Ghost Rhythms - Madeleine

Sorti le: 17/05/2015

Par Jean-Philippe Haas

Label: Autoproduction

Site: http://ghostrhythms.com/

Avec cette troisième réalisation depuis sa formation en 2005, Ghost Rhythms passe clairement dans une catégorie supérieure. Madeleine est un hommage appuyé au film Vertigo (Sueurs froides en français), l’un des sommets d’Alfred Hitchcock. Une quinzaine de musiciens, pas moins, est déployée sur plus de deux heures pour produire ce double album conceptuel, qui n’appartient à aucune paroisse, accordant autant de place au jazz qu’à la musique de chambre, laissant dire leur mot au rock, à l’improvisation, aux boucles hypnotiques. Cette manière de pétrir la matière musicale, d’émulsionner les genres, d’agréger les sons, aboutit à une œuvre cohérente, travaillée, au pouvoir évocateur considérable, aussi palpitante que son pendant cinématographique.

Les arrangements sont remarquables de la part d’un collectif aussi nombreux, le mixage et la production étonnants de clarté. Chaque instrument trouve matière à s’exprimer sur ces vingt-deux compositions, tour à tour ou ensemble comme sur les extraordinaires « Carlotta Valdes » et « Aleph », longues suites à rebondissements. Les saxophones cohabitent avec l’accordéon, les cordes avec la guitare électrique, le piano avec la basse, la trompette avec la batterie… Le plus impressionnant est cette capacité à extraire les instruments de leur chapelle habituelle, un peu à la manière d’Aranis, sans que cela ne choque d’une quelconque façon. On trouve d’ailleurs quelques similitudes avec le groupe belge sur des titres comme « Relief » ou « A Bridge ». De nombreuses autres influences se manifestent dans cette énorme quantité de musique. On retiendra par exemple des éléments minimalistes et répétitifs à la Steve Reich, des motifs pop façon Radiohead ou encore des allusions à la musique de films du Giallo italien. Quelques mélopées accompagnent ou survolent çà et là les compositions, à la façon d’un Karda Estra (« Vie d’Emilie Sagée ») et renforcent ainsi leur faculté de suggestion. Si Soft Machine est une autre influence revendiquée, on ne retrouve ici que peu de la créativité bordélique des Anglais, hormis la transgression des codes établis, même si le titre « Pour toi (mais tu n’écoutais pas) », fait probablement référence à « Dedicated to you (but you weren’t listening) » du second album de la Machine Molle.

Les ambiances mélancoliques ou inquiétantes succèdent aux passages plus rythmés. Ainsi, on peut passer sans crier gare d’une plage paisible, voire atmosphérique (« Apparition #1 », « Apparition #2 ») à un titre au groove prononcé, ou tendu, syncopé (« L’Alphée », « Three Ashes », « Free Fall », « Apparition #4 »). Les styles se côtoient et s’entremêlent sans qu’à aucun moment on n’ait l’impression d’artificialité. Et tenir en haleine l’auditeur pendant la durée d’un film relève d’un exploit dont peu de disques sont capables. On ne peut que tirer notre chapeau devant une œuvre de cette qualité, qui mêle ambition et accessibilité, virtuosité et mélodie. Un page turner version musicale.