The Algorithm – Zouk Machine

Rémi Gallego est un homme très doué. Très occupé également. Son succès était impossible à prédire, tant sa musique instrumentale mêlant habilement metal et electro s’apparente de prime abord à une véritable plongée vers l’inconnu. Adepte du travail sérieux (voire obsessionnel) sans se prendre au sérieux, il a su créer avec The Algorithm un bac à sable musical sans limite, faisant fi de toute facilité créative.
Dans cet entretien par e-mail interposé, il nous parle notamment de son dernier rejeton, Octopus4, et se confie également à propos de sa passion pour le Zouk…

Chromatique : Si le son d’Octopus4 est fortement ancré dans l’electro, il me semble que tes origines se trouvent plutôt dans le metal. Peux-tu offrir une rapide session de rattrapage à nos lecteurs et leur expliquer ce qui t’a pris, un jour, de vouloir pondre une musique aussi barrée ?

Rémi Gallego : J’ai toujours baigné dans le metal, j’ai été guitariste dans deux formations du sud de la France il y a quatre ou cinq ans (Dying Breath et Floating Wood) à tendances plutôt progressives. Une fois que les groupes ont splitté, j’ai voulu continuer à faire de la musique sur PC. Je ne savais vraiment pas trop quelle direction prendre mais je pense qu’à force d’écouter des trucs comme Between The Buried And Me, Veil Of Maya en parallèle avec Aphex Twin et beaucoup d’IDM, je me suis naturellement penché sur un hybride bizarre. Le mot « bizarre » est important, je voulais vraiment faire quelque chose qui sorte de la norme, j’ai toujours aimé les trucs un peu foufous et uniques, du genre La Compagnie Créole et tout.

Après avoir distribué ta musique gratuitement en ligne, tu as passé le cap de la maison de disque, avec les Anglais de Basick Records. Comment ton travail leur est-il parvenu ?
Fin 2011, j’ai participé à un concours de remix pour Chimp Spanner. Je me suis lâché sur celui-là, j’ai passé dix heures à faire un truc qui n’a aucun sens, j’ai gagné et Basick a commencé à s’intéresser à moi. J’ai aussi rencontré le label lors de mon premier concert à l’Euroblast Festival, toujours en 2011. Je parlais trois mots en anglais, j’avais un coup dans le nez et une tâche de kebab sur le pull et on a commencé a discuter business et yachts de luxe (enfin, surtout musique, en fait). Un an plus tard je sortais Polymorphic Code avec eux. Je crois que j’ai raconté par erreur dans une autre interview que je regrettais avoir signé avec eux, ou quelque chose dans le genre. Je profite donc de l’occasion pour expliquer qu’en fait je trouve ça méga cool parce que ça m’a ouvert beaucoup d’opportunités et ça, c’est quand même méga cool, il faut l’avouer. #megacool

Comment expliques-tu que ta reconnaissance internationale (tournées à l’étranger, présence en gros festivals) ne se répercute pas vraiment dans notre bonne vieille France ?
Avoir signé sur un label anglais et avoir tourné avec un batteur anglais, principalement en Angleterre, ça aide pas forcément à se faire une renommée en France. La « triste » vérité c’est que j’ai beaucoup d’opportunités géniales un peu partout en dehors de la France, et je saute dessus comme un petit fou, parce que c’est génial de voyager aussi, nom d’une pipe. J’ai malheureusement eu peu d’offres en France durant ma progression, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y en avait pas (donc un gros merci à tous les promoteurs qui ont aidé et essayé, et désolé d’avoir mangé toutes les chips en backstage).
Cependant, les temps changent. Je trouve qu’il y a de plus en plus de Francais qui interagissent avec moi sur Internet (NB. merci de mettre ce mot en rouge fluo avec des étoiles filantes derrière) et j’ai joué à Paris le 26 Octobre. Je travaille sur des dates françaises et peut-être une tournée. Je tiens vraiment à ce que ça arrive.

