Utopianisti - Utopianisti II + Utopianisti Meets Black Motor & Jon Ballantyne

Sorti le: 26/02/2014

Par Jean-Philippe Haas

Label: Lusti Music & Arts Oy

Site: utopianisti.bandcamp.com

D’aucuns connaissent peut-être le multi-instrumentiste finlandais de jazz Markus Pajakkala comme membre du gang inclassable et loufoque Poutatorvi. D’autres ont pu avoir vent de son premier et déjà remarquable disque sous le nom d’Utopianisti en 2011. La plupart découvriront sans doute ce touche-à-tout avec Utopianisti II, indescriptible patchwork musical composé par un petit génie venu du froid.

Dès « Mekonium Fist », on plonge dans un tourbillon de jazz qui swingue, où une guitare très rock se mêle aux cuivres à la manière de Captain Squeegee. Changement de décor radical avec « The Vultures Were Hungry » : un duo de chanteurs d’opéra, une batterie sauvage adepte de la double pédale et une guitare syncopée qui remise clarinette et saxophone à l’arrière-plan. Les choses sérieuses commencent avec l’instrumental « Pohjola », dédié à feu Pekka Pohjola, bassiste de renom dans son pays qui a notamment joué aux côtés de Mike Oldfield. Son approche résolument retro prog favorise l’hégémonie des claviers vintage avant que ceux-ci ne s’inclinent finalement devant trompette, trombone et saxophone. « Tango Succubus pt. 2 » sollicite notre ténor une nouvelle fois pour une union improbable et hilarante entre tango et jazz fusion, où l’accordéon comme le vibraphone tentent de tirer à eux la couverture. Et ça continue ainsi, sans relâche : sur « The Forest of The Bald Witch », Jethro Tull rencontre Niacin, sur « Bisphenol A », la musique de jeu vidéo (un relent de Poutatorvi ?) s’incruste dans un big band, « Kynttilöitäkin vain yksi » nous transporte directement en Europe de l’Est et prend des accents klezmer, et « Spanking Time » boucle le programme avec son gros heavy rock chanté et très cuivré. En huit titres, Utopianisti II a propulsé son auteur au rang des musiciens incontournables de 2013.

Le dernier tiers du disque, intitulé Utopianisti Meets Black Motor & Jon Ballantyne, est comme son nom l’indique le fruit de la collaboration entre la bande à Pajakkala, le pianiste Jon Ballantyne et le groupe finlandais de jazz Black Motor, écrit et enregistré en l’espace de deux jours, dans une ambiance live. Forcément, le résultat est sensiblement différent d’Utopianisti II, aboutissement d’une année entière de labeur. Moins flamboyants, ces quelques titres contiennent en revanche une belle part d’improvisation qui leur donne un aspect moins policé que ceux qui les ont précédés. Cet EP dans l’album s’ouvre sur une pièce paisible assez classique dominée par un Fender Rhodes prolixe, « The Sundays of Love and Peace ». Plus énergique, « Mechanoid Makeout Music » développe un thème récurrent et hypnotique sur lequel Ballantyne et Pajakkala s’en donnent tour à tour à cœur joie dans de frénétiques soli qui ne sont pas sans rappeler les fièvres instrumentales de Phlox. Retour au calme avec le très académique « Too Many Eyeholes » dominé par le saxophone, seul vrai poids mort au milieu de cet ensemble bariolé. Plus intéressants sont « Derelicts In Space », sa montée en puissance et ses improvisations, ainsi que le final « U.L.J.C. (The Unnecessary Leftover Jam Compilation) », collage de jams débridés.

Pajakkala produit là une œuvre mûre, addictive, fort éloignée du simple exercice de style, où chacun trouvera son compte. Véritable panorama de ce que peut offrir aujourd’hui un jazz métissé et accessible, moderne et décomplexé, Utopianisti II est à la production musicale de l’année 2013 ce que la naissance d’un bébé panda est aux images de guerre dans le JT de vingt heures : une heureuse diversion.