu’on a envie de te poser, c’est : comment vas-tu ?
Ça va, merci beaucoup. Vous n’êtes pas sans ignorer la tragédie qui nous a frappés en début d’année. Cependant, il faut croire que le sort n’en avait pas fini avec moi, puisque j’ai également perdu mon père et me suis séparé de ma compagne après dix ans de relation. N’importe qui dirait que ça fait beaucoup pour un seul homme. Mais je ne suis pas du genre à me terrer dans un coin pour cacher ma tristesse et ma solitude. Et gamberger n’est pas dans ma nature non plus. C’est pourquoi, on a pris une décision forte et lourde de sens pour Riverside, la meilleure pour nous. Bien sûr, ce qui ne tue pas rend plus fort. Tout cela m’a permis de prendre conscience du lien émotionnel qui existait entre notre public et nous. Maintenant, est-ce que l’idée de mettre un point final à Riverside m’a traversé l’esprit ? Oui, j’y ai d’ailleurs repensé en ces termes après avoir annoncé que le groupe continuerait : « Est-ce la fin d’une ère ? Pourquoi ne commencerais-je pas une carrière solo ? Pourquoi ne pas faire de Lunatic Soul ma priorité et me mettre à tourner avec ce projet ? ». Nous avons eu une discussion à ce propos et suis d’abord resté indécis. Plus tard, j’ai réalisé que j’avais passé tellement de temps là-dessus, que nous avions fait pas mal de choses et qu’il restait encore beaucoup à faire. De fait, la décision de continuer a été prise, à l’époque, s’inscrivant dans un moyen terme. Voyons comment les choses se passent et nous aviserons par la suite. Aujourd’hui, je me sens fort pour continuer longtemps. Aussi tragique et triste que soit cette situation, je pense que Riverside est amené à devenir bien plus artistique aujourd’hui car nous devons nous adapter et trouver des solutions, en répétition et en studio. Nous devons expérimenter davantage que par le passé. La musique va forcément évoluer mais le noyau reste le même.


Un fait qui a marqué les esprits concernant le décès de Piotr, c’est l’incroyable flot de marques de sympathie à votre égard venu de la terre entière. Que ce soit des fans ou de groupes/artistes comme Mike Portnoy, Spock’s Beard, Enchant, Steven Wilson qui vous ont également témoigné leur soutien. Ces marques de sympathie ont-elles pu vous rendre plus facile la décision de continuer à trois ?
Honnêtement, je n’y ai pas pensé. En toute logique, le décès de Piotr m’a abattu. J’étais choqué de voir autant de gens l’être également. Je savais notre public fidèle et dévoué, mais pas aussi sensible. On a tous pris cher avec la disparition de Piotr. Aujourd’hui quand je nous vois tous les quatre en photo, je parle d’une période révolue. C’était un gars bien, d’une rare gentillesse. Il avait beaucoup changé au fil des ans, devenant plus avenant et ouvert avec les gens. Il était aimé par beaucoup. Ça va te choquer, mais je compare son décès à celui d’un personnage de Game Of Thrones, le préféré de beaucoup, dont tu n’attends pas la mort. Nombreux sont ceux qui me considèrent comme le leader ou la tête pensante de Riverside, ce qui est faux. Grudzien était quelqu’un de simple et très humble.

L’éclaircie, si l’on peut dire, dans toute cette grisaille, c’est ce nouvel album. J’imagine que dans un tel contexte, c’est une forme de thérapie pour vous ?
Oui, je pense. Comme toute thérapie, les débuts ont été pénibles. On était en studio début 2016 et Grudzien était censé enregistrer des guitares, ce qu’il n’a pas pu réaliser. On a gardé ce qui avait déjà été fait. Je voulais vraiment sortir ce disque parce que son rêve, c’était de l’avoir pour son anniversaire et trinquer à cet album. On y trouve des influences marquantes comme Tangerine Dream, Vangelis, Dead Can Dance… A son décès, après ses obsèques il nous restait une semaine de studio. S’est donc posée la question de savoir ce qu’on allait décider. Continuer ? Lâcher l’affaire ? Tout jeter ? On s’est mis en tête de le finir. J’avoue qu’être en studio en se disant : « c’est bizarre, il manque quelqu’un… » c’est pour le moins déconcertant. Mener à terme ce projet, c’était notre mission, à Michal et moi. J’étais heureux de le mener à bien. Une fois fini, j’ai déprimé pour finalement, lentement mais sûrement remonter la pente. C’est effectivement une thérapie. Les circonstances en ont fait un album différent de ce qu’il aurait dû être.