Il y a un fossé entre les deux albums, le dernier prenant une orientation bien plus electro, mettant de côté les sonorités metal sans perdre de vue la complexité, l’énergie ou l’expérimentation. Il me semble que certains fans n’ont pas suivi, imaginant probablement que le précédent instaurait ton style. Comment prends-tu ces réactions ?
J’aime bien jouer avec les contrastes et avoir une longueur d’avance sur les fans. Cela ne m’intéresse pas tellement d’avoir « beaucoup de fans » parce que je suis une mode ou utilise la même recette tout le temps. Cela enlève l’effet de surprise et j’aime bien les surprises en général. J’ai eu un délai assez court pour écrire les morceaux, j’ai voulu me concentrer sur un aspect émotionnel plutôt que sur des breakdowns à tout va et des techniques que j’avais déjà utilisées. Cet album a désorienté certaines personnes et en a touché d’autres, donc je pense qu’il y a une balance dans tout ça. L’important pour moi est d’élargir mes horizons, et ça a été le cas.

Quel a été ton défi principal sur Octopus4 ? Un défi en terme de prod, trouver le bon angle d’attaque après Polymorphic, renouveler ta manière d’écrire ?
Le principal challenge a été pour moi de me détacher un petit peu des techniques d’écriture basées seulement sur les patterns de grosse caisse et de guitares. C’est quelque chose que j’ai commencé a beaucoup développer sur Polymorphic Code et ne pas vouloir continuer à explorer l’idée sur le nouvel album est au final un peu un moyen de me mettre des bâtons dans les roues, ce qui peut paraître étrange mais je garde en tête qu’il est souvent important de se poser soi-même des challenges pour avancer. Octopus4 représente en même temps un peu cette idée-la.

Tes compos sont parfois si complexes qu’elles semblent être générées aléatoirement. Peux-tu nous expliquer à quoi ressemble une séance d’écriture pour The Algorithm ?
Je travaille à la réécoute obsessionnelle 🙂 . Certaines parties sont écrites au clavier ou à la guitare en one-shot, mais la plupart du temps j’écris un brouillon de riff et je le réécoute en le modifiant jusqu’à avoir un résultat qui sonne « parfait » à mes oreilles, ce qui n’est finalement jamais atteint, mais a le mérite de s’en approcher de plus en plus au fil des modifications. Une autre de mes techniques est d’écrire un riff aléatoire insensé puis de le triturer jusqu’à ce qu’il sonne et ait du sens, et le résultat final est souvent très différent de ce premier jet ; mais sans cette matière première, le riff final n’aurait jamais vu jour. En fait, ça se passe beaucoup dans la déconstruction d’un truc. Je pars de quelque chose, peu importe ce que c’est, et je le détruis et le recrée jusqu’à ce que ça sonne.

Total hasard, ma dernière interview fût celle de Chris Barreto de Monuments (ndlr : en fait entre temps il y a eu Bruce Soord de Pineapple Thief) , dont est issu ton batteur, Mike Malyan. A-t-il participé à cet album ou n’est-il présent que pour le live ?
Mike a participé a l’écriture du morceau MOS_, il a composé la structure et certaines mélodies et j’ai rajouté mes couches par dessus tout ça. J’ai pas le lien sur moi mais on peut écouter sa version brut sur son profil Soundcloud (ndlr : malheureusement on a pas trouvé le lien). En ce moment, je tourne avec le batteur de Uneven Structure (Jean Ferry), qui « remplace » Mike quand celui ci est occupé avec Monuments. Je pense que mon idée principale est de ne pas avoir de musiciens « fixes » à mes côtés. J’aime l’idée que je puisse jongler entre tous ces batteurs et toujours être capable de jouer live, peu importe leurs disponibilités.

Etre seul dans ton groupe (mis à part en live), qu’est ce que ça représente pour toi ? La dépression ou la liberté totale ? Te verrais-tu partager le processus créatif ? Intégrer un groupe ?
De la liberté. Beaucoup de liberté. Dans ma première formation, (Dying Breath), je composais tous les morceaux sur Guitar Pro. Mon processus créatif a grandi comme ça et je me sens à l’aise dans cette façon de fonctionner car, comme je l’ai dit précédemment, j’ai tendance à modifier beaucoup de choses quand je travaille sur un morceau. Avoir un autre membre qui ait son mot à dire me gênerait et m’empêcherait d’aller au bout de mes idées. Non pas que je prétende que mes idées soient les meilleures du monde, mais j’aime ce sentiment de satisfaction quand j’ouvre mon coeur entier à la tâche. Cela dit, j’adore jammer et improviser avec des musiciens. J’aimerais faire ça plus souvent.

