IQ – A la recherche de l’enregistrement perdu

Mine de rien, le « néo-prog » est aujourd’hui plus que trentenaire. Avec la réédition de l’un des albums fondateurs du genre, Tales from The Lush Attic, l’occasion était trop belle de faire un brin de causette avec le guitariste d’IQ, l’un des rares groupes de l’époque à être encore debout et bien vivant.

Chromatique : Bonjour Mike. Parlons tout d’abord de la réédition de Tales from The Lush Attic. Il y a trente ans, vous sortiez votre premier trente-trois tours. Aujourd’hui, vous donnez une seconde vie à ce disque. Est-ce une requête de la part des fans ou un souhait de faire « ce qui aurait être dû fait » ?
Michael Holmes (guitare)
: Il y a eu des discussions au sujet d’une version actualisée de Tales…, mais il s’agissait plutôt de réenregistrer l’album. Finalement, certaines choses ont été réalisées, je crois que Martin (Orford, ex-clavier d’IQ, NdT) a enregistré quelques parties de claviers pour une nouvelle version de Tales il y a quelques années, mais pour être honnête, je n’ai jamais été très enthousiaste concernant cette option. Quelques temps plus tard, alors que nous fouillions nos archives pour autre chose, nous sommes tombés sur le master original en vingt-quatre pistes et avons alors réalisé qu’il serait possible de faire un tout nouveau mixage de la version originale. Cela m’a motivé bien davantage que de rejouer toutes les parties, et bien entendu, c’est beaucoup plus authentique.

Le livret de cette réédition de Tales… raconte l’histoire de ce rajeunissement, mais pour tous ceux qui n’ont pas encore acquis le disque, explique-nous comment tout cela est arrivé.
Il est très délicat de travailler avec des bandes audio anciennes. Si elles ne sont pas conservées sous une atmosphère contrôlée, elles peuvent absorber l’humidité, avec comme conséquence le fait que l’oxyde peut se détacher de la bande elle-même. Si on tentait alors de jouer la bande sur un vingt-quatre pistes, l’oxyde serait tout simplement arraché par la tête de lecture, et on perdrait l’enregistrement. Pour agir contre ça, les bandes ont été amenées à Londres dans un endroit particulier qui dispose de « fours » à faible puissance où elles ont été « cuites » sur une durée de trois jours. Il faut souligner que cela ne fonctionnerait pas dans un four conventionnel, donc n’essayez pas ceci chez vous ! Une fois ce processus achevé, nous avons disposé d’un court laps de temps pendant lequel elles ont été à nouveau lisibles – quelque chose comme trente jours – avant de devenir complètement inutilisables. C’est là que nous avons tout converti en format digital utilisable avec ProTools, le logiciel de mixage.

Le résultat est encore meilleur que sur The Wake ! Toutes proportions gardées, je comparerais le travail accompli avec celui de Nick Davis sur les rééditions de Genesis. As-tu réenregistré des parties, ou s’agit-il intégralement de matériel original ?
La différence entre les deux albums est que nous ne disposions pas de tout le master multipistes de The Wake, nous n’avions que le mixage final en stéréo, que nous avons pu « remasteriser ». Nous avons pu faire des choses comme compresser l’extrémité de la gamme inférieure pour faire ressortir davantage la basse et les pédales basses, et élargir la gamme moyenne supérieure pour obtenir un peu plus de clarté, mais dans l’ensemble, il s’agit du même mixage que l’original.
Avec Tales… nous avons véritablement pu repartir du master en vingt-quatre pistes et reprendre de zéro le mixage. Nous avons pu faire des choses comme isoler les pistes de batterie et les traiter correctement, égaliser la basse pour que vous puissiez entendre chaque note jouée par Tim, et retraiter l’enregistrement original d’orgue, en le faisant passer à travers un haut-parleur Leslie pour lui donner cet authentique son Hammond. C’est ce que j’aurais voulu faire du mixage original, si j’avais eu le temps et l’expérience nécessaires il y a trente ans.
Il était important pour moi que nous ne réenregistrions aucune voix ni instrument car je souhaitais que l’ensemble sonne le plus authentique possible. J’ai néanmoins ajouté quelques effets sonores supplémentaires comme le « vent » au début de « The Last Human Gateway » et le traitement vocal sur les passages calmes de « The Last Human Gateway » et « The Enemy Smacks ». Là encore, c’est ce que j’aurais voulu faire à l’origine si j’avais eu de temps.

Quelque part dans le livret, j’ai lu que l’album s’est vendu à soixante mille exemplaires depuis sa sortie, ce qui est assez impressionnant. Serait-il encore possible aujourd’hui, pour un groupe comme IQ, de vendre autant ? Quelle est votre meilleure vente à ce jour ?
Soixante mille est un bon nombre pour un album qui a été enregistré et mixé en cinq jours. Il est tout à fait possible que nous en ayons vendu autant sur une période de trente ans. Pour être honnête, je n’ai pad d’idée exacte de tous les chiffres de ventes de nos albums. Nous avons travaillé avec tant de labels et signé tant de contrats de licences qu’il est difficile d’avancer des chiffres définitifs.

