Devin Townsend & Fear Factory

09/01/2013

Bataclan - Paris

Par Martial Briclot

Photos:

Marjorie Coulin

Site du groupe : www.hevydevy.com

Setlist :

Supercrush! / Truth / Om / Planet of the Apes / Where We Belong / War / Vampira / Lucky / Animals / Juular / Grace / Deep Peace // Rappel : Bad Devil

Autant l’avouer dès les premières lignes, l’équipe de Chromatique est ce soir avant tout présente pour célébrer la venue du dérangé Townsend au Bataclan, salle promettant un confort a priori suffisant au Canadien pour développer son univers peuplé de tentacules et de blagues bien sales entrecoupées de messages de paix universelle.

Mais il faut également compter sur la présence non négligeable de Fear Factory et Dagoba, qui, s’ils ne figurent pas dans notre ligne éditoriale, sont tout de même parvenus à mobiliser une frange bien distincte du public. Nous dirons donc simplement que Dagoba n’a pas convaincu grand monde malgré une présence et une volonté d’en découdre que personne ne remettra en question. Un jeu de scène monolithique et une sonorisation hasardeuse n’ayant jamais aidé à transcender les foules, on laissera donc le bénéfice du doute aux Marseillais, espérant pouvoir les apprécier un jour dans de meilleures conditions.

De son côté, Fear Factory a de quoi impressionner. Tant par son statut culte (Devin lui rendra d’ailleurs un bel hommage plus tard dans la soirée) que par son gabarit non négligeable, la bande de Burton C.Bell et Dino Cazares parvient à capter l’attention de bon nombre de nostalgiques, headbanguant et pogotant en choeur. Pas réellement tenté ce soir par la prise de risque, le groupe enchaîne majoritairement les classiques et offre en pâture aux fans dévoués l’enchaînement des quatre premiers titres de l’emblématique « Demanufacture ». La fosse réagit au quart de tour et en profite pour amorcer un circle pit, pour ce qui restera certainement le moment le plus agité de la soirée. Passé le respect que l’on peut avoir envers un groupe ayant indéniablement influencé bon nombre d’artistes, nous sommes obligés d’admettre que leur prestation reste largement en deça de nos espérances : l’ingé son semble en permanence sous acide et la présence scénique des musiciens réduite au strict minimum. Le chant de Burton ne sera finalement que peu impacté par celui que l’on nomme déjà « le Dépeceur de Tympans » (rarement un homme aura bougé autant de potards derrière une table de mixage, soit dit en passant) et quelque part, cela ne réjouit que lui. Sa réputation le précède, c’est un fait, mais malgré la préparation psychologique effectuée en amont, il est impossible de ne pas se révolter devant les premières notes de son chant clair, tout simplement affligeant. Les affres du temps et les excès de toute sorte ayant eu un impact sur ses cordes vocales, le pauvre diable reste tout juste acceptable dans le registre death. Un comble pour celui qui fût l’initiateur de cette alternance voix claire/death, dont on sait désormais qu’elle nécessite une discipline sans faille pour se maintenir au plus haut niveau des années durant.
Un seul constat au terme de cette petite heure de Fear Factory : si les fans auront su y trouver leur compte, les curieux et néophytes auront eu bien du mal à discerner derrière cette avalanche de décibels le groupe iconique de tout un pan de l’histoire du metal, et auront par la force des choses bien des difficultés à vouloir prolonger l’expérience sur disque.

Si le postulat de départ lors de cette soirée semblait augurer un co-headlining Fear Factory/Devin Townsend, ce dernier fait pencher la balance largement en sa faveur. Il sera le seul à réellement s’approprier l’espace scénique, et ce, même en y étant absent. Ainsi, sur le même principe qu’un Steven Wilson mais à l’autre bout du spectre progressif, le canadien projette son univers délirant sur grand écran pour faire patienter une foule largement acquise à sa cause. C’est ainsi que la Ziltoid TV nous perfore la rétine de son mauvais goût assumé et revendiqué, pour un enchaînement de sketchs aussi déplorables qu’hilarants, dont l’auteur de ces lignes ne se risquera pas à déflorer le contenu. Foutraques et dérangeants, cultivant entre autres l’art du bruitage corporel, vous pourrez en découvrir la plupart en fouillant un peu sur le net.

Autre constat, dès lors que la pénombre s’installe, c’est un spectacle tant sonore que visuel qui nous est projeté à la figure, chaque musicien prenant place sur une plate-forme lumineuse légèrement surélevée alors que divers courts-métrages, images et symboles défilent en permanence sur l’écran géant placé derrière eux. Effet garanti.
Devin Townsend débarque alors, gorgé d’aisance et de charisme, dans un costard lumineux que peu de metalleux oseraient porter. Le nerd pétri de complexes a ces dernières années subi une mutation complète, et l’on ne pourra qu’admettre la réussite de celle-ci. Quand le show débute réellement, le bougre ne fait pas semblant et nous assène un classique « Supercrush », reprenant à son compte les parties originellement interprétées par Anneke. Ces premières notes pulvérisent les éventuelles mauvaises langues par leur puissance et leur clarté. Nul doute qu’à la fermeture de la salle il faudra ramasser les quelques mâchoires tombées ici et là.
Seule ombre au tableau, dès lors que les grattes se font massives et la basse plus présente, le mix s’avère tout juste acceptable. Le massacreur des premières parties a beau avoir été remplacé par deux petits jeunes, le résultat dans les enceintes ne s’en trouve pas transfiguré. On pourra au moins mettre à leur crédit un son de batterie plus naturel que lors de Fear Factory, une bien maigre consolation alors que les choeurs et effets chers à Townsend se fondent régulièrement dans la masse sonore. Un morceau complexe et torturé comme « Planet of the Apes » (déjà exigeant à l’écoute de Deconstruction) en paye alors directement le prix, les spectateurs les moins connaisseurs décrochent à ce moment précis du concert, pour ne revenir à leurs esprits que lors du meilleur titre de Synchestra : « Vampira ». Egalement conscient de sa capacité à créer des chansons aussi accrocheuses que débiles, Devin assume totalement son « tube » issu d’Epicloud, « Lucky Animals », et nous invite à faire de même en exécutant la chorégraphie ridicule en parfaite synchronisation. La setlist plutôt cohérente bien que courte, s’achève avec panache sur l’enchaînement « Grace/Deep Peace ». Deux hymnes à l’amour radicalement différentes, la première, toute en puissance, nous invite à nous éclater les poumons en scandant ses paroles quand la seconde touche à l’intime avec son ambiance acoustique et forestière, ponctuée d’un solo magistral. A peine une heure après son entrée sur scène le divin Devin nous lâche le furieux « Bad Devil », héritier de sa première période solo qui verra enfin les fans se déchaîner pour de bon.

Au final, on pourra reprocher à Devin Townsend de surjouer, mais lorsque la performance est comme aujourd’hui quasi irréprochable, cela serait faire preuve de mauvaise foi. Restent deux regrets lors de cette soirée : une durée finalement bien courte et l’utilisation trop récurrente de samples, difficilement audibles qui plus est. Il ne nous reste qu’à espérer qu’il puisse un jour amener en France une production digne de celle déployée à Londres en octobre dernier. Il paraît que l’espoir fait vivre…