La plupart des morceaux de Eye On The Soundscape sont en réalité des chutes de studio des périodes de Shrine Of New Generation Slaves et Love, Fear And The Time Machine
Oui, en réalité, quand on a fait Rapid Eye Movement, on avait la possibilité de sortir une version double avec un second disque comprenant seulement trois titres pour quinze minutes de musique dont « Rapid Eye Movement ». Le titre éponyme, absent de surcroît du CD principal, a suscité beaucoup de questions, tu t’en doutes. Mais ce fut, in fine, le point de départ de cette réflexion qui, à l’époque, devait nous amener un jour à réaliser ce genre d’album. On avait donc « Day Session » et « Night Session ». Quand on a fait ces deux titres, j’avais la certitude qu’on ferait un disque entier dans cette veine. Par ailleurs nous avions besoin de nouveauté. On voulait un double pour quatre-vingt-dix minutes de musique. Il fallait que nous ayons de la consistance, du début à la fin. Je pense que des titres comme « Where The River Flows » ou « Eye Of The Soundscape » en sont l’exemple. Et puis, vous nous suivez depuis le début, vous savez que nous expérimentons constamment. Je pense que les gens auront ici une autre vision de ce qu’est Riverside. Certains savent d’où nous venons, d’autres pensent que nous ne sommes qu’une énième resucée de Dream Theater simplement parce qu’on a tourné avec eux en 2007. A ces gens-là, j’ai envie de mettre des coups de marteau et de leur dire : « Tiens ! Voilà, c’est ça, Riverside  »(Rires) ! Tu sais ce qui est contradictoire ? Avec ce disque, on a fait des unes de magazines de metal (Rires) !

En dépit du caractère particulier de cet album, un titre comme « Shine » aurait très bien pu être un tube en puissance sur l’un de vos précédents projets.
Absolument et c’est d’ailleurs, un très bon exemple. Grudzien voulait d’ailleurs le creuser davantage. J’en ai écrit la majorité, tout comme j’ai écrit une grande partie de Love, Fear And The Time Machine dont « Shine » est issu. On ne va pas revenir dessus, les circonstances ayant fait que cela n’a malheureusement pas pu se réaliser. Je me suis chargé des guitares et le résultat est au final à la hauteur de mes attentes. Grudzien aurait sans doute fait quelque chose façon « Grudzien Style ».

Je ne sais pas pour Mitloff et Michel, mais tu n’as jamais caché ton amour pour les musiques électroniques. Nous en avions parlé lors d’un entretien consacré à Lunatic Soul. Tu avais mentionné des groupes utilisant ces éléments. Est-ce qu’à terme, un disque comme Eye Of The Soundscape pourrait faire office de passerelle entre les fans de progressif et ceux de musique électronique ?
Je l’espère. J’ai toujours considéré Riverside comme se situant entre deux mondes. Nous plaisons aux fans de rock et d’electro. Ça prouve que les gens sont curieux. Dans notre musique, il y a ce mélange, a priori équilibré qui rassemble les fans de tous horizons. Ça me plaît. J’ai grandi avec les musiques électroniques. Mon premier instrument, c’était le synthé. Plus jeune, j’ai enregistré beaucoup de musique instrumentale sur cassette. Je sais qu’elle est quelque part, mais je crois qu’aujourd’hui, je serais complètement effrayé d’écouter ça ! Grudzien aimait beaucoup jouer avec les arpéggiateurs et les delays. On en retrouve notamment chez Dead Can Dance. Ce qu’on a essayé de faire avec ce disque c’est un mélange pondéré de musique organique et électronique. Je pense qu’on a réussi. On n’a pas forcément cherché à faire du Tim Hecker, du Brian Eno ou autres. Je nous considère pour le coup plus proche d’un Mike Oldfield.

