Crescendo 2012

22/10/2012

Esplanade du Concié - St Palais sur Mer

Par Maxime Delorme

Photos: Alain Boucly

Site du groupe : www.festival-crescendo.com

Article co-rédigé avec Pierre Wawrzyniak.

Du 17 au 19 août s’est tenu le quatorzième festival Crescendo à Saint-Palais sur Mer. Une nouvelle fois, Sébastien Monteaud et son équipe ont concocté pour un public divers neuf magnifiques concerts dans la plus pure tradition progressive. Retour sur trois jours de canicule agrémentés de musique à la fois fouillée, belle et profonde.

Ce sont les frères Payssan qui ouvrent le bal de ce quatorzième festival Crescendo. Après un très court laïus de la part de l’organisation, les jumeaux de Minimum Vital (claviers, guitare) accompagnés d’Eric Rebeyrol à la basse prennent place sur scène, face à la mer sous une chaleur caniculaire. Tout commence sur quelques notes d’orgue, qui sont bientôt reprises par une guitare acoustique à deux manches. La musique des jumeaux est pour le moins champêtre et se veut inspirée d’épisodes de l’histoire, de personnages, (Saladin, par exemple), ou du moins de danses ancestrales comme nous le conte le timide Thierry Payssan. Si les thèmes sont particulièrement efficaces, les spectateurs se lassent rapidement des sonorités plus que vintage des claviers. Heureusement, l’ajout de quelques touches orientalisantes (un saz, une mandoline et une darbouka) contribuera à varier cette musique définitivement « médiévale ». Cependant, malgré la présence de la darbouka et de quelques percussions assurées par les claviers, Minimum Vital manque très clairement d’une section rythmique appuyée, avec un véritable batteur/percussionniste. La basse, très présente, assoit la mélodie mais ne comble malheureusement pas les carences en rythme, laissant un trou énorme dans les compositions.

C’est ensuite aux Flamands de Quantum Fantay. Leur set, particulièrement haut en couleur aura l’avantage de ravir les fans d’Ozric Tentacles et autres Hawkwind. En effet, le quatuor belge délivre un space-rock instrumental des plus hauts perchés. Malgré une musique pouvant paraître parfois répétitive, Quantum Fantay arrive à décoller grâce à une énergie et une bonne humeur transmise au public, par les claviers envoûtants de Pete Mush, les solos de guitare de Dario Frodo où le groove de basse de Jaro. Là où les Belges innovent par rapport à leurs homologues britanniques, c’est dans l’apport d’une touche plus metal à certains morceaux, interrompant le déluge psychédélique de quelques riffs metal-prog bien sentis. Malgré un jeu de scène un peu limité (outre une superbe danse en canard du guitariste), le quatuor fait preuve de beaucoup d’aisance face à une foule grandissante. Les morceaux, appuyés par une section rythmique très présente, se permettent parfois de varier dans les thèmes et de faire quelques incartades assez remarquables, tout en gardant un fond chargé en hallucinogènes. Notons par exemple, un morceau de reggae se transformant en déluge psychédélique, ou encore un mélange de space-rock et de musique se voulant plus « celtique ». Globalement les Belges gagnent le public par leur bonne humeur et un set, certes un peu monotone, mais particulièrement efficace.

Enfin, Haken, fort de son second album Visions et très attendu des festivaliers, constitue la tête d’affiche du premier jour du festival. Les organisateurs ont eu le nez creux : programmer un groupe de metal progressif reconnu en Europe mais n’ayant jamais foulé le sol français. Généreux à souhait, le show constitua le pic sonore du festival. Après une introduction tonitruante, Ross Jennings (chant) entre sur scène sous une explosion d’applaudissements et instaure une complicité instantanée avec le public. L’intégralité de Visions est interprétée avec énergie. Le groupe arrive à reproduire le côté épique et transformer son concept album en concert symphonique. On regrette cependant certains parti pris dans le mixage comme celui de sur-mixer les basses au point de rendre indiscernables les arrangements savants de Diego Tejeda aux claviers. Ces quelques petits soucis techniques n’empêchent pas l’alchimie de prendre. La section rythmique enchaîne des riffs techniques et complexes en prenant un plaisir aussi évident que communicatif, relayé par un humour qui fait mouche : le thème vidéo-ludique de Mario Bros apparaît au milieu d’une composition. Le concert se termine sur deux reprises du premier album (Aquarius) qui, à côté du monolithe symphonique précédent, ressemblent à des patchworks efficaces mais improbables. Au final ce concert était bel et bien l’un des points culminant du festival.

