The Last Embrace – Où l’on parle de nuggets progressifs et de crowdfunding

Avec leur nouvel album The Winding Path, The Last Embrace nous démontre que la scène progressive française se porte bien et en a sous le capot, oui, messieurs-dames ! Créativité et qualité sont au rendez-vous, aussi bien que dynamisme, élégance et bonne humeur. C’est dans cet état d’esprit joyeux et plein d’entrain que quatre des membres du groupe nous ont fait le plaisir de répondre à nos questions sur leur dernier né, et notamment sur son financement.

Olivier : guitare
Sandy : chant
Chris : batterie
Pierre-Henri dit Coco : claviers


Chromatique : The Winding Path est votre cinquième album, après un disque acoustique en 2013, Essentia. Pouvez-vous nous raconter ce qui s’est passé pendant ces deux ans ?
Olivier :
On a pas mal bossé pour préparer le nouvel album et on a beaucoup tourné en acoustique, essentiellement en duo avec Sandy, dans des petits lieux intimistes, pour défendre l’album. Il y a donc eu la préparation de The Winding Path, la composition, les répétitions, la promo et le financement participatif. En bref, plein de choses à mettre en place et à gérer.

C’est assez rapide tout de même pour l’écriture d’un album complexe sur lequel vous avez beaucoup d’invités…
Oui c’est vrai, on ne s’en est pas mal sortis ! Il n’y a pas eu de problèmes, pas de mauvaises surprises, tout s’est plutôt bien enchaîné. On a tout fait sur un mois en avril dernier chez Francis Caste au Studio Sainte-Marthe. On avait pris le parti quand même de se fixer une deadline, mais si on avait senti qu’on n’était pas prêts on ne l’aurait pas fait. On était prêts, donc on a tout enchaîné : c’était plus spontané, plus cohérent.

Vous aviez déjà du matériel écrit auparavant ?
Sandy : Oui, on avait déjà écrit pas mal de compos, je dirais au moins la moitié. Les structures étaient prêtes.
Olivier : C’est surtout le travail d’arrangement et les détails qui ont pris du temps.

Pour parler du contenu de l’album, quelle a été votre source d’inspiration ? Qu’est-ce qui vous a poussé à sortir un album beaucoup plus progressif que le précédent ?
Olivier : Tout simplement, c’est le matériel qui a été proposé par les membres du groupe, notamment Coco, ce que moi j’ai amené, les arrangements qui ont été faits… Il n’y a pas eu de calcul réel, c’est venu comme ça.
Sandy : Je dirais que c’est venu sur l’inspiration du moment. Il faut dire que Coco est un compositeur qui craque pour le style des années soixante-dix, même dans les autres albums il a toujours eu cette approche progressive. Et notre dernier venu, Chris, le batteur, est lui aussi très influencé par le rock progressif. Ça fait trois ans qu’il est avec nous, et il nous a confirmé dans cette veine là, on a pu composer avec lui des choses un peu plus complexes.
Olivier : C’est vrai qu’au niveau technique, on peut se permettre des choses plus fouillées, il a vraiment un gros niveau. Dans un album de prog, il vaut mieux avoir une bonne session rythmique, n’est-ce pas ?

Olivier, as-tu pu également lâcher prise concernant la composition vu qu’à la base, c’est toi qui en est le principal investigateur ?
Au début effectivement oui, mais au fur et à mesure, les membres se sont investis, que ce soit Sandy, Coco, les gens qui sont passés dans le groupe… Donc grosso modo, j’ai fait ma part de boulot et les autres la leur ! Il n’y a pas eu de lâcher prise, on a juste gardé les meilleures idées.

Vous avez mis le paquet côté production et artwork. Comment s’est passée cette collaboration artistique ?
Sandy : La collaboration s’est toujours bien passée. Francis Caste était un choix d’Olivier et de Coco qui étaient familiers de son travail, moi je ne le connaissais pas. Olivier a été attiré par le son que Francis produisait, sa patte, du coup il l’a harcelé au téléphone et ça s’est fait ! Francis a beaucoup aimé nos maquettes, ça lui a permis de travailler un autre univers que celui des groupes extrêmes.
Olivier : Oui, les groupes extrêmes, c’est plutôt sa came, il est connu pour ça ! Ce qui est produit par Season of Mist est légèrement plus énervé.
Sandy : l’autre collaboration concernait Dehn Sora pour l’artwork. C’est lui qui nous avait déjà fait la pochette d’Essentia. Il faut dire aussi que c’est une connaissance et un ami de longue date, ce qui nous a aidés. C’est un artiste très talentueux.