Eye Of The Soundscape est un disque ambitieux mais avez-vous réfléchi à son adaptation sur scène ? En l’écoutant, je me suis dit que certains titres ont un certain potentiel live
On parlait de « Shine » précédemment. C’est là encore un très bon exemple. Cela étant dit, je n’ai pas d’idée précise de ce à quoi ça ressemblera. On pourrait très bien faire différentes versions de ces titres, un peu à la manière de King Crimson ! On le saura lors du concert que nous donnerons en février prochain, en hommage à Grudzien pour l’anniversaire de sa mort. Concernant le côté émotionnel que nous avons évoqué au début de cet entretien, on a annulé nos concerts car nous avions besoin de faire notre deuil et ensuite de nous vider la tête pour nous mettre à réfléchir à nouveau. Pour ce concert, il y aura des invités, des amis guitaristes, peut-être même des saxophonistes… On verra. Nous déciderons après si tournée il y aura ou non. On va pas se le cacher, ce sera riche en émotions. Déjà que répéter à trois, c’est dur, mais là, avec du monde en plus… (ndlr : léger blanc). L’idée c’est de commencer à trois, juste Michal, Mitloff et moi. Il est possible que nous ouvrions avec « Second Life Syndrome » qui, aujourd’hui, a une signification tellement particulière pour nous.

Concrètement, comment vois-tu le prochain disque de Riverside ? Est-ce que, compte-tenu du contexte autour du groupe, ce disque pourrait être plus heavy que ce que vous avez fait par le passé ?
C’est fort probable. Love, Fear & The Time Machine a été écrit dans une période pas des plus joyeuses pour moi. Pour autant, je n’ai pas voulu que cela transparaisse sur le disque. Maintenant, cette tragédie ne doit pas faire de Riverside un groupe plus rentre-dedans et plus sombre. Je me sens mieux, comme dit plus haut, plus confiant. Le futur son de Riverside sera plus intense. Mon projet Meller Gołyźniak Duda qui est en réalité un groupe de Hard Rock sortira bientôt et il y a fort à parier que le prochain Lunatic Soul subisse un léger lifting artistique. J’ajouterais que trouver un équilibre entre Lunatic Soul et Riverside est un challenge. Les deux sont liés, quelque part… Je tends à penser chaque album de Lunatic Soul comme un point de départ d’une nouvelle orientation musicale qui se développe au sein de Riverside. Il est déjà mis en boîte et il devrait sortir au printemps 2017.

On en a discuté lors de précédents entretiens : Riverside a montré la voie à de nombreuses formations originaires de Pologne. On peut citer, entre autres, Votum, Retrospective ou Indukti. Avez-vous des contacts avec ces groupes et pourraient-ils prendre part au concert que vous préparez en hommage à Grudzien ?
Il y a eu effectivement un certain engouement. Mais j’ai l’impression que ça a fait l’effet d’un soufflé qui retombe. Ces groupes se sont révélés et ont disparu du jour au lendemain. Vas comprendre… Il y a toujours des formations de jazz et de metal en Pologne. Mais le rock voire le progressif font l’objet de, … je ne sais pas comment l’expliquer…il se passe des choses. Votum et Retrospective ont une petite notoriété, mais globalement ça reste confidentiel. L’effet ne dure que le temps d’un concert ou d’un festival via la vente de CD et T-shirts. J’espère vivement que de nouveaux groupes de rock polonais sortiront bientôt de l’anonymat. Quant à savoir si des musiciens parmi ceux que tu as mentionnés seront présents… Ce n’est pas prévu. Je voudrais inviter des gens avec lesquels j’ai travaillé par le passé. On prévoit de mettre plus en avant le côté intime et le caractère familial à cette occasion.

