Morgan Ågren - A Drummer Documentary

Sorti le: 28/11/2013

Par Florent Simon

Label: Réalisateur Carl King

Site: vimeo.com/ondemand/morgan/75815252

Les destins d’exception permettant d’accéder à une place telle que celle de Morgan Ågren ne sont pas si rares dans le monde de la musique. Mais lui qui aurait pu ne devenir “qu’un” autre batteur surdoué de plus a su tirer profit de ses erencontres exceptionnelles et a conquis tout le monde avec son instrument, son travail méticuleux et sa gentillesse. Il s’est propulsé dans une carrière variée naviguant entre metal, jazz expérimental et rock progressif qui ne s’est jamais répétée. Retour sur un parcours peu commun à l’occasion de la sortie d’un documentaire non moins passionnant, Morgan Ågren’s conundrum.

Morgan Ågren est né en 1967 en Suède et s’est dévoué dès le plus jeune âge aux percussions. Dès l’age de sept ans, il se présente au public et devient rapidement le compagnon à la scène comme à la ville de Mats Öberg, clavieriste surdoué qu’il ne quittera plus jamais. Leur dévouement commun pour la musique de Frank Zappa les poussera d’ailleurs à créer un groupe de reprises du légendaire moustachu, Zappsteetoot. Chemin faisant, le talent n’ayant pour égal que leur aisance technique décoiffante, Frank Zappa en personne finira par les inviter sur scène à Stockholm en 1988. Les dés sont jetés et la cour des grands est désormais la leur… C’est avec cette âme de touche-à-tout et sa rigueur musicale que Morgan Ågren enchaînera ainsi les disques entre amis et les collaborations avec Dweezil Zappa, Bill Laswell, Trey Gunn ou Frederik Thordendal entre autres, avant d’atteindre l’osmose avec son instrument lorsqu’il sera couronné meilleur batteur de fusion au monde en 2012 par le magazine Modern Drummer.

Un tel pédigree ne pouvait qu’inspirer l’artiste multi-cartes Carl King pour concocter cet hommage qui vogue avec malice entre instants musicaux forts et scènes d’amitié sincères. Les deux heures de ce documentaire moderne et soigné sont découpées par chapitres qui tour à tour redessinent les moments forts de la vie ou révèlent des rencontres avec les autres musiciens, le tout entrecoupé d’interviews et de quelques master-classes répondant à des questions des internautes. Mis à part la bande-son omniprésente, peu de musique est présentée dans sa forme finale sur des durées substantielles. Mais ce qui pourrait être une lacune peut aussi être un parti pris invitant le spectateur à creuser les albums de Mats & Morgan, principale source sonore qui guide le film.

Quelle que soit la scène, on découvre un Morgan humble et calme qui peut se métamorphoser dès lors qu’on lui donne de quoi faire du bruit et redevenir l’enfant qui ne souhaite rien d’autre que s’amuser et taper sur tout ce qui bouge! Car pour ce qui est d’y aller de la baguette, Morgan innove, impressionne, bidouille et va jusqu’au bout tels les doigts de John Coltrane explorant son saxophone méritant. Il décrit lui même son jeu comme une forme libre qui, loin d’être aléatoire, émane en fait de rythmiques très complexes qui à la finale dépassent par moment la raison. S’encombre-t-il pour autant de calculs rythmiques ou de partitions chargées ? A l’écouter, non, seuls l’émotion et la tonalité servent de leitmotiv, pour le bonheur des auditeurs les plus aventureux et au détriment de ceux plus conventionnels.

Et comme il n’y a pas que la musique dans la vie, Carl King vient nous le rappeler en filmant divers instantanés de celle du batteur hors studio, et nous fait voyager de sa maison en Suède jusqu’aux hauteurs de Los Angeles devant l’ancien repère de Captain Beefheart période Trout Mask Replica. On assiste entre autres à une partie de tennis détendue avec Marco Minnemann qui se termine en jeu de percussions sur les cordes de la raquette, ou encore à une discussion avec Simon Phillips mélant matériel de batterie et machine à expresso italien (effet décalé garanti).

Enfin, ce documentaire est aussi l’occasion de mettre en avant l’humilité et la gentillesse de Morgan, père et mari aimant dont Devin Townsend aime à rappeler que l’image qu’il dégage dénote avec celle d’une rock star. Il est vrai que la vie de folie (hors de la scène plus précisément) est l’opposé de celle de cet homme toujours décontracté et souriant. Enfin, vous me direz légitimement qu’il est n’est pas vraiment besoin de prouver que le talent musical est généralement inversement proportionnel aux frasques médiatiques… Pourquoi, par contre, ne voit-on pas plus de personnes de cette classe présenter leur musique à la télévision et partager leur vision de l’art ?

Réduire ce documentaire à quelques scènes ou, au contraire, détailler chaque chapitre de ce livre ouvert serait bien entendu aussi laborieux qu’inutile ; j’espère avoir donné envie à nos lecteurs de consacrer deux heures afin de (re)-découvrir Morgan Ågren. Car s’il s’adresse avant tout à un public connaisseur et érudit, Morgan Ågren’s conundrum charme par son dynamisme et sa pluralité, et réussit son double pari : mieux faire connaitre un homme et rendre grâce à sa musique (qui n’en a pas moins). Une belle mise en lumière pour un musicien qui inspire le respect à tous les niveaux et qui, nous l’espérons, continuera de nous surprendre autant que de nous émouvoir encore longtemps. Thanks for playing for us !