La seconde journée s’ouvre, tout aussi chaude, sur le retour de Pascal Gutman et de son stick Chapman, en solo cette fois-ci. Le concert s’oriente vers une alternance de morceaux extraits de ses deux albums et d’apartés pédagogiques sur l’instrument. Après tout, Crescendo est un festival gratuit et une partie du public, non-experte, ne connait pas l’instrument. Elle profite ainsi de quelques explications de la part d’un expert. Gutman démarre en reprenant certains thèmes de l’an passé, mais cette fois-ci sans l’aide d’un batteur. L’effet s’en ressent malheureusement rapidement. Si les premiers morceaux permettent d’installer l’ambiance et de démarrer le concert du second jour, il faut avouer que rapidement la mollesse gagne l’audience, qu’il s’agisse de la musique ou de la chaleur insoutenable. Si Gutman fait profiter l’audience d’une bonne humeur et d’un sens de l’humour des plus bienvenus, les explications sur l’histoire de son instrument créent des trous dans la setlist, laissant des vides. L’apparition d’une invitée au stick alto ne suffit malheureusement pas à capter l’attention du public dissipé et ce, même sur des reprises audacieuses de Genesis, Bach ou encore de Greensleeves. Au départ de la première invitée, Gutman entame une section plus rythmée permettant de réveiller le public. Ce second démarrage sera poursuivi par l’arrivée d’autres invités à la batterie et au clavier mettant un énorme coup de boost au concert sur la fin. Malgré quelques imprécisions, la musique de Gutman avait tout pour charmer le public s’il n’avait malheureusement pas été assommé par la chaleur : mélodique à souhait et bourrée d’harmonies intéressantes. Gutman sait sans équivoque se servir de son instrument et de ses dix doigts, mélangeant avec brio les « pistes » musicales. Dommage que les conditions n’aient pas permis une écoute en de meilleures conditions.

Une fois Gutman parti, c’est au tour de Camembert de prendre place sur scène pour servir le concert le plus jazzy du festival, le premier disposant d’une harpe en quatorze ans de festival. Le clacosmique nous est introduit par une narration de Pierre, au cours de laquelle le thème de l’album Shnörgl Attahk est expliqué. La musique, particulièrement chargée, injecte au public une dose de bonne humeur, appuyé par une atmosphère un peu moins chaude, alors que le soleil est sur le déclin. La présence des rythmes saccadés et des loufoqueries inspire sans aucun doute aux connaisseurs quelques mesures bien senties de Frank Zappa. Mais, le véritable plus de Camembert réside dans sa capacité à rajouter quelques touches contemporaines, qu’il s’agisse de la « musique contemporaine » (Steve Reich en tête, sur le xy-braphone), ou de metal/funk par moments. Les thèmes varient beaucoup, parfois trop vite pour le public néophyte, mais il faut avouer que la bonne humeur et le haut niveau des compositions enchante la foule, d’autant plus lorsque les thématiques sont expliquées au public, qu’il s’agisse d’un morceau sur la reproduction des lapins, ou sur un « éléphant cybernétique et alcoolique écrasant le marché de Noël de Strasbourg » (rien que ça). Une bonne partie de la setlist provient de morceaux non encore enregistrés, donnant une excellente raison au public de se ruer vers le stand pour investir. Malgré une excellente musique, le mixage des différents instruments (probablement le plus gros casse tête du festival) défavorise la harpe et la guitare. La première est légèrement sous-mixée tout le concert, la seconde est trop forte dès la présence de distorsion. De même, la précision de certaines sections pèche un peu par moments, fait excusé par l’arrivée toute récente de Valentin Metz à la guitare et le remplacement de Philémon Walter à la batterie par Jacopo Costa, percussionniste de Yugen.