Eloignons-nous un peu de Riverside et de Lunatic Soul. Tu as travaillé avec Steven Wilson sur, « The Old Peace » un titre dédié à Alec Wildey grand fan des deux formations décédé d’une longue maladie. J’ai posé la question à Steven quant à une éventuelle collaboration à moyen terme et il m’a avoué être emballé par l’idée…
Oui, tu imagines que c’est pareil pour moi. (Rires) Dans une autre vie où l’on aura plus de temps, peut-être ? On a discuté et on envisage de réitérer cette association pour un autre titre. Soit en vinyl soit en digital. Mais bon, j’ai un agenda blindé. L’espoir fait vivre.

Riverside a fait l’objet de critiques, souvent positives, concernant la production de ses disques. Le fait que maintenant les vinyls reviennent au goût du jour peut-il donner une saveur nouvelle à la musique de Riverside dont la production a une approche vintage ?
Quand je vois que nos vinyls sont en rupture de stock, j’ai envie de te répondre par l’affirmative. (Rires). Lorsque j’ai lancé Lunatic Soul, j’ai eu cette approche. Et je pense pouvoir dire aujourd’hui que je suis un meilleur producteur. La musique est toujours subjective, mais la production, elle, est meilleure. Il y a un certain gap entre ADHD et Shrine…. D’un point de vue production, Shrine… est bien meilleur, à des années-lumière. Je me rends compte que les formats vinyls et les mixes en 5.1 sont aujourd’hui très populaires, et que la plupart de nos auditeurs sont des audiophiles avertis.

Le prochain Lunatic Soul est donc prévu pour le printemps 2017. La suite ? Retour à Riverside ?
Meller Gołyźniak Duda sortira son premier album. Une biographie sur Riverside verra également le jour. Elle ne sera disponible dans un premier temps qu’en polonais, nous n’avons pas de visibilité sur une potentielle version anglaise. Si on trouve quelqu’un pour la traduction et une maison d’édition intéressée pour une publication en anglais, et en racheter les droits, pourquoi pas ? Par la suite, ce sera le concert hommage à Grudzien et après on devrait partir en tournée. Je ne sais pas encore comment ça va se passer. Si tout va bien, ce sera vers mai-juin 2017. En mai sortira le nouveau Lunatic Soul. On devrait entrer en studio vers septembre 2017 pour travailler sur le nouvel album de Riverside.

Avez-vous prévu d’enregistrer le concert hommage à Grudzien ?
Je n’y ai pas pensé. Tu sais quoi ? On devrait le faire. C’est une idée à laquelle on va réfléchir…

As-tu un dernier mot à ajouter ?
Je pense qu’on a tout dit. Cet album est particulier. Il représente la fin d’une époque et il est dédié à Grudzien. C’est ce qu’on voulait faire. Il présente Riverside sous un autre jour. C’est un album passage entre les temps anciens et futurs. Certains fans de Riverside ne vont-ils pas aimer ce disque ? C’est possible, je le conçois. Love, Fear And The Time Machine est notre plus gros succès à ce jour en termes de vente bien que certains fans l’aient rejeté, attendant quelque chose de plus proche de Out Of Myself ou Second Life Syndrome. Je m’attends à ce qu’on dise que cela ne correspond pas à Riverside, ce que je valide jusqu’à un certain point : Mitloff ne joue pas sur ce disque mais il est membre du groupe. J’ose toutefois espérer que les circonstances dans lesquelles cet album a été conçu seront prises en compte par les fans de la première heure. De toute façon, il y aura des éternels insatisfaits. Jusqu’à présent, les retours ont été positifs même si le disque n’est pas à cent pour cent composé de nouveau matériel. Il y a toute une histoire et un contexte derrière.

2016 restera dans l’histoire comme une année noire pour la musique et pour l’art en général. Quelle ne fut pas notre surprise quand Riverside annonçait, incrédule, fin février, le décès de Piotr Grudzinski ! Personne ne savait alors quelle serait la suite donnée à la bande de Mariusz Duda. Si aujourd’hui les doutes sont dissipés quant à l’avenir du groupe, il faut reconnaître que l’éminence grise de la formation polonaise sort de cette année, touchée par une succession d’évènements tragiques. Des évènements sur lesquels il a accepté, sans aucune réserve, de revenir dans cet entretien pour le moins émouvant.

