Lunatic Soul – A la vitesse de la lumière

Mariusz Duda ne sait pas prendre des vacances. Alors que Riverside a sorti l’an dernier Shrine Of New Generation Slaves et qu’il a pris part au Progressive Nation At Sea, le musicien polonais sort le quatrième volet de son côté encore plus obscur qu’obscur. C’est tout naturellement que nous l’avons interrogé à l’occasion de la naissance de Walking On A Flashlight Beam. Entretien avec un homme très occupé.

Interview réalisée en collaboration avec Maxime Delorme.

Chromatique : Etrange paradoxe : depuis le temps que Lunatic Soul existe, c’est la première fois que nous t’interrogeons sur le sujet. Ma première question est relative à l’écriture au sein de Lunatic Soul : de quoi est-elle constituée ? S’agit-il de chutes de studio non utilisées avec Riverside car ne collant pas au groupe, ou, à l’inverse d’une approche radicalement différente?
Mariusz Duda : Depuis le début, l’approche de l’écriture est différente dans les deux formations. J’avais en tête de créer un espèce de « monde alternatif ». En tant que compositeur principal de Riverside, je n’avais pas envie de translater ce processus de composition vers une autre musique. Il fallait quelque chose de nouveau. Comment cela s’est-il matérialisé ? Par plusieurs choix : tout d’abord par l’absence de guitares électriques. Ensuite, j’ai eu envie d’explorer davantage les sonorités orientales. Néanmoins, sur le premier album de Lunatic Soul figurent quelques idées que j’avais déjà en tête pour Riverside. Maintenant, pourquoi avoir créé Lunatic Soul ? Parce que Riverside ne me suffisait pas. Je ne peux pas rester dans cette routine qui veut que tous les deux ans, on enregistre, on fait la promo et on parte en tournée. Je ressens le besoin de me développer et d’évoluer en temps qu’artiste. C’est vital, sinon je deviens fou (Rires). J’ai eu envie d’expérimenter. Tout le monde connaît plus Riverside que Lunatic Soul qui représente la face sombre de mon alter-ego. Je suis limité dans Riverside et il y a des choses au sein de Lunatic Soul que je ne pourrais pas exprimer avec l’autre groupe.

As-tu réussi à trouver une sorte d’équilibre entre les deux projets ? Souhaitais-tu casser la routine de Riverside ?
Honnêtement, je pense que oui. J’ai pu me rendre compte et j’espère que les auditeurs aussi, que Lunatic Soul n’est pas un simple « à-côté ». Il y a un univers propre à Lunatic Soul. Bien évidemment, il est complètement dissocié de Riverside. J’essaie simplement de mettre les idées qui me passent par la tête au service de la musique. J’aime l’interaction procurée par le fait de créer. J’en vis depuis 2006. Tu parles de routine ? Même avec Lunatic Soul, elle existe. La vie d’un musicien est ennuyante au possible : tu enregistres, fais la promo, réponds aux entretiens, pars en tournée. En plus d’être en tournée, tu réponds aussi aux entretiens sur la route. Tu reviens ET tu repars peut-être en tournée. Sinon, tu retournes en studio et c’est reparti pour un tour. Il faut donc essayer d’ajouter une forme de fraîcheur à cette routine. Ce que j’essaie de faire, également, c’est de ne pas surexposer Lunatic Soul au détriment de Riverside.

Il y a un certain côté visuel à la musique de Lunatic Soul. Pourrais-tu composer une musique de film ? Est-ce un projet qui pourrait t’intéresser ?
C’est quelque chose qui me tente, mais personne ne m’appelle (Rires). Plus sérieusement, ce n’est pas que je n’y crois pas mais il y a tellement de gens sur ce créneau !

