Catukuá – Buenas arias

Carolina Restuccia, la voix de Factor Burzaco, a décidé de mettre un temps sa forte personnalité vocale à son propre service. Sous le nom de Catukuá, entourée d’amis musiciens, elle a sorti Lomas, recueil de chansons folk et rock loin des clichés qu’on pourrait imaginer. Avec la sortie du troisième Factor Burzaco, III, l’occasion était toute trouvée pour réaliser un coup double entretien/chronique avec le binôme Gilbert/Restucci !

Chromatique : Parle-nous de ton parcours musical. Avant Factor Burzaco, travaillais-tu dans la musique ?
Carolina Restuccia :
Lorsque j’étais enfant, j’ai développé le goût de l’écriture, et je m’exprimais par ce moyen. Un peu plus tard, de façon très naturelle et parce que mes parents étaient musiciens, j’ai commencé à mettre certains de mes textes en musique et c’est ainsi que sont nées mes premières chansons. J’avais alors quatorze ans et je formais déjà des groupes, tout d’abord à la basse puis au chant. Je jouais des compositions originales de rock en trio, mais toujours avec un soupçon de folk argentin, la musique de mes parents. Au fil du temps, je me suis concentrée sur le chant plutôt qu’autre chose. J’ai composé mes propres chansons en accordant un soin particulier aux paroles, j’ai traversé une période intense d’exploration vocale lorsqu’on m’a demandé également de faire partie de Factor Burzaco, il y a de cela une dizaine d’années. C’est seulement après cela que j’ai mené à terme mon premier disque solo sous le nom de Catukuá.

Tu as créé Factor Burzaco avec Abel Gilbert. Parle-nous un peu de la genèse du groupe.
Je n’ai commencé à travailler avec Factor Burzaco qu’une fois terminé l’enregistrement du premier album où seul le chant manquait. A l’origine, la moitié des chansons devait être chantée par un homme et l’autre moitié par une femme. Mais finalement, j’ai enregistré toutes les chansons de l’album. Je me dois de clarifier qu’Abel Gilbert est le fondateur et créateur de ce projet. Pour moi, cela a représenté un grand défi car je me découvrais musicalement et vocalement. J’ai conscience que ma façon de chanter donne une sorte signature à l’ensemble, et Abel a été ouvert à toutes mes suggestions. Nous fonctionnons très bien ensemble, mais ce qui nous unit le plus se trouve en dehors de la musique : ce sont tous nos efforts pour porter un projet tel que celui-ci dans la culture qui est la nôtre.

Abel Gilbert est donc le compositeur principal. Quelle est ta propre contribution aux chansons ?
Comme je le disais, je pense qu’il s’agit de ma façon de chanter. De nombreuses chroniques soulignent que les constantes modulations de ma voix sont liées à l’aspect émotionnel. C’est parce que mon chant provient d’un besoin profond et sincère de m’exprimer. Au départ, je chantais de manière intuitive, en des lieux où je devais être très créative pour retenir l’attention des gens, et c’est seulement après cette expérience que j’ai commencé à travailler sur ma voix. C’est pour cette raison je crois qu’Abel trouve en moi quelque chose d’intéressant, quelque chose qui n’a rien à voir avec une façon institutionnelle de s’exprimer.

Dans Catukuá, c’est toi la principale compositrice. Quelle est l’origine de ce projet solo ?
En fait, j’ai toujours formé des groupes où j’étais chanteuse ou compositrice. Ce n’est que récemment que je me suis sentie prête pour m’embarquer dans un projet solo. Parfois, il est confortable d’être dans un groupe, pour créer un peu par derrière, c’est pour cela que j’ai mis mon visage sur la pochette de Lomas, et que je fais ainsi face à mes propres chansons, en les acceptant et en leur donnant le meilleur de moi-même. C’est de cette façon qu’on commence à faire tourner une roue.

Penses-tu qu’Abel Gilbert a influencé ta façon de composer ? Qu’écoutes-tu comme musique en ce moment ?
Abel a été très présent pendant l’enregistrement de mon disque. Il a fait les arrangements et nous l’avons coproduit. Nous sommes cependant très différents, musicalement parlant, en ce qui concerne la façon de composer. Je ne peux pas perdre de vue que l’expérience Factor Burzaco m’a permis de travailler à un haut niveau d’exigence, mais j’essaie de conserver un caractère populaire dans ma musique, de la rendre plus facile d’accès, en quelque sorte. Depuis que je suis dans Factor Burzaco, j’ai écouté beaucoup plus de musique complexe qu’avant, c’est certain.