Chromatique : La première question qu’on a envie de te poser, c’est : comment vas-tu ?
Ça va, merci beaucoup. Vous n’êtes pas sans ignorer la tragédie qui nous a frappés en début d’année. Cependant, il faut croire que le sort n’en avait pas fini avec moi, puisque j’ai également perdu mon père et me suis séparé de ma compagne après dix ans de relation. N’importe qui dirait que ça fait beaucoup pour un seul homme. Mais je ne suis pas du genre à me terrer dans un coin pour cacher ma tristesse et ma solitude. Et gamberger n’est pas dans ma nature non plus. C’est pourquoi, on a pris une décision forte et lourde de sens pour Riverside, la meilleure pour nous. Bien sûr, ce qui ne tue pas rend plus fort. Tout cela m’a permis de prendre conscience du lien émotionnel qui existait entre notre public et nous. Maintenant, est-ce que l’idée de mettre un point final à Riverside m’a traversé l’esprit ? Oui, j’y ai d’ailleurs repensé en ces termes après avoir annoncé que le groupe continuerait : « Est-ce la fin d’une ère ? Pourquoi ne commencerais-je pas une carrière solo ? Pourquoi ne pas faire de Lunatic Soul ma priorité et me mettre à tourner avec ce projet ? ». Nous avons eu une discussion à ce propos et suis d’abord resté indécis. Plus tard, j’ai réalisé que j’avais passé tellement de temps là-dessus, que nous avions fait pas mal de choses et qu’il restait encore beaucoup à faire. De fait, la décision de continuer a été prise, à l’époque, s’inscrivant dans un moyen terme. Voyons comment les choses se passent et nous aviserons par la suite. Aujourd’hui, je me sens fort pour continuer longtemps. Aussi tragique et triste que soit cette situation, je pense que Riverside est amené à devenir bien plus artistique aujourd’hui car nous devons nous adapter et trouver des solutions, en répétition et en studio. Nous devons expérimenter davantage que par le passé. La musique va forcément évoluer mais le noyau reste le même.


Un fait qui a marqué les esprits concernant le décès de Piotr, c’est l’incroyable flot de marques de sympathie à votre égard venu de la terre entière. Que ce soit des fans ou de groupes/artistes comme Mike Portnoy, Spock’s Beard, Enchant, Steven Wilson qui vous ont également témoigné leur soutien. Ces marques de sympathie ont-elles pu vous rendre plus facile la décision de continuer à trois ?
Honnêtement, je n’y ai pas pensé. En toute logique, le décès de Piotr m’a abattu. J’étais choqué de voir autant de gens l’être également. Je savais notre public fidèle et dévoué, mais pas aussi sensible. On a tous pris cher avec la disparition de Piotr. Aujourd’hui quand je nous vois tous les quatre en photo, je parle d’une période révolue. C’était un gars bien, d’une rare gentillesse. Il avait beaucoup changé au fil des ans, devenant plus avenant et ouvert avec les gens. Il était aimé par beaucoup. Ça va te choquer, mais je compare son décès à celui d’un personnage de Game Of Thrones, le préféré de beaucoup, dont tu n’attends pas la mort. Nombreux sont ceux qui me considèrent comme le leader ou la tête pensante de Riverside, ce qui est faux. Grudzien était quelqu’un de simple et très humble.

