Fire!

13/03/2016

- Copenhague

Par Raphaël Dugué

Photos: Jan Granlie

Site du groupe :

Dans le cadre de l’édition hivernale du festival de jazz de Copenhague, c’est plus de six cents concerts qui sont programmés, principalement dans la capitale scandinave, avec une optique très large, des performances grand public aux musiques expérimentales. C’est le concert des Suédois de Fire!, l’un des fers de lance du label Rune Grammofon, qui a retenu l’attention de l’équipe de Chromatique (réduite à un seul membre pour des raisons évidentes de coût). Elle a donc enfourché son vélo dans la nuit copenhagoise pour se rendre au Jazzhouse, salle intimiste dans le centre historique de la ville.

Programmé en première partie, le duo américain composé de Joe McPhee au saxophone et à la trompette, et Chris Corsano à la batterie s’inscrit parfaitement dans la tradition du free-jazz. Dans l’ambiance feutrée du Jazzhouse, les spectateur assis attendent poliment le début du concert et lorsque McPhee et Corsano rentrent en scène, un dialogue se noue à la fois intime et puissant entre la figure tutélaire du free jazz âgée de soixante-seize ans et le batteur plus jeune de trente-six ans. L’espace de liberté offert par l’interprétation du duo laisse les spectateurs s’immerger dans une musique évocatrice. Si les passages de folie dissonante propres au free-jazz sont bien entendu de mise, McPhee sait aussi créer des mélodies à la beauté évanescente. Il évoque parfois la fin de la carrière de John Coltrane. À la batterie, Corsano montre une versatilité habile, il utilise parfaitement toutes les possibilités de son instrument pour accompagner McPhee. Après presque une heure de concert McPhee rend hommage à Ornette Coleman qui d’après lui a permis l’existence de tout un pan du jazz, avec une reprise magnifique de “ Lonely Woman ” en rappel.

C’est ensuite autour de Fire! de prendre place sur scène et, dès les premières minutes, il semble que l’atmosphère du Jazzhouse soit un peu trop sage pour le trio suédois. En effet, Fire! est un groupe dont la présence et la puissance sont plutôt à aller chercher du côté du rock, voir du metal. C’est la version trio du groupe, composée de Mats Gustafsson au saxophone, Johan Berthling à la basse et Andreas Werlin à la batterie, qui entre sur scène ce soir-là pour présenter l’album She Sleeps She Sleeps. Menés par la basse saturée de Berthling, les musiciens commencent à improviser lentement ; petit à petit Gustafsson et Werlin entrent dans une fureur implacable et mettent en place un morceau à la rythmique lourde et étouffante, la musique ne va alors plus s’arrêter pendant près d’une heure. Impressionnant avec son saxophone baryton, Gustafsson assaille le public de ses phrasés torturés et tranchants. Il est épaulé par une section rythmique puissante, particulièrement Werling dont les envolées féroces répondent avec autant de folie à Gustafsson. Au milieu du chaos, la basse de de Berthling sert de point d’ancrage essentiel.

Par moments, Gustafsson se sert d’une boîte à effets pour créer du bruit blanc dans le maeltröm sonore qui envahit la salle. Le groupe enchaîne les morceaux, si bien que le public ne sait pas vraiment à quel moment applaudir. La troisième composition est un crescendo tendu et hypnotique. Tout au long des quatre morceaux joués, les rythmes s’emballent ou se relâchent mais l’intensité brute du trio reste entière et l’impression constante que la terre vient de s’ouvrir sous nos pieds pour libérer le magma tellurique de Fire! est tenace. Après une petite heure de concert qui a semblé durer seulement quelques minutes, le groupe s’éclipse avant de revenir sur scène pour un rappel. Gustafsson remercie l’auditoire avant d’échanger quelques bon mots en suédois qui amusent le public mais restent malheureusement incompréhensibles pour la Chromateam. Le final du concert débute donc par une improvisation qui rappelle la performance de McPhee et Corsano avant de se conclure sur un dernier moment de folie dantesque.

Sous les applaudissements nourris du public, Fire! se retire pour de bon, les trois membres du groupes restent échanger avec certains spectateurs, ravis par la soirée. Pour son premier concert du festival de jazz de Copenhague, l’équipe de Chromatique a donc été gâtée, entre la performance tout en émotion du duo Corsano/McPhee et le magistral Fire!