La journée se termine par l’arrivée des Québecois de Karcius sur scène. Bien que la transition avec Camembert soit des plus difficiles, les Canadiens s’imposent au public par une maîtrise de leur son particulièrement hallucinante. Pour la présentation de leur nouvel album The First Day, le premier chanté, le groupe fait mouche grâce aux qualités vocales de Sylvain Auclair, occupant accessoirement le poste de bassiste. Le quatuor présente un mélange de nouveaux et d’anciens morceaux permettant de satisfaire les fans de la première heure, les neufs et ceux qui ne connaissent pas encore. Si la musique est un peu plus classique que ce que l’on a pu entendre jusqu’ici, la précision et la qualité des compositions du groupe conquiert rapidement. Si les nouvelles compositions font penser à un Pink Floyd croisé avec Pain of Salvation (les vieux), les anciennes ravissent les fans de musique plus technique, alternant signatures rythmiques, solos et breaks en tous genres. Le son est à ce moment du spectacle quasiment à la perfection. Très équilibré, les quatre instruments ressortent très bien, ayant chacun leur place, permettant de mettre en valeur chacun des musiciens. Le chant d’Auclair, ressemblant étrangement à celui d’Anadale de Jolly, donne une touche plus grave au registre, plaçant Karcius sur un créneau assez singulier. Assumant leurs influences jusqu’au bout, les Québecois se font plaisir en lançant un « Dogs » on ne peut plus efficace lors du rappel. Karcius présente ainsi, pour sa première édition en France (ayant déjà été invité pour l’édition en Guyane) comble les attentes par une musique, certes parfois un peu canonique, mais terriblement efficace et bien jouée.

Le dernier jour, nombreux étaient les festivaliers qui attendaient le retour du chevalier des claviers du rock progressif français des années soixante-dix : Cyrille Verdeaux, leader du groupe Clearlight. En effet, c’est les larmes aux yeux que les fans évoquent les cinq premiers albums mythiques de la formation, aux pochettes délirantes et au contenu prog-symphonique criblé d’incursions d’acides Gongesques. Pour des raisons humaines et de budget, Verdeaux, habitant au Brésil, venait seul a Crescendo jouer sur un piano acoustique et s’accompagnait d’un guitariste/clavieriste et ami de trente ans (Chris Kovax) pour jouer sur des bandes préenregistrées. Si les parties de piano, l’engagement et la gentillesse du maître lui même ont su convaincre, la prestation du guitariste fut moins glorieuse. En roue libre (improvisation totale sur du rock prog symphonique, il faut quand même le faire) et en manque de reconnaissance, Chris Kovax cherche par tous les moyens à se mettre en valeur et prend ouvertement le spectateur et les organisateurs du festival pour des imbéciles. Heureusement, le respect et l’attention du public vont naturellement à Verdeaux qui termine sa prestation sous des applaudissement bien mérités. On souhaite le revoir jouer en groupe bientôt.

Vint alors le tour des très sympathiques Karfagen, mené par le très prolifique Anthony Kalugin (Hoggwash, Sunchild). La prestation oscillant entre des frasques de claviers seventies et des sucreries pop eighties fut un vrai succès auprès des spectateurs. Hyper professionnelle , la formation enchaîne les titres avec une facilité, une maîtrise et une bonne humeur virale. L’utilisation d’un accordéon apporte un plus notable à la prestation. Kalugin se délecte de solos de clavier, chante, frappe des mains… Au chant, Victoria Osmachko, joue de percussions à mains et s’investit physiquement avec un sourire sans faille. Les compositions présentées sont volontairement accessibles, sans trop grande recherche musicale. En ciblant un public large, le groupe fait mouche car sa prestation le remplit d’émotions sincères.Un concert impeccable à tout point de vue. Après, libre à l’auditeur de ne pas se reconnaître dans les morceaux.