L’éclaircie, si l’on peut dire, dans toute cette grisaille, c’est ce nouvel album. J’imagine que dans un tel contexte, c’est une forme de thérapie pour vous ?
Oui, je pense. Comme toute thérapie, les débuts ont été pénibles. On était en studio début 2016 et Grudzien était censé enregistrer des guitares, ce qu’il n’a pas pu réaliser. On a gardé ce qui avait déjà été fait. Je voulais vraiment sortir ce disque parce que son rêve, c’était de l’avoir pour son anniversaire et trinquer à cet album. On y trouve des influences marquantes comme Tangerine Dream, Vangelis, Dead Can Dance… A son décès, après ses obsèques il nous restait une semaine de studio. S’est donc posée la question de savoir ce qu’on allait décider. Continuer ? Lâcher l’affaire ? Tout jeter ? On s’est mis en tête de le finir. J’avoue qu’être en studio en se disant : « c’est bizarre, il manque quelqu’un… » c’est pour le moins déconcertant. Mener à terme ce projet, c’était notre mission, à Michal et moi. J’étais heureux de le mener à bien. Une fois fini, j’ai déprimé pour finalement, lentement mais sûrement remonter la pente. C’est effectivement une thérapie. Les circonstances en ont fait un album différent de ce qu’il aurait dû être.

La plupart des morceaux de Eye On The Soundscape sont en réalité des chutes de studio des périodes de Shrine Of New Generation Slaves et Love, Fear And The Time Machine
Oui, en réalité, quand on a fait Rapid Eye Movement, on avait la possibilité de sortir une version double avec un second disque comprenant seulement trois titres pour quinze minutes de musique dont « Rapid Eye Movement ». Le titre éponyme, absent de surcroît du CD principal, a suscité beaucoup de questions, tu t’en doutes. Mais ce fut, in fine, le point de départ de cette réflexion qui, à l’époque, devait nous amener un jour à réaliser ce genre d’album. On avait donc « Day Session » et « Night Session ». Quand on a fait ces deux titres, j’avais la certitude qu’on ferait un disque entier dans cette veine. Par ailleurs nous avions besoin de nouveauté. On voulait un double pour quatre-vingt-dix minutes de musique. Il fallait que nous ayons de la consistance, du début à la fin. Je pense que des titres comme « Where The River Flows » ou « Eye Of The Soundscape » en sont l’exemple. Et puis, vous nous suivez depuis le début, vous savez que nous expérimentons constamment. Je pense que les gens auront ici une autre vision de ce qu’est Riverside. Certains savent d’où nous venons, d’autres pensent que nous ne sommes qu’une énième resucée de Dream Theater simplement parce qu’on a tourné avec eux en 2007. A ces gens-là, j’ai envie de mettre des coups de marteau et de leur dire : « Tiens ! Voilà, c’est ça, Riverside  »(Rires) ! Tu sais ce qui est contradictoire ? Avec ce disque, on a fait des unes de magazines de metal (Rires) !

En dépit du caractère particulier de cet album, un titre comme « Shine » aurait très bien pu être un tube en puissance sur l’un de vos précédents projets.
Absolument et c’est d’ailleurs, un très bon exemple. Grudzien voulait d’ailleurs le creuser davantage. J’en ai écrit la majorité, tout comme j’ai écrit une grande partie de Love, Fear And The Time Machine dont « Shine » est issu. On ne va pas revenir dessus, les circonstances ayant fait que cela n’a malheureusement pas pu se réaliser. Je me suis chargé des guitares et le résultat est au final à la hauteur de mes attentes. Grudzien aurait sans doute fait quelque chose façon « Grudzien Style ».

Je ne sais pas pour Mitloff et Michel, mais tu n’as jamais caché ton amour pour les musiques électroniques. Nous en avions parlé lors d’un entretien consacré à Lunatic Soul. Tu avais mentionné des groupes utilisant ces éléments. Est-ce qu’à terme, un disque comme Eye Of The Soundscape pourrait faire office de passerelle entre les fans de progressif et ceux de musique électronique ?
Je l’espère. J’ai toujours considéré Riverside comme se situant entre deux mondes. Nous plaisons aux fans de rock et d’electro. Ça prouve que les gens sont curieux. Dans notre musique, il y a ce mélange, a priori équilibré qui rassemble les fans de tous horizons. Ça me plaît. J’ai grandi avec les musiques électroniques. Mon premier instrument, c’était le synthé. Plus jeune, j’ai enregistré beaucoup de musique instrumentale sur cassette. Je sais qu’elle est quelque part, mais je crois qu’aujourd’hui, je serais complètement effrayé d’écouter ça ! Grudzien aimait beaucoup jouer avec les arpéggiateurs et les delays. On en retrouve notamment chez Dead Can Dance. Ce qu’on a essayé de faire avec ce disque c’est un mélange pondéré de musique organique et électronique. Je pense qu’on a réussi. On n’a pas forcément cherché à faire du Tim Hecker, du Brian Eno ou autres. Je nous considère pour le coup plus proche d’un Mike Oldfield.