J’ai vu récemment sur les réseaux sociaux que tu t’intéressais au prog des années soixante-dix. Vas-tu lâcher tes samples pour un bon vieux mellotron et quelques amplis vintage ?
Haha, j’ai envie de dire « pourquoi pas » mais ça risque de me porter préjudice si je le fais pas ! J’aime l’ambiance des années soixante-dix, surtout le côté psychédélique, mais je pense que je vais garder mon style de metal néo-rétro-post-futuristique. Et aussi le Zouk.

Tu étais régulièrement accompagné de Max Michel jusqu’il y a peu, un guitariste très impressionnant qui reprenait tes morceaux note à note. Recherches-tu un autre guitariste à l’heure actuelle ?
Max est fou ! 🙂 Pour ce qui est de rechercher un autre guitariste, je ne pense pas que ça soit la direction dans laquelle j’aimerais aller. Faire des concerts avec lui était une excellente expérience et un « bonus » spécial lié à une époque, mais je n’aime pas fixer les choses. Je joue de la guitare sur scène moi-même maintenant, ce qui me permet de jongler entre ça et l’électronique de manière plus marquée. Je tiens à garder le côté électronique isolé de toute folie guitaristique, aussi impressionnant que cela soit techniquement, j’ai encore beaucoup de choses à explorer concernant l’électronique et je préfère me donner la liberté de le faire.

Tu sembles utiliser de plus en plus d’instruments en live (keytar, guitare), est-ce une envie de lâcher ton PC et tes effets ? Plus généralement, comment vois-tu l’expérience scénique pour une formation atypique comme la tienne ?
J’ai un passé de musicien, je ne suis pas qu’un producteur. Je tiens vraiment à apporter un côté organique et musical au live set, quitte à me séparer des froides machines. C’est encore une question d’expérimentation mais je pense que la guitare était l’élément manquant des performances. Je me sens vraiment à l’aise avec et ça me permet aussi d’avoir une meilleure interaction avec le public et de ressentir et faire ressentir la musique encore un peu plus.

Je sais que tu es très fan d’Igorrr, que l’on apprécie également beaucoup chez Chromatique, es-tu en contact avec lui et pourriez-vous préparer une collaboration, live ou sur disque ?
On en a parlé quelquefois, je suis encore trop timide et occupé pour lui proposer mais j’adorerais travailler avec lui. Je ne sais pas exactement pour quand on peut espérer ça, mais je promets d’essayer !

Là, c’est un peu la question “projets parallèles”, et tu en as un certain nombre, tant dans la musique de jeu video que dans le remix de morceaux d’autres groupes. Peux-tu parler des projets qui actuellement te tiennent le plus à coeur ?
Je compose quelques soundtracks pour des jeux videos de temps à autres, le dernier que j’ai fait est Super Mutant Alien Assault qui va sortir sur PC et PSN. C’est un beat them up alien très influencé 8bit et bourré d’énergie. Je fais aussi beaucoup de remix pour des groupes, en général de metal, je travaille d’ailleurs sur une compil de remixes des morceaux qui m’ont le plus influencé. J’ai hâte.

Le Damage Festival en octobre, c’est enfin une première « grosse affiche » française pour The Algorithm, est-ce un soulagement ?
On a fait une tête d’affiche en décembre dernier avec Uneven Structure et Kadinja au Batofar, c’était Sold Out! 🙂 En tout cas, oui, le Damage Fest est une très bonne opportunité. J’adore que le public français se manifeste de plus en plus, surtout après Octopus4. Cela a pris du temps mais les gens sont très supporters et ça va en s’améliorant! 🙂

Si tu pouvais t’offrir un fantasme, quel serait la prochaine évolution, la prochaine étape pour The Algorithm ?
Je l’ai déjà dit, mais bon : Du Zouk.

Pour conclure, as-tu des liens de parenté avec Will Smith ?
oui lol je lé en ami sur MSN lol c pour sa alé @+ 😉 😉 😉