Kiko Loureiro – La voix de l’innocence

Loin de la tourmente subie par Angra il y a quelques mois après le départ de son chanteur, Kiko Loureiro poursuit son éclectique carrière solo avec un Sounds of innocence plus personnel que jamais. Désormais européen d’adoption, le guitariste poursuit sur la voie de l’exploration instrumentale et nous confie quelques-unes de ses réflexions.

Chromatique : Tout d’abord, peux-tu nous parler un peu du titre de ton nouvel album ?
Kiko Loureiro : Il est question de la recherche de la musique intérieure, qui repose en moi depuis toujours, de mon enfance à aujourd’hui. En reconnaissant mes points forts tout en comprenant mes limites. Ainsi, les chansons naissent d’une idée très naïve, presque enfantine, pour conserver le plaisir du jeu sans être terrorisé par l’idée de toujours devoir créer le meilleur morceau de ma carrière. C’est le concept de l’humilité, rester naïf, pour laisser sa créativité s’exprimer pleinement. Bien sûr, j’ai également été influencé par la naissance de mon enfant alors que je composais, une excellente source d’inspiration.

Dans ton travail en solo, tu mélanges rarement les styles : soit tu restes dans le genre metal (No gravity, Fullblast), soit tu joues quelque chose de tout à fait différent (Universo Inverso, Neural Code). Avec cet album, on peut avoir l’impression que tes différentes facettes n’en font plus qu’une, qu’en penses-tu ?
Oui, je suis d’accord, mais il est plus heavy que Universo Inverso. Il est plus proche de No Gravity tout en apportant plus d’espace, de respiration et d’expérimentation. Il y a certains éléments de fusion et le jeu exceptionnel de Virgil (Ndlr : Donati) a également aidé à atteindre ce niveau de complexité sur certains morceaux. Cela est donc également dû au groupe que je choisi. Universo Inverso a été enregistré par des musiciens totalement étrangers au monde du rock. Sur les autres, il y a toujours eu des artistes affiliés rock, la tendance était donc bien plus heavy.

Quelles difficultés majeures rencontres-tu lorsque tu t’attaques à un nouveau genre, et quels sont ceux que tu aimerais encore explorer ?
Aborder un nouveau genre est toujours une bonne chose, car cela te transporte dans un tout autre environnement et modifie naturellement ta musicalité. J’adorerais par exemple faire plus de musique acoustique.

Peut-on un jour espérer entendre un nouvel album de Neural Code ?
On veut le faire. Le problème provient du fait que nous sommes tous très occupés et que je suis en Europe la majeure partie du temps. Ce sont des musiciens de très haut niveau, particulièrement demandés au Brésil.

Tu vis désormais en Finlande. Au delà des températures parfaitement indécentes pour un Brésilien, quel impact cette nouvelle vie d’européen a-t-elle sur toi, en tant que personne et en tant que musicien ?
Je pense que cela fait resurgir mon caractère brésilien. Je suis tout à fait conscient que les influences brésiliennes de mon jeu sont celles qui me permettent de me démarquer parmi les musiciens de la scène rock, et je prends cela de façon positive. Les idées musicales influencées par mes origines viennent naturellement à moi, mais j’ai désormais tendance à les faire ressortir de manière plus prononcée, pour trouver la manière idéale de les mélanger au rock et à la fusion.

Matias Kupiainen, la nouvelle recrue de Stratovarius, a travaillé sur ton nouvel album. Vous êtes-vous trouvé certains points communs ?
Matias était l’ingénieur du son dédié aux guitares et il m’a énormément aidé lors de l’enregistrement de ces parties. C’est un excellent guitariste, et c’était une bonne chose de l’avoir à mes côtés, il m’a aidé à repousser certaines de mes limites. C’était vraiment simple de discuter d’idées musicales du fait qu’il connaît toutes les possibilités et les noms de chaque technique guitaristique.

Y a-t-il eu un quelconque choc culturel entre vous deux ? Kupiainen n’est pas réellement connu pour ses influences latines…
J’ai fait une démo très complète avant d’entrer en studio, les morceaux étaient donc déjà bien définis. Matias vient du monde du metal, mais il s’y connaît vraiment en musique, il donc a compris mon point de vue. J’ai déjà eu l’occasion d’enregistrer avec des « non-brésiliens » tout au long de ma carrière (Charlie Bauerfeind, Dennis Ward, Chris Tsangarides), je sais donc que certaines de mes propositions peuvent leur paraître trop décalées mais je parviens toujours à les convaincre que ça sonne bien. Les chansons de cet album reflètent parfaitement ce que je recherche en terme de mix entre le rock et les éléments brésiliens. Je n’ai absolument rien composé ou créé en compagnie d’Européens, mais j’imagine que cela pourrait très bien fonctionner également…

Qu’est-ce qui a pu rendre possible cette collaboration avec Virgil Donati ? Aura-t-on un jour la chance de vous voir ensemble sur scène ?
J’ai rencontré Virgil il y a quelques années, et j’ai toujours voulu faire quelque chose avec lui. C’est un batteur vraiment incroyable. Même avec les arrangements parfaitement définis des démos, il a réussi à ajouter plein de choses et à imposer son identité tout au long de l’album. Évidemment je veux jouer avec lui dès que possible. En ce moment il accompagne Allan Holdsworth, donc cela risque d’être compliqué pour cette année.