Le prog est-il, comme on pourrait le penser, une niche dans laquelle les gens continuent à acheter des disques physiques ? Ou souffrez-vous, comme dans d’autres genres, d’un déclin des ventes ? Considérant que le CD n’est plus une source fiable de revenus aujourd’hui, les membres du groupe vivent-ils de la musique ou ont-ils un autre emploi ?
Nous avons de la chance d’évoluer dans le prog’ car la plupart de ceux qui achètent de la musique continuent de vouloir tenir dans leurs mains un objet physique. C’est pourquoi nous prenons toujours la peine de proposer le plus beau packaging possible, tout en essayant de le maintenir à prix raisonnable. Il n’y a encore rien de mieux que de tenir le boîtier dans ses mains et de lire le livret, ou mieux, la pochette du vinyle. Je pense que c’est une histoire de génération : la plupart d’entre nous ont grandi en achetant et en collectionnant des albums, et cela reste quelque chose d’important pour nous.
La plupart des membres d’IQ ont un autre travail régulier, hormis pendant une brève période dans les années quatre-vingt où nous disposions d’un revenu garanti chez Phonogram. En ce qui me concerne, j’ai pris précocement retraite de mon ancien emploi – gestionnaire web pour un organisme de santé publique – et je peux consacrer plus de temps à GEP (Giant Electric Pea, le label du groupe, NdT), IQ et d’autres projets musicaux.

Après The Wake – 25th Anniversary Deluxe Edition, Tales from The Lush Attic – 2013 remix et la réédition en vinyle de Subterranea, quelle est la prochaine étape ? Une réédition de Nomzamo ? Ou peut-être travaillez-vous sur de nouveaux titres ?
Pour être honnête, nous n’avons jamais prévu de célébrer tous ces anniversaires, ils se sont pour ainsi dire imposés à nous, et il aurait été dommage de ne pas les fêter. Avec Tales…, cela a été une véritable coïncidence de tomber sur le master vingt-quatre pistes peu de temps avant l’anniversaire. Cela étant dit, j’ai toujours voulu tout reprendre depuis le début avec cet album et lui donner le mixage qu’il méritait. Cela a été une période passionnante, lorsque nous avons enregistré Tales… et en tant que jeune groupe, nous en avons adoré chaque minute. Mais dès le mixage achevé, j’ai éprouvé de l’insatisfaction. Je savais qu’il aurait pu sonner bien mieux, et je l’ai alors rarement réécouté car j’étais tellement déçu du résultat. C’est pourquoi j’ai été si heureux de mettre la main sur les bandes originales et de le faire sonner comme il aurait dû depuis toutes ces années.
Et non, je n’ai pas de projets pour Nomzamo, nous sommes très occupés par le nouvel album, et nous sommes actuellement dans son écriture. Nous allons donner quelques concerts fin avril, à Ulft en Hollande et à Aschaffenburg en Allemagne. Nous allons ainsi pouvoir tester quelques titres en live et voir comment ils fonctionnent.

La composition de IQ a changé à plusieurs reprises ces dernières années. Parfois, les fans ont été désorientés ! Le départ de Martin, puis celui de Paul (Cook, batteur du groupe, NdT), qui est finalement revenu, le remplacement par Tim (Esau, bassiste originel, NdT) de John (Jowitt, bassiste depuis 1991, NdT), parti rejoindre le groupe de Paul Menel (chanteur d’IQ entre 1986 et 1989, NdT) … Il semble que la composition du groupe soit stable à nouveau, alors es-tu resté en contact avec Martin, John, ou encore Paul ?
J’ai été réellement en contact avec tout le monde récemment. Je suis en train d’arranger un nouveau contrat de distribution pour IQ et tous les albums assimilés, j’ai bien entendu souhaité que tout le monde y soit impliqué.

Twelfth Night et Galahad ont à présent sorti leur biographie officielle (toutes deux écrites par Andrew Wild). Il y a quelques années, la biographie d’IQ avait été évoquée. Le projet a-t-il été abandonné ?
Non, le projet n’a pas été abandonné. En ce qui me concerne, j’aimerais que ce livre voit le jour, mais nous avons tous été si occupés par la musique ces dernières années, et on a mis ça en veilleuse, pour ainsi dire.

Des groupes avec lesquels vous avez pu jouer dans les années quatre-vingts sont toujours en activité – Pallas, Solstice, Twelfth Night, Galahad… – bien que certains aient fait une pause plus ou moins longue dans leur carrière. Y a-t-il un « club » des groupes de néo-progressif britanniques ? Êtes-vous encore en contact avec certains d’entre eux ?
Euh, je ne suis pas convaincu qu’un tel club existe. Au fil des années, nous avons eu de nombreux contacts avec les groupes que tu mentionnes, et je suis convaincu que nous sommes tous contents lorsque nous nous croisons, mais nous sommes tous des groupes à part entière et en général chacun vaque à ses propres occupations.

Hormis quelques concerts annoncés sur votre site officiel, pensez-vous visiter l’Europe, et peut-être la France ?
Comme je te le disais, nous allons donner quelques concerts en avril pour tester de nouvelles choses, mais rien d’autre n’est prévu pour le moment. Nous aimerions bien finir l’album pour le sortir d’ici la fin de l’année, auquel cas nous donnerons sans doute quelques concerts pour le promouvoir. Ceci étant dit, le « temps IQ » semble s’écouler de façon différente par rapport au reste du monde, et il est plus que probable que l’album ne sera pas prêt dans les temps. Je m’assurerai toujours qu’un disque est bon avant de sortir quoi que ce soit. Je suis contre la notion qu’il faille sortir une production à un moment donné. Il est plus important de bien faire les choses puis de la sortir plutôt que de se fixer une échéance. Pour ce qui est de jouer en France… oui, nous aimerions beaucoup. J’ai l’impression que ça fait longtemps que nous n’avons pas joué à Paris. S’il existe des promoteurs de concert qui souhaitent travailler avec nous en France, nous sommes preneurs !