Eye Of The Soundscape est un disque ambitieux mais avez-vous réfléchi à son adaptation sur scène ? En l’écoutant, je me suis dit que certains titres ont un certain potentiel live
On parlait de « Shine » précédemment. C’est là encore un très bon exemple. Cela étant dit, je n’ai pas d’idée précise de ce à quoi ça ressemblera. On pourrait très bien faire différentes versions de ces titres, un peu à la manière de King Crimson ! On le saura lors du concert que nous donnerons en février prochain, en hommage à Grudzien pour l’anniversaire de sa mort. Concernant le côté émotionnel que nous avons évoqué au début de cet entretien, on a annulé nos concerts car nous avions besoin de faire notre deuil et ensuite de nous vider la tête pour nous mettre à réfléchir à nouveau. Pour ce concert, il y aura des invités, des amis guitaristes, peut-être même des saxophonistes… On verra. Nous déciderons après si tournée il y aura ou non. On va pas se le cacher, ce sera riche en émotions. Déjà que répéter à trois, c’est dur, mais là, avec du monde en plus… (ndlr : léger blanc). L’idée c’est de commencer à trois, juste Michal, Mitloff et moi. Il est possible que nous ouvrions avec « Second Life Syndrome » qui, aujourd’hui, a une signification tellement particulière pour nous.

Concrètement, comment vois-tu le prochain disque de Riverside ? Est-ce que, compte-tenu du contexte autour du groupe, ce disque pourrait être plus heavy que ce que vous avez fait par le passé ?
C’est fort probable. Love, Fear & The Time Machine a été écrit dans une période pas des plus joyeuses pour moi. Pour autant, je n’ai pas voulu que cela transparaisse sur le disque. Maintenant, cette tragédie ne doit pas faire de Riverside un groupe plus rentre-dedans et plus sombre. Je me sens mieux, comme dit plus haut, plus confiant. Le futur son de Riverside sera plus intense. Mon projet Meller Gołyźniak Duda qui est en réalité un groupe de Hard Rock sortira bientôt et il y a fort à parier que le prochain Lunatic Soul subisse un léger lifting artistique. J’ajouterais que trouver un équilibre entre Lunatic Soul et Riverside est un challenge. Les deux sont liés, quelque part… Je tends à penser chaque album de Lunatic Soul comme un point de départ d’une nouvelle orientation musicale qui se développe au sein de Riverside. Il est déjà mis en boîte et il devrait sortir au printemps 2017.

On en a discuté lors de précédents entretiens : Riverside a montré la voie à de nombreuses formations originaires de Pologne. On peut citer, entre autres, Votum, Retrospective ou Indukti. Avez-vous des contacts avec ces groupes et pourraient-ils prendre part au concert que vous préparez en hommage à Grudzien ?
Il y a eu effectivement un certain engouement. Mais j’ai l’impression que ça a fait l’effet d’un soufflé qui retombe. Ces groupes se sont révélés et ont disparu du jour au lendemain. Vas comprendre… Il y a toujours des formations de jazz et de metal en Pologne. Mais le rock voire le progressif font l’objet de, … je ne sais pas comment l’expliquer…il se passe des choses. Votum et Retrospective ont une petite notoriété, mais globalement ça reste confidentiel. L’effet ne dure que le temps d’un concert ou d’un festival via la vente de CD et T-shirts. J’espère vivement que de nouveaux groupes de rock polonais sortiront bientôt de l’anonymat. Quant à savoir si des musiciens parmi ceux que tu as mentionnés seront présents… Ce n’est pas prévu. Je voudrais inviter des gens avec lesquels j’ai travaillé par le passé. On prévoit de mettre plus en avant le côté intime et le caractère familial à cette occasion.