D’où t’est venue l’inspiration pour la chanson « A perfect rhyme », morceau atypique de ton répertoire ? Il mélange l’intime et le cinématographique, est-ce un style symphonique que tu aimerais approfondir dans le futur ?
L’enregistrement de l’album était quasiment terminé quand j’ai décidé d’y ajouter une chanson pour mon enfant, quelque chose de très intime entre la guitare et la mélodie du piano (ma femme est pianiste). Je me suis assis au piano et la chanson est venue en une nuit. En enregistrant la démo j’ai décidé d’ajouter quelques arrangements de cordes pour donner un aspect musique de film à l’ensemble. J’adorerais faire plus de pièces dans ce style, c’est certain.

L’industrie musicale a fortement changé ces dernières années et un musicien peut difficilement espérer vivre de ses ventes de disques. Quel est ton point de vue sur le sujet ? Comment as-tu personnellement géré cette transition ?
Il n’y a pas d’argent à faire en vendant des albums, c’est un fait. En concert il est possible d’en vendre quelques uns pour amortir certaines dépenses, mais ça reste minime… A l’exception des gros noms peut- être, les ventes de disques n’ont jamais été rémunératrices. Il y a toujours eu trop d’intermédiaires dans le processus, sans compter qu’au final tu dois tout partager entre les membres du groupe. Et ça, c’est quand la maison de disques ne disparaît pas purement et simplement avec tout l’argent… Auparavant l’argent revenait aux maisons de disque, désormais c’est à Apple, aux opérateurs téléphoniques, aux sites de streaming… Chaque artiste trouve sa propre façon de vivre de l’art, il y en a de nombreuses, et cela évolue chaque jour. C’est à chaque fois un nouveau challenge. En ce qui me concerne, et vis à vis des attentes que je peux avoir, cela se passe bien pour moi.

Si tu devais appeler une seule personne aujourd’hui, quel musicien vivant inviterais-tu sur ton prochain album et pourquoi ?
Hermeto Pascoal, il est la musique personnifiée. J’adorerais pouvoir d’une manière ou d’une autre absorber sa musicalité.

Parlons un peu d’Angra. Les différents aspects de l’affaire ont été assez difficiles à suivre pour les fans français mais le résultat est clair : Edu ne fait plus partie du groupe. Comment envisages-tu le futur et quand pourrons-nous espérer un retour d’Angra ?
On réfléchit à ça en ce moment. Edu a eu des problèmes de voix depuis plusieurs années et il a décidé de partir après que l’on a eu un certain nombre de discussions à ce sujet en interne. On va voir ce qu’il adviendra. Pour le moment je me focalise sur la composition de nouveaux morceaux. Je crois sincèrement qu’il faut démarrer avec de bonnes chansons, sans cela nous n’irons nulle part.

Il semble qu’Aqua n’ait pas été très bien accueilli par le public, comprends-tu ces réactions ?
Je pense que les chansons sont bonnes. Mais l’interprétation et l’enregistrement ne l’étaient pas. On faisait déjà face à certains problèmes relationnels à l’époque.

Penses-tu que le nouvel Angra pourra bénéficier de vos diverses expériences solo et pourrait nous surprendre, ou crois-tu que le groupe doive conserver une identité bien définie ?
Je pense qu’il n’y a pas de règles. Cette situation d’incertitude peut être positive et mettre à jour d’autres envies musicales.

Quel type de voix envisagez-vous pour le prochain line-up ? On entend de nombreuses versions à ce sujet, incluant Rafael Bittencourt au micro ou le retour d’Andre Matos. Considérez-vous l’une de ces possibilités ?
Je suis vraiment focalisé sur la composition et la tournure des chansons pour le moment.

Au-delà de la promotion de Sounds of Innocence, quels sont tes prochains projets ?
J’ai une tournée en Amérique latine en ce moment, ainsi que des master classes au Brésil. Une quinzaine de dates. Après je retourne à la composition pour Angra.

Un dernier mot pour les lecteurs de Chromatique ?
Je salue vraiment tous les fans français que j’apprécie énormément. Je dois dire qu’ils sont en général les plus intéressants. Ils semblent très concernés par les arts en général et ils savent exactement ce qu’ils veulent.