D’accord mais admettons : si par la suite, tu es amené à mener un projet de A à Z …
Je te vois venir (Rires). Evidemment que je m’occuperais de la bande son. J’ai d’ailleurs un tel projet sous le coude. Walking On A Flashlight Beam est vendu avec un DVD bonus comprenant des bandes annonces et autres choses de ce genre. C’est la première fois que je mets en place ce type de travail. Je ne l’ai jamais fait avec Riverside, par exemple. A priori, je pense avoir trouvé la bonne personne pour mettre des images sur ce que j’ai dans la tête. Petit à petit, je m’ouvre davantage à ce côté visuel. Ce n’est pas quelque chose que tu trouveras sur Spotify. Certains groupes aujourd’hui n’hésitent pas à rajouter un DVD supplémentaire car c’est quelque chose de visuel et les gens doivent donc acheter pour pouvoir le voir.

Une fois de plus, tu as écrit l’intégralité de l’album, et laissé les parties de batterie à l’enregistrement à Wawrzyniec Dramowicz. Cette répartition te plaît-elle ou aimerais-tu à l’avenir écrire seul pour une formation complète, un peu comme le fait désormais Steven Wilson ?
Wawrzyniec joue sur tous les albums de Lunatic Soul. J’ai voulu, depuis le début, inviter certains musiciens. Je me suis rendu compte d’une chose importante en composant : ce que j’écris n’a pas de réelle originalité. Je recherche constamment la nouveauté y compris en ce qui concerne le thème de cet album. Tout en gardant l’esprit et l’identité de Lunatic Soul, je cherchais à faire quelque chose de nouveau, à repousser toujours un peu plus les frontières musicales et stylistiques. J’ai décidé que ce disque tournerait autour de la solitude et des solitaires immergés dans leur coquille. Pour le prochain album je pense que je ferai tout moi-même. Cela représente un palier à franchir. J’aime ce batteur parce que je sais qu’il fera bien mieux que ce que je peux faire (Rires). C’est assez analogue à la démarche de Steven Wilson, à la différence que je fais tout moi même. Les autres parties sont faites pour les autres musiciens. Moi, je suis tout seul. Et c’est également le cas dans Riverside. Cela dit, même si je suis à l’origine de la plus grande partie, il y a une interaction importante entre nous quatre. Le fait de supprimer la guitare électrique dans Lunatic Soul me facilite grandement les choses. Je n’en joue pas, je ne suis pas né pour la guitare électrique et inversement ! (Rires). Donc, je délègue et j’aime collaborer. Il n’y a rien d’extraordinaire. C’est aussi ce que font, Sting, David Bowie, Peter Gabriel, par exemple.

Nous avons parlé à l’instant de Steven Wilson. T’es-tu déjà demandé ce qui pourrait résulter d’une collaboration entre Mikael Åkerfeldt, Steven et toi-même ? Il y a des points communs dans votre approche, notamment quand on voit ce qu’a donné Storm Corrosion.
Pour l’anecdote un « journaliste » m’a dit l’autre jour : « Lunatic Soul me fait grandement penser à Storm Corrosion, tu connais ? ». Je lui ai répondu : « Merci, c’est très gentil, mais Lunatic Soul est arrivé avant Storm Corrosion. Renseigne-toi la prochaine fois ! ». J’adorerais. Je pense que le mélange donnerait quelque chose de réellement intéressant. J’écoute et j’adore ce que font Steven et Mike. Pour ma part j’ai été influencé par le Porcupine Tree des années quatre-vingt dix. Nous avons en commun le fait d’avoir notre propre univers. Je ne crois pas que ce serait fondamentalement différent de ce qui a déjà été fait par Lunatic Soul et Storm Corrosion. Il m’arrive d’échanger avec Steven. Je n’ai pas de contact avec Mike bien que nous nous soyons croisés à plusieurs reprises lors de festivals. On se salue mais, hélas, ça ne va pas plus loin.