La musique ambitieuse et exigeante est destinée à un public de niche. Comment est-elle perçue en Argentine ? N’est-il pas difficile de trouver des lieux où donner des concerts ?
Oui, en effet. Il n’y a que très peu d’endroits propices à notre musique et l’éducation musicale est en pleine déliquescence. Les gens sont habitués à écouter de la musique sur les haut-parleurs de leur téléphone, ce qui est le contraire d’un son de qualité. Je pense par exemple qu’il y a des gens qui n’ont jamais vraiment écouté la basse dans une chanson. C’est une vraie honte pour la culture, honnêtement, c’est pour cela que nous faisons partie de l’exception. C’est pourquoi je considère que le message que véhiculent Factor Burzaco et Catukuá est un bon compromis de qualité et d’exigence, même si nous ne verrons probablement jamais le résultat de notre travail. En tous les cas, je ne pense pas que les gens soient stupides, ils sont habitués à consommer ce que leur offre le marché standard. Je donne également des cours de musique et j’essaie d’enseigner la manière d’écouter, de convaincre les élèves qu’ils méritent de savoir, que l’art leur appartient. Cela semble étrange, mais je pense que c’est vraiment nécessaire.

Comment décrirais-tu le marché actuel de la musique en Argentine ? Existe-t-il une scène « progressive » là-bas ?
Il existe une scène progressive comme partout ailleurs. Curieusement, je n’y participe pas. Je considère que tout ce qui se prétend progressif, en tant que genre, du moins, trahit ses fondements essentiels, car on ne devrait pas tourner en rond, mais changer constamment. Je pense donc que ce qui est progressif doit évoluer et ouvrir de nouvelles voies.

La musique de Catukuá est également assez sophistiquée, mais beaucoup plus accessible. Est-ce pour toi une façon d’atteindre un public plus large ?
Avec Catukuá, je pense que nous sommes au juste milieu. C’est sophistiqué pour une musique populaire, et populaire pour de la musique sophistiquée, et j’aime cela. C’est exactement ce que je cherche et par chance, petit à petit, nous rassemblons un public qui prend du plaisir avec ce genre de jeu.

Lomas est une autoproduction. Est-il si difficile de trouver un label en Argentine ou est-ce un choix délibéré ? Aurons-nous la chance de le voir distribué un jour en Europe ?
Dans les années quatre-vingt-dix, des groupes indépendants sont apparus, produisant eux-mêmes leurs albums sans maisons de disques ni aucun contrat quel qu’il soit. Il y avait bien sûr une connotation idéologique à cela, et j’ai grandi un peu là-dedans, en écoutant ceux qui ne se « trahissaient pas », pour ainsi dire. Un peu de cette innocence et de ce romantisme se retrouvent dans la façon dont Lomas a été réalisé. C’est vrai qu’aujourd’hui il est beaucoup plus facile qu’avant d’enregistrer de façon indépendante. Ceci étant dit, je ne rejette pas l’idée de signer un contrat pour un disque, mais il faudrait que ce soit pour de bonnes raisons. L’album est disponible en Europe via www.viajeroinmovil.com ou www.facebook.com/VIRonline.

Pedro Chalkho et Facundo Negri de Factor Burzaco jouent comme invités sur Lomas. Peux-tu nous présenter le reste du groupe ?
Juani Restuccia, mon frère, a enregistré la plupart des guitares et a produit quelques chansons avec moi. Actuellement, il est le bassiste officiel du groupe, Pedro Chalkho s’occupe des guitares et Juan Rivas de la batterie. Ils viennent tous de différents horizons et ont différents goûts musicaux, et c’est l’une des forces de ce groupe.

Quels sont tes projets immédiats ?
Je suis actuellement dans la pré-production de mon second disque. J’ai beaucoup de nouveau matériel et nous sommes en train de faire une sélection. Nous travaillons déjà avec Pedro Chalkho qui s’occupe de la production également. Nous donnons aussi des concerts, et je suis en train de réfléchir aux adaptations possibles de la musique au format live, y compris en version acoustique. Nous essayons de faire attention à la visibilité et l’accessibilité du groupe. Nous avons beaucoup de choses à dire et à partager.

Un dernier mot pour les lecteurs de Chromatique ? A tout le monde : sachez que dans cette contrée lointaine, où se termine le monde, nous faisons de grands efforts pour vous dévoiler une montagne. Nous savons que les distances sont abolies. Suivez-nous dans ce voyage.