Caravaggio

27/02/2013

Le Triton - Les Lilas

Par Christophe Manhès

Photos: Marjorie Coulin

Site du groupe : caravaggio.bandcamp.com

Ce soir, le Triton est plein. Si beaucoup ont raté l’actualité d’un album en 2012, force est donc de constater que d’autres ont su entendre la rumeur flatteuse produite par la musique de ces quatre musiciens français. Et à l’écoute de Caravaggio #2 on comprend pourquoi. Moderne dans son approche du rock, le groupe intègre nombre d’influences comme l’électro, la musique contemporaine, le rock progressif ou le jazz, le tout libéré dans une forme à la fois maîtrisée, très écrite, mais toujours émotionnelle. Le concert du Triton se devait de confirmer les qualités vantées du quatuor. Ce fut le cas, haut la main.

La soirée sera consacrée en grande partie à leur dernier album, sobrement appelé « Caravaggio #2 ». Ce n’est certainement pas par hasard que nos quatre musiciens font l’ouverture avec le titre « Anybody Here ? » puisé au milieu du disque. Entre les acrobaties du clavier de Samuel Sighicelli et la basse virile de Bruno Chevillon, tout est dit. Et d’abord que Caravaggio n’est pas un groupe d’électro, mais bien de rock, énergique, complexe, dont l’épicentre des préoccupations est le plaisir du son et des grandes échappées électropsychédéliques. Même si le groove cocasse de la section finale retire ce qu’il faut d’oripeaux à la sophistication de l’ensemble, « Anybody Here ? » fait preuve d’un très haut niveau musical qui peut faire penser au duo fou de Mats/Morgan.
Sur « Beth’s Vibration », hommage à la célèbre chanteuse de Portishead, Beth Gibbons, Caravaggio se montre à nouveau intense. Le temps se vrille et devient aussi menaçant qu’un orage tropical. On prend un vrai plaisir à longer le labyrinthique de cette composition qui, irrésistiblement, nous conduit à une cadence captivante vers le déluge.
Ni les formidables roulements rythmiques d’Éric Echampard et de Bruno Chevillon sur « Medusa » (titre emprunté au chef-d’œuvre du Caravage), ni les riffs virtuoses de l’inédite basse-ténor de Benjamin de La Fuente sur « Boléro » ne démentiront ensuite l’inclinaison du groupe pour la vitalité et les couleurs dégradées, laissant apparaître ça et là de nouvelles références possibles comme Anekdoten, King Crimson ou Pink Floyd. Rien que ça. À l’entracte, les mines sont réjouies. On le serait à moins.
Cadencé par les commentaires pleins d’humour de Bruno Chevillon le concert reprend avec « Dark », dont le musicien trouve le nom « un peu ridicule » même s’il a été rebaptisé par « Profondo » pour lui tout aussi « ridicule  » ! Pourtant ces deux patronymes se révèlent parfaits pour décrire ce qui suit. Sombre et dense, le titre libère un flot de décibels électrifiés par la basse-ténor chamanique de Benjamin de la Fuente. Vient l’abattement. Une éponge métallique lime des cordes pour laisser place à une étrange galerie de sons. Majestueux, le climax assure sans difficulté le dénouement. Suivent « Dennis Hopper Platz » et « Polaroïd » qui imposeraient presque Carravagio comme un groupe de Stoner. Sur « Polaroïd » en particulier où, proche de l’esprit cinématographique de Monkey3, la guitare trace de vastes horizons avant de basculer dans du pur rock’n’roll juste rafraîchi par un merveilleux trémolo du violon. Ce titre, qui ouvrait brillamment l’album studio, achèvera le concert de manière tout aussi brillante.

Deux heures sont passées à toute allure. Heureusement les musiciens ne se font pas prier longtemps pour revenir sur scène et entamer le rappel avec « Aguirre  » et son dialogue frénétique entre les instruments. Lent et saturnien le final conclut la soirée par une magnifique méditation au violon achevant de nous convaincre qu’avec Caravaggio un grand groupe hexagonal était né, capable d’esquisser le futur d’un rock qui n’oublie de s’adresser ni à la tête ni au cœur. Bravo à eux.