Eloignons-nous un peu de Riverside et de Lunatic Soul. Tu as travaillé avec Steven Wilson sur, « The Old Peace » un titre dédié à Alec Wildey grand fan des deux formations décédé d’une longue maladie. J’ai posé la question à Steven quant à une éventuelle collaboration à moyen terme et il m’a avoué être emballé par l’idée…
Oui, tu imagines que c’est pareil pour moi. (Rires) Dans une autre vie où l’on aura plus de temps, peut-être ? On a discuté et on envisage de réitérer cette association pour un autre titre. Soit en vinyl soit en digital. Mais bon, j’ai un agenda blindé. L’espoir fait vivre.

Riverside a fait l’objet de critiques, souvent positives, concernant la production de ses disques. Le fait que maintenant les vinyls reviennent au goût du jour peut-il donner une saveur nouvelle à la musique de Riverside dont la production a une approche vintage ?
Quand je vois que nos vinyls sont en rupture de stock, j’ai envie de te répondre par l’affirmative. (Rires). Lorsque j’ai lancé Lunatic Soul, j’ai eu cette approche. Et je pense pouvoir dire aujourd’hui que je suis un meilleur producteur. La musique est toujours subjective, mais la production, elle, est meilleure. Il y a un certain gap entre ADHD et Shrine…. D’un point de vue production, Shrine… est bien meilleur, à des années-lumière. Je me rends compte que les formats vinyls et les mixes en 5.1 sont aujourd’hui très populaires, et que la plupart de nos auditeurs sont des audiophiles avertis.

Le prochain Lunatic Soul est donc prévu pour le printemps 2017. La suite ? Retour à Riverside ?
Meller Gołyźniak Duda sortira son premier album. Une biographie sur Riverside verra également le jour. Elle ne sera disponible dans un premier temps qu’en polonais, nous n’avons pas de visibilité sur une potentielle version anglaise. Si on trouve quelqu’un pour la traduction et une maison d’édition intéressée pour une publication en anglais, et en racheter les droits, pourquoi pas ? Par la suite, ce sera le concert hommage à Grudzien et après on devrait partir en tournée. Je ne sais pas encore comment ça va se passer. Si tout va bien, ce sera vers mai-juin 2017. En mai sortira le nouveau Lunatic Soul. On devrait entrer en studio vers septembre 2017 pour travailler sur le nouvel album de Riverside.

Avez-vous prévu d’enregistrer le concert hommage à Grudzien ?
Je n’y ai pas pensé. Tu sais quoi ? On devrait le faire. C’est une idée à laquelle on va réfléchir…

As-tu un dernier mot à ajouter ?
Je pense qu’on a tout dit. Cet album est particulier. Il représente la fin d’une époque et il est dédié à Grudzien. C’est ce qu’on voulait faire. Il présente Riverside sous un autre jour. C’est un album passage entre les temps anciens et futurs. Certains fans de Riverside ne vont-ils pas aimer ce disque ? C’est possible, je le conçois. Love, Fear And The Time Machine est notre plus gros succès à ce jour en termes de vente bien que certains fans l’aient rejeté, attendant quelque chose de plus proche de Out Of Myself ou Second Life Syndrome. Je m’attends à ce qu’on dise que cela ne correspond pas à Riverside, ce que je valide jusqu’à un certain point : Mitloff ne joue pas sur ce disque mais il est membre du groupe. J’ose toutefois espérer que les circonstances dans lesquelles cet album a été conçu seront prises en compte par les fans de la première heure. De toute façon, il y aura des éternels insatisfaits. Jusqu’à présent, les retours ont été positifs même si le disque n’est pas à cent pour cent composé de nouveau matériel. Il y a toute une histoire et un contexte derrière.