La soirée se conclut sur le show d’Anglagärd, dont l’unique concert dans l’hexagone avait eu lieu le 23 Août 2003 au festival Crescendo. Fraîchement reformé et ayant sorti un excellent troisième album, intitulé Viljans Oga, le quintet s’est montré sous son meilleur jour. Au zénith de sa maîtrise technique, le groupe a joué l’intégralité de sa dernière fournée de compositions. L’exécution sans fautes a permis de mettre en œuvre des contrastes dynamiques que l’on ne croyait possibles que dans la musique classique ou dans les premiers albums de King Crimson. Lorsque le niveau sonore descend en dessous des limites envisageables dans un concert rock, les montées thématiques flamboyantes et torturées prennent un essor inédit. Mattias Olson, à la batterie, se pose en digne successeur de Bill Bruford et développe des parties rythmiques mutantes. Proposant un discours de fûts passionnant entre énergie et mathématiques, il est le pilier du concert. Johan Brand à la basse se montre redoutable d’inventivité et permet au public de réaliser la complexité et la recherche de ses lignes mélodiques. Celles ci sont si éloignées des stéréotypes du genre qu’elles apparaissent néologiques. Enfin le trio guitare (Jonas Engdegärd) flûte/saxophone (Anna Holmgren) et claviers (David Lundberg) déploie des trésors de thèmes et d’arrangements, flirtant toujours avec la frontière tenue qui sépare la symphonie savante du vingtième siècle du rock. Un très grand moment de musique progressive et de loin, le must, du festival.

C’est donc après trois magnifiques journées de musiques progressives que s’arrête cette édition du Crescendo. Quelle leçon en tirer ? Qu’il s’agit d’un festival français promouvant la musique progressive de manière entièrement gratuite (à l’exception près de quelques consommations bienvenues sous un ciel de plomb). Qu’il s’agit d’une initiative permettant à des néophytes de découvrir la musique progressive en vacances dans un cadre merveilleux aussi bien pour les musiciens que pour les spectateurs. Dans le même temps, les organisateurs ont su présenter à un public non-expert des groupes français mais aussi d’énormes pointures du domaine. Cette initative, ce festival, ces trois jours annuels dédiés à la musique progressive ne peuvent être que salués. Prions donc pour que Crescendo vive encore de nombreuses années sous le soleil de Poitou-Charentes !

Article co-rédigé avec Pierre Wawrzyniak.

Du 17 au 19 août s’est tenu le quatorzième festival Crescendo à Saint-Palais sur Mer. Une nouvelle fois, Sébastien Monteaud et son équipe ont concocté pour un public divers neuf magnifiques concerts dans la plus pure tradition progressive. Retour sur trois jours de canicule agrémentés de musique à la fois fouillée, belle et profonde.

Ce sont les frères Payssan qui ouvrent le bal de ce quatorzième festival Crescendo. Après un très court laïus de la part de l’organisation, les jumeaux de Minimum Vital (claviers, guitare) accompagnés d’Eric Rebeyrol à la basse prennent place sur scène, face à la mer sous une chaleur caniculaire. Tout commence sur quelques notes d’orgue, qui sont bientôt reprises par une guitare acoustique à deux manches. La musique des jumeaux est pour le moins champêtre et se veut inspirée d’épisodes de l’histoire, de personnages, (Saladin, par exemple), ou du moins de danses ancestrales comme nous le conte le timide Thierry Payssan. Si les thèmes sont particulièrement efficaces, les spectateurs se lassent rapidement des sonorités plus que vintage des claviers. Heureusement, l’ajout de quelques touches orientalisantes (un saz, une mandoline et une darbouka) contribuera à varier cette musique définitivement « médiévale ». Cependant, malgré la présence de la darbouka et de quelques percussions assurées par les claviers, Minimum Vital manque très clairement d’une section rythmique appuyée, avec un véritable batteur/percussionniste. La basse, très présente, assoit la mélodie mais ne comble malheureusement pas les carences en rythme, laissant un trou énorme dans les compositions.