Walking on a Flashlight Beam « revient aux sources » et ressemble bien plus au premier album par ses côtés ambient et atmosphériques. On y retrouve parfois même des petites similarités, par exemple entre « Gutter » (sur le dernier) et « Out On A Limb » (sur l’album noir). Y a-t-il une vraie volonté de se rapprocher de l’album noir et de s’écarter d’Impressions ?
Lunatic Soul a son univers, à l’instar de Riverside, Porcupine Tree ou Opeth. Ici, l’accent a été mis sur les sonorités orientales et le côté sombre. Je tenais absolument à garder ce noyau musical et repousser certaines barrières stylistiques. J’ai également usé d’éléments électroniques ; tout est connecté. Ce qu’il faut savoir, c’est que ce disque est un prologue. L’album noir et l’album blanc traitent de la vie après la mort. Ici, tu es confronté aux protagonistes de l’histoire dans le monde des vivants. Tu sais d’ores et déjà qu’il n’y a pas de happy end dans le premier chapitre. Je suggère une écoute qui respecte la chronologie suivante : Walking on a Flashlight Beam, l’album noir, l’album blanc et Impressions. Peut-être que le prochain album sera le prologue du prologue et que celui d’après sera Impressions II Qui sait ? (Rires) Je ne m’impose aucune limite. Et peut-être les différents livrets reprendront-ils le logo LS en texture de feu ou de bois.

Si je ne te connaissais pas un peu, je dirais que tu te moques de moi…
Mais tu as le droit de penser ça ! On verra à l’avenir si j’ai dit vrai ou pas. Tu me ressortiras cette interview à l’occasion.

Que ce soit pour Lunatic Soul ou pour Riverside, la musique qu’on associe à ton nom est souvent assez sombre et mélancolique. D’où te vient cette inspiration ? Es-tu d’accord avec Steven Wilson lorsqu’il dit que la musique la plus triste est aussi la plus belle ?
Bien sûr. Cet album est très personnel. Comme tu l’as dit, tu commences à me connaître depuis le temps et tu sais que je ne suis pas du genre à écrire des choses joyeuses. J’aime les choses sombres, les ambiances glacées et noires. Peut-être parce que j’ai été influencé par des groupes maîtres en la matière comme Dead Can Dance, Joy Division, The Cure, The Cocteau Twins, Peter Gabriel. Ça a toujours été ma came, ainsi que la folk scandinave. C’est oriental et à la fois très sombre. Cette fascination pour les musiques sombres, je ne l’explique pas.

Envisages-tu une tournée avec Lunatic Soul, ou le projet est-il voué uniquement à la sortie d’albums studio ?
C’est une idée qui fait son chemin petit à petit. Depuis le départ, c’est clair : Riverside est ma priorité. Au moment où nous parlons, je viens de commencer à plancher sur le prochain album studio. A partir de là, on revient à la routine (Rires) ! On va enregistrer, etc., … Je laisse tes lecteurs se référer à une de mes réponses précédentes à ce propos dans cette interview (Rires). Je pense qu’il sera temps, au moment de penser au prochain disque studio de Lunatic Soul, d’envisager une tournée, même si celle-ci n’est composée que de dix dates. La vie est très courte et je ne veux pas me priver de quelque opportunité qui se présenterait à moi, musicalement parlant. Ce sera une bonne tranche de plaisir, tant pour le public qui se déplacera que pour moi. Voir comment cette musique peut être transcrite dans un contexte live aura une certaine saveur car initialement, c’est un projet studio. Je suis totalement libre de faire ce que je veux. Cela inclut d’enregistrer le plus d’albums possible, de prendre les meilleurs morceaux et de partir en tournée.

Pour finir sur une note exotique, tu as pris part avec Riverside à cette grand’messe progressive qu’était le Progressive Nation At Sea 2014…
C’était un énorme bateau avec plein de gens, marqué par une forte dose de Mike Portnoy (Rires) ! Il a joué avec cinq ou six groupes. C’était chouette. Je pense que ce genre d’événement va se réitérer dans les années à venir. Les gens paient un prix certain pour y être, rencontrer les artistes dans l’ascenseur ou au bar. En même temps, ces derniers sont un peu dans la mouise : prisonniers dans un bateau en plein océan. Ils n’ont pas vraiment le choix (Rires) ! A titre personnel, je suis content car je voulais voir depuis longtemps Animals As Leaders. J’ai pris mon pied et j’ai pu faire connaissance avec ces gars. Il y avait un bon esprit entre tous les groupes. Au delà du fait de les voir en concert, tu peux établir des contacts et dire : « J’aime beaucoup ce que vous faites ». (Rires). C’était un bon moment. Un cadre de concerts qui sort de l’ordinaire et qui m’a beaucoup plu.