Romantic Warriors III - Canterbury Tales

Sorti le: 01/07/2015

Par Jean-Philippe Haas

Label: Zeitgeist Media

Site: http://www.progdocs.com/

Il faut être totalement passionné, un peu inconscient et avoir le goût du risque pour se lancer dans la réalisation d’un documentaire sur un sujet aussi peu porteur que le prog’. C’est pourtant déjà le troisième volet de la série Romantic Warriors que viennent de nous livrer Adele Schmidt et Jose Zegarra Holder, après une levée de fonds couronnée de succès via Indiegogo. Suite à un premier volume assez généraliste et un second consacré plus spécifiquement au Rock In Opposition, Canterbury Tales se penche comme son nom l’indique sur un autre des grands courants du genre progressif, presque exclusivement britannique celui-là, et dont les illustres représentants sont Soft Machine, Gong, Caravan et autres Hatfield And The North, pour ne citer qu’eux. Les intervenants qui s’expriment sur le sujet pendant ces deux heures ne sont pas moins prestigieux : David et Richard Sinclair, Pye Hastings, Didier Malherbe, Benoît Moerlen, Brian Hopper, Theo Travis et… Daevid Allen, dont il s’agit là probablement de l’ultime apparition filmée, avant qu’il ne perde en mars dernier sa bataille contre le cancer. Notre Aymeric Leroy national, en spécialiste incontesté de la scène Canterbury, apporte un éclairage historique bienvenu, au même titre que Leonardo Pavkovic (Moonjune Records) et Steve Feigenbaum (Cuneiform Records). Il ne manque finalement que Robert Wyatt à ce tableau bien garni.

Le reportage est divisé en quatre chapitres, plus ou moins chronologiques, depuis la genèse du genre (grosso modo attribuée à The Wilde Flowers) jusqu’à son état actuel. Beaucoup d’images d’archives (dont de délicieux extraits d’émissions françaises), d’entretiens, de musique, contribuent à rendre ces deux heures fort attractives, malgré l’absence encore une fois de sous-titres français. L’option tant réclamée par les non anglophones est toutefois disponible sur la version digitale. La plus grande partie du documentaire est évidemment consacrée à la période d’effervescence de l’école Canterbury, à la fin des années soixante et pendant une partie de la décennie suivante. Les déclinaisons européennes qui ont suivi, comme Supersister, Moving Gelatine Plates ou Forgas Band Phenomena, par exemple, sont également traitées, bien qu’on s’aperçoive assez vite qu’il s’agissait déjà essentiellement à l’époque d’une affaire anglo-britannique (parfois délocalisée en France, il faut le reconnaître). La parole est aussi donnée à la jeunesse qui essaie aujourd’hui de perpétuer cette vision toute particulière du prog’, proche du jazz : Planeta Imaginario, The Wrong Object, Syd Arthur… mais on en revient toujours à ce noyau originel représenté par Gong, Soft Machine et dans une moindre mesure Caravan. Tout en faisant sa mue et en hibernant parfois, il a traversé les époques et tient encore, presque à lui tout seul, la scène à bout de bras, malgré ses nombreux émules modernes. Ce n’est pas pour rien que les figures récurrentes de ce reportage sont Wyatt – absent mais constamment évoqué par les autres musiciens – et Allen, présent jusque dans le menu du DVD, livrant analyses concises, mots d’humour et vision décalée de l’entité qu’il a contribué à créer. Sans doute est-il celui qui a le plus de recul sur tout ça. « What is the legacy of Canterbury bands to future generations ? Thinky music in black shiny shoes », dit-il, un bonnet en forme de théière (le Flying Teapot) trônant sur son chef. Rien que pour le plaisir de voir et d’entendre une dernière fois ce personnage attachant et excentrique, Canterbury Tales vaut son pesant de cacahuètes.