C’est ensuite aux Flamands de Quantum Fantay. Leur set, particulièrement haut en couleur aura l’avantage de ravir les fans d’Ozric Tentacles et autres Hawkwind. En effet, le quatuor belge délivre un space-rock instrumental des plus hauts perchés. Malgré une musique pouvant paraître parfois répétitive, Quantum Fantay arrive à décoller grâce à une énergie et une bonne humeur transmise au public, par les claviers envoûtants de Pete Mush, les solos de guitare de Dario Frodo où le groove de basse de Jaro. Là où les Belges innovent par rapport à leurs homologues britanniques, c’est dans l’apport d’une touche plus metal à certains morceaux, interrompant le déluge psychédélique de quelques riffs metal-prog bien sentis. Malgré un jeu de scène un peu limité (outre une superbe danse en canard du guitariste), le quatuor fait preuve de beaucoup d’aisance face à une foule grandissante. Les morceaux, appuyés par une section rythmique très présente, se permettent parfois de varier dans les thèmes et de faire quelques incartades assez remarquables, tout en gardant un fond chargé en hallucinogènes. Notons par exemple, un morceau de reggae se transformant en déluge psychédélique, ou encore un mélange de space-rock et de musique se voulant plus « celtique ». Globalement les Belges gagnent le public par leur bonne humeur et un set, certes un peu monotone, mais particulièrement efficace.

Enfin, Haken, fort de son second album Visions et très attendu des festivaliers, constitue la tête d’affiche du premier jour du festival. Les organisateurs ont eu le nez creux : programmer un groupe de metal progressif reconnu en Europe mais n’ayant jamais foulé le sol français. Généreux à souhait, le show constitua le pic sonore du festival. Après une introduction tonitruante, Ross Jennings (chant) entre sur scène sous une explosion d’applaudissements et instaure une complicité instantanée avec le public. L’intégralité de Visions est interprétée avec énergie. Le groupe arrive à reproduire le côté épique et transformer son concept album en concert symphonique. On regrette cependant certains parti pris dans le mixage comme celui de sur-mixer les basses au point de rendre indiscernables les arrangements savants de Diego Tejeda aux claviers. Ces quelques petits soucis techniques n’empêchent pas l’alchimie de prendre. La section rythmique enchaîne des riffs techniques et complexes en prenant un plaisir aussi évident que communicatif, relayé par un humour qui fait mouche : le thème vidéo-ludique de Mario Bros apparaît au milieu d’une composition. Le concert se termine sur deux reprises du premier album (Aquarius) qui, à côté du monolithe symphonique précédent, ressemblent à des patchworks efficaces mais improbables. Au final ce concert était bel et bien l’un des points culminant du festival.

La seconde journée s’ouvre, tout aussi chaude, sur le retour de Pascal Gutman et de son stick Chapman, en solo cette fois-ci. Le concert s’oriente vers une alternance de morceaux extraits de ses deux albums et d’apartés pédagogiques sur l’instrument. Après tout, Crescendo est un festival gratuit et une partie du public, non-experte, ne connait pas l’instrument. Elle profite ainsi de quelques explications de la part d’un expert. Gutman démarre en reprenant certains thèmes de l’an passé, mais cette fois-ci sans l’aide d’un batteur. L’effet s’en ressent malheureusement rapidement. Si les premiers morceaux permettent d’installer l’ambiance et de démarrer le concert du second jour, il faut avouer que rapidement la mollesse gagne l’audience, qu’il s’agisse de la musique ou de la chaleur insoutenable. Si Gutman fait profiter l’audience d’une bonne humeur et d’un sens de l’humour des plus bienvenus, les explications sur l’histoire de son instrument créent des trous dans la setlist, laissant des vides. L’apparition d’une invitée au stick alto ne suffit malheureusement pas à capter l’attention du public dissipé et ce, même sur des reprises audacieuses de Genesis, Bach ou encore de Greensleeves. Au départ de la première invitée, Gutman entame une section plus rythmée permettant de réveiller le public. Ce second démarrage sera poursuivi par l’arrivée d’autres invités à la batterie et au clavier mettant un énorme coup de boost au concert sur la fin. Malgré quelques imprécisions, la musique de Gutman avait tout pour charmer le public s’il n’avait malheureusement pas été assommé par la chaleur : mélodique à souhait et bourrée d’harmonies intéressantes. Gutman sait sans équivoque se servir de son instrument et de ses dix doigts, mélangeant avec brio les « pistes » musicales. Dommage que les conditions n’aient pas permis une écoute en de meilleures conditions.