Parlons de la pochette justement : lui avez-vous donné des directions, ou est-ce lui a tout créé ?
Olivier : Lui a plutôt l’habitude de faire des pochettes pour des groupes extrêmes, de black metal par exemple. Il a travaillé pour Blut Aus Nord entre autres. Il aime les univers un peu sombres, la couleur ce n’est pas trop son truc habituellement ! Du coup on lui a donné les idées qu’on avait en tête, les éléments pour le côté un peu chaud du son, pour que ce soit cohérent avec le rendu musical. Après il a fait sa popote, et ça a donné quelque chose de super beau !

En parlant d’artwork, pensez-vous qu’il est important pour un groupe de faire une belle pochette, que ça va donner aux gens l’envie d’écouter l’album ?
Olivier : Pour le rendu d’un album c’est hyper important, c’est cinquante pour cent du boulot. Il faut une belle pochette pour ne pas passer pour un connard qui prend juste une photo quelconque.
Chris : Je suis d’accord, c’est essentiel. Quand j’écoute un CD que je ne connais pas, je le mets dans la platine et j’aime bien m’attarder sur la pochette pendant au moins dix minutes, à regarder tous les détails, découvrir un univers. Et justement, celle de The Winding Path est un peu psychédélique, il y a plein de petits détails, de choses à regarder, je pense qu’on peut scotcher dessus sans problème. Ces couleurs aussi, dans les tons roses, violet, orange… ce n’est pas très courant, ça donne une espèce de matière un peu bizarre.

C’est vrai qu’en matière de pochette pas terrible, on pense au dernier Steve Hackett…
Olivier : Mais oui ! Il joue super bien, il fait une musique extrêmement fine, et il sort une pochette de merde !
Chris : Oui, on s’attendrait à voir l’album au rayon beauf de chez Leclerc, entre les cordons bleus et les nuggets.
Olivier : Bah attends, c’est un concept ça le nugget progressif !

La particularité de votre album, c’est aussi son financement en partie par le crowdfunding. C’était un pari risqué mais qui s’est avéré payant aux dernières nouvelles. Où en êtes-vous à présent ?
Olivier : Le crowdfunding, on l’a fait après coup. On a financé la production de l’album nous-mêmes, et pour la promo et les concerts on s’est dit qu’on avait besoin de fonds et on a donc lancé un crowdfunding. On a demandé trois mille Euros et on en a récolté plus de quatre mille, ça nous permet d’avoir les reins un peu plus solides pour les déplacements, notamment au Prog Sud. Il faut bien payer les voitures, l’essence, les péages ! Et les journées promo ne sont pas gratuites non plus.

A la base, pensiez-vous atteindre même les trois mille Euros ?
Oui, mais on ne pensait pas les atteindre si vite ! On savait que c’était jouable parce que ça fait longtemps qu’on existe, qu’on a une petite fan base qui est fidèle. On a des amis et des familles qui aident également ! Des participations sont aussi venues de Belgique, d’Allemagne, d’Angleterre, du Japon, c’était surprenant !

Du coup, le financement participatif, un modèle économique fiable et viable ?
Olivier : Ce qui est difficile à gérer dans ce système, c’est le stock des contreparties, notamment les tailles des t-shirts par exemple. On ne s’en est pas trop mal tirés, mais bon, ce n’est pas évident… C’est un modèle économique nouveau qui fonctionne parce que le fait est qu’il n’y a plus d’argent, il faut aller le chercher d’une manière ou d’une autre. Les groupes se débrouillent comme ils peuvent.
Chris : Et c’est gratuit, donc on n’a rien à perdre tout du moins. Logiquement, si c’est un projet qui tient la route, il n’y a pas de raisons qu’on ne se fasse pas un petit peu de sous. C’est pour une bonne cause, pas pour aller se faire une bouffe au restau entre copains ! Ça fait plutôt plaisir d’avoir un peu de trésorerie. Et puis s’il nous reste de l’argent, on pressera un vinyle.
Olivier : Ce qui est difficile dans le vinyle, c’est qu’il faut en presser un certain nombre pour avoir des prix intéressants.
Chris : Il faut faire un nouveau crowdfunding pour le pressage vinyle !
Olivier : Pourquoi pas, on verra. De toute façon, ça évolue tellement vite sur le net et si ça se trouve, ils vont trouver un nouveau système, le crowdfunding va devenir un business et tout le monde va faire ça. D’ici deux ans, il va peut-être falloir trouver d’autres sources de financement.

Vous êtes-vous dit que, comme vous aviez un public progressif, qui généralement a un grand attachement aux groupes, à la musique et prêt à mettre de l’argent dedans, ça allait pouvoir marcher ?
Olivier : C’est vrai que dans la sphère prog, les gens aiment bien avoir l’objet. Ils sont prêts à payer pour avoir autre chose qu’un mp3 à télécharger.

Avec ce que vous avez récolté, qu’avez-vous déjà fait, ou prévu de faire ?
Olivier : Payer la suite de la promo, les prochains t-shirts, les déplacements en province, et défrayer ce qu’il y a à défrayer.
Chris : Et le pressage vinyle ! (rires)

Et le tournage d’un clip, éventuellement ?
Chris : ça me parait compliqué, pour la simple et bonne raison que déjà, nos morceaux sont longs, et que c’est tellement chaud de trouver de l’argent que pour nous, ce n’est pas une priorité. Ça ne nous fera pas vendre plus d’albums, et je n’en vois pas l’intérêt.
Olivier : Si un mécène est prêt à nous financer un super clip, pourquoi pas !
Chris : Soit on met beaucoup d’argent pour faire un clip stylé, soit on fait un clip amateur et ça fait trop… amateur. Stop aux clips avec les musiciens dans un bois, la caméra qui tourne autour et un corbeau éventré par terre ! Il ne faut pas tomber dans le kitschouille. Sinon on fait du hip-hop et on tourne ça dans une cage d’escalier.
Sandy : Il n’y a pas que ça : il faut faire déplacer tout le groupe. Chris est de Reims, le bassiste est de Charleville-Mézières. Il faut aussi apporter tout le matériel, et puis ça prend un temps fou. Non, le clip n’est vraiment pas une priorité. Ça reste un univers auditif.

La réalité pour beaucoup d’artistes, c’est qu’ils ne peuvent pas vivre de leur art. Que faites-vous à côté, et comment réussissez-vous à trouver du temps pour faire de la musique ?
Coco : Je travaille à la Bibliothèque Municipale, du coup pour la musique, c’est le soir après le boulot.
Olivier : Je travaille dans un magasin de disque, et pour le temps… et bien je dors moins ! Je bosse la musique le matin, le soir, le week-end, les jours fériés, pendant les vacances. Et s’il n’y avait que la musique ! L’enfer, c’est toute l’organisation qu’il y a autour : il faut contacter les gens, écrire les mails, monter le crowdfunding, les envois, la communication, la logistique, organiser les répétitions.
Sandy : Pour ma part, je suis maquettiste PAO, graphiste, en quelque sorte. Je travaille pour une imprimerie, et pour dégager du temps, j’ai choisi un trente-cinq heures pile poil, histoire de pouvoir faire des exercices de chant. Il faut bien travailler la voix au moins tous les deux jours. Et puis, il y a tout ce dont on a déjà parlé : la composition, les répétitions, etc. Mais essentiellement, je prends du temps sur le week-end. La communication web est très chronophage, puisque nous avons tout de même deux pages Facebook, le site Internet, le Twitter et Google +, et je réponds aussi aux mails. Il m’arrive parfois de prendre du temps sur mon travail !
Chris : Je suis traiteur à mon compte, du coup j’ai pas mal de temps libre et les autres me détestent (rires). Je me repose un peu sur mes lauriers, j’ai donné des cours de batterie et passé des diplômes, mais globalement j’ai plus de temps que les autres.
Olivier : Anthony, notre bassiste, travaille à mi-temps et donne des cours de basse, mais il a un enfant.

Sur un tout autre sujet : votre album coup de cœur de ce début d’année 2015, hormis le vôtre ?
Coco : Le nouveau DodHeimsGard, c’est un groupe de progressif extrême.
Olivier : J’allais dire la même chose !
Sandy : J’avoue que je n’ai pas acheté de disque depuis janvier 2015. Le dernier que je me suis procuré, c’était le nouvel album d’Ez3kiel, et je suis allée les voir en concert c’était super !
Chris : Pour moi c’est le dernier Chinese Man, avec un remix d’Al’Tarba et de High Tone. J’adore ce groupe, c’est du trip-hop dub. Ils sont très forts.

Un dernier mot ?
Coco : Heu… Bisou ? Coucou ? Goûtez la Rodenbach Prestige 2012, une vraie merveille !
Olivier : Ecoutez notre album, achetez-le ! De toute façon il va bientôt être en téléchargement illégal, il va bien y avoir quelqu’un qui va le balancer !
Chris : Si on pouvait faire un appel aux dons pour le vinyle ?
Sandy : Tu ne lâches pas l’affaire ! Plus sérieusement : je veux remercier tous nos fans, tous les gens qui nous ont soutenus jusque-là, certains depuis plus de quinze ans, ceux qui ont contribué au financement participatif et qui sont plus de soixante-dix. Sachez qu’on pense à vous ! On remercie également le label, Longfellow Deeds.
Olivier : Oui, il le fait par amitié, par amour de la musique sans rien gagner dessus. Et ça c’est beau !