Une fois Gutman parti, c’est au tour de Camembert de prendre place sur scène pour servir le concert le plus jazzy du festival, le premier disposant d’une harpe en quatorze ans de festival. Le clacosmique nous est introduit par une narration de Pierre, au cours de laquelle le thème de l’album Shnörgl Attahk est expliqué. La musique, particulièrement chargée, injecte au public une dose de bonne humeur, appuyé par une atmosphère un peu moins chaude, alors que le soleil est sur le déclin. La présence des rythmes saccadés et des loufoqueries inspire sans aucun doute aux connaisseurs quelques mesures bien senties de Frank Zappa. Mais, le véritable plus de Camembert réside dans sa capacité à rajouter quelques touches contemporaines, qu’il s’agisse de la « musique contemporaine » (Steve Reich en tête, sur le xy-braphone), ou de metal/funk par moments. Les thèmes varient beaucoup, parfois trop vite pour le public néophyte, mais il faut avouer que la bonne humeur et le haut niveau des compositions enchante la foule, d’autant plus lorsque les thématiques sont expliquées au public, qu’il s’agisse d’un morceau sur la reproduction des lapins, ou sur un « éléphant cybernétique et alcoolique écrasant le marché de Noël de Strasbourg » (rien que ça). Une bonne partie de la setlist provient de morceaux non encore enregistrés, donnant une excellente raison au public de se ruer vers le stand pour investir. Malgré une excellente musique, le mixage des différents instruments (probablement le plus gros casse tête du festival) défavorise la harpe et la guitare. La première est légèrement sous-mixée tout le concert, la seconde est trop forte dès la présence de distorsion. De même, la précision de certaines sections pèche un peu par moments, fait excusé par l’arrivée toute récente de Valentin Metz à la guitare et le remplacement de Philémon Walter à la batterie par Jacopo Costa, percussionniste de Yugen.

La journée se termine par l’arrivée des Québecois de Karcius sur scène. Bien que la transition avec Camembert soit des plus difficiles, les Canadiens s’imposent au public par une maîtrise de leur son particulièrement hallucinante. Pour la présentation de leur nouvel album The First Day, le premier chanté, le groupe fait mouche grâce aux qualités vocales de Sylvain Auclair, occupant accessoirement le poste de bassiste. Le quatuor présente un mélange de nouveaux et d’anciens morceaux permettant de satisfaire les fans de la première heure, les neufs et ceux qui ne connaissent pas encore. Si la musique est un peu plus classique que ce que l’on a pu entendre jusqu’ici, la précision et la qualité des compositions du groupe conquiert rapidement. Si les nouvelles compositions font penser à un Pink Floyd croisé avec Pain of Salvation (les vieux), les anciennes ravissent les fans de musique plus technique, alternant signatures rythmiques, solos et breaks en tous genres. Le son est à ce moment du spectacle quasiment à la perfection. Très équilibré, les quatre instruments ressortent très bien, ayant chacun leur place, permettant de mettre en valeur chacun des musiciens. Le chant d’Auclair, ressemblant étrangement à celui d’Anadale de Jolly, donne une touche plus grave au registre, plaçant Karcius sur un créneau assez singulier. Assumant leurs influences jusqu’au bout, les Québecois se font plaisir en lançant un « Dogs » on ne peut plus efficace lors du rappel. Karcius présente ainsi, pour sa première édition en France (ayant déjà été invité pour l’édition en Guyane) comble les attentes par une musique, certes parfois un peu canonique, mais terriblement efficace et bien jouée.

Le dernier jour, nombreux étaient les festivaliers qui attendaient le retour du chevalier des claviers du rock progressif français des années soixante-dix : Cyrille Verdeaux, leader du groupe Clearlight. En effet, c’est les larmes aux yeux que les fans évoquent les cinq premiers albums mythiques de la formation, aux pochettes délirantes et au contenu prog-symphonique criblé d’incursions d’acides Gongesques. Pour des raisons humaines et de budget, Verdeaux, habitant au Brésil, venait seul a Crescendo jouer sur un piano acoustique et s’accompagnait d’un guitariste/clavieriste et ami de trente ans (Chris Kovax) pour jouer sur des bandes préenregistrées. Si les parties de piano, l’engagement et la gentillesse du maître lui même ont su convaincre, la prestation du guitariste fut moins glorieuse. En roue libre (improvisation totale sur du rock prog symphonique, il faut quand même le faire) et en manque de reconnaissance, Chris Kovax cherche par tous les moyens à se mettre en valeur et prend ouvertement le spectateur et les organisateurs du festival pour des imbéciles. Heureusement, le respect et l’attention du public vont naturellement à Verdeaux qui termine sa prestation sous des applaudissement bien mérités. On souhaite le revoir jouer en groupe bientôt.

Vint alors le tour des très sympathiques Karfagen, mené par le très prolifique Anthony Kalugin (Hoggwash, Sunchild). La prestation oscillant entre des frasques de claviers seventies et des sucreries pop eighties fut un vrai succès auprès des spectateurs. Hyper professionnelle , la formation enchaîne les titres avec une facilité, une maîtrise et une bonne humeur virale. L’utilisation d’un accordéon apporte un plus notable à la prestation. Kalugin se délecte de solos de clavier, chante, frappe des mains… Au chant, Victoria Osmachko, joue de percussions à mains et s’investit physiquement avec un sourire sans faille. Les compositions présentées sont volontairement accessibles, sans trop grande recherche musicale. En ciblant un public large, le groupe fait mouche car sa prestation le remplit d’émotions sincères.Un concert impeccable à tout point de vue. Après, libre à l’auditeur de ne pas se reconnaître dans les morceaux.

La soirée se conclut sur le show d’Anglagärd, dont l’unique concert dans l’hexagone avait eu lieu le 23 Août 2003 au festival Crescendo. Fraîchement reformé et ayant sorti un excellent troisième album, intitulé Viljans Oga, le quintet s’est montré sous son meilleur jour. Au zénith de sa maîtrise technique, le groupe a joué l’intégralité de sa dernière fournée de compositions. L’exécution sans fautes a permis de mettre en œuvre des contrastes dynamiques que l’on ne croyait possibles que dans la musique classique ou dans les premiers albums de King Crimson. Lorsque le niveau sonore descend en dessous des limites envisageables dans un concert rock, les montées thématiques flamboyantes et torturées prennent un essor inédit. Mattias Olson, à la batterie, se pose en digne successeur de Bill Bruford et développe des parties rythmiques mutantes. Proposant un discours de fûts passionnant entre énergie et mathématiques, il est le pilier du concert. Johan Brand à la basse se montre redoutable d’inventivité et permet au public de réaliser la complexité et la recherche de ses lignes mélodiques. Celles ci sont si éloignées des stéréotypes du genre qu’elles apparaissent néologiques. Enfin le trio guitare (Jonas Engdegärd) flûte/saxophone (Anna Holmgren) et claviers (David Lundberg) déploie des trésors de thèmes et d’arrangements, flirtant toujours avec la frontière tenue qui sépare la symphonie savante du vingtième siècle du rock. Un très grand moment de musique progressive et de loin, le must, du festival.

C’est donc après trois magnifiques journées de musiques progressives que s’arrête cette édition du Crescendo. Quelle leçon en tirer ? Qu’il s’agit d’un festival français promouvant la musique progressive de manière entièrement gratuite (à l’exception près de quelques consommations bienvenues sous un ciel de plomb). Qu’il s’agit d’une initiative permettant à des néophytes de découvrir la musique progressive en vacances dans un cadre merveilleux aussi bien pour les musiciens que pour les spectateurs. Dans le même temps, les organisateurs ont su présenter à un public non-expert des groupes français mais aussi d’énormes pointures du domaine. Cette initative, ce festival, ces trois jours annuels dédiés à la musique progressive ne peuvent être que salués. Prions donc pour que Crescendo vive encore de nombreuses années sous le soleil de Poitou-Charentes !