Richard Barbieri & Steve Hogarth – Histoire d’une collaboration réussie

Deux pointures, deux anciens de la scène progressive. L’un, chanteur de Marillion depuis le départ de Fish en 1988, l’autre claviériste et illusioniste pour Porcupine Tree depuis 1993. La rencontre entre Steve Hogarth et Richard Barbieri aura certainement créé l’émotion, l’anxiété, voire le désarroi pour certains. Les deux artistes étant en promotion à l’occasion de la sortie de leur album collaboratif Not the Weapon but the Hand, rencontre avec deux sages de la musique progressive actuelle !

Chromatique.net : Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs comment vous vous êtes rencontrés et comment vous en êtes arrivé à travailler ensemble ?
Richard Barbieri :
C’était il y a un petit moment maintenant. Steve avait contacté Steven Wilson pour produire son album solo [ndlr : Ice Cream Genius]. Je suis venu assister au mixage car Steve m’avait demandé d’y ajouter un petit quelque chose. C’est comme ça qu’on s’est rencontrés et qu’on a travaillé pour la première fois ensemble.
Steve Hogarth : Nous avons travaillé là-dessus, puis on a monté un groupe et fait quelques tournées pour l’album. C’est pendant les voyages que nous avons appris à mieux nous connaître. J’ai commencé à venir aux concerts de Porcupine Tree à Londres et à Paris. Finalement j’ai reçu un mail de Richard dans lequel il me demandait si j’étais intéressé par une collaboration. J’ai répondu par l’affirmative mais ne savais pas si je pouvais, car je manquais de temps. Richard a commencé à m’envoyer des morceaux instrumentaux par mail que j’ai longuement écoutés jusqu’à trouver un peu de temps libre pour y enregistrer des voix. L’an dernier pendant l’enregistrement du nouveau Marillion, tout le groupe a pris un mois de vacances en août. Pendant que les autres partaient prendre du bon temps, je me suis enfermé dans mon grenier et me suis enregistré, chantant sur les morceaux de Richard.
Le processus est d’ailleurs très intéressant. J’ai reçu la musique quasiment terminée et y ai simplement ajouté ma voix par-dessus. Je lui ai renvoyé le tout par mail en lui demandant ce qu’il en pensait. Heureusement, il a aimé [rires]. L’étape suivante a été de se retrouver, car tout ce qu’on s’envoyait consistait en des mp3. Il fallait qu’on regroupe nos masters. Nous nous sommes donc rencontrés dans le studio de Marillion. Nous y avons enregistré toutes les parties supplémentaires, la contrebasse, la batterie, etc. Cela a été le seul moment où nous étions physiquement au même endroit. Le processus était donc complètement solo pour le reste, chacun de son côté.
Richard : Beaucoup de gens pensent que c’est une façon très froide de travailler, d’envoyer ses fichiers par mail sans se voir. Pourtant, je me suis senti très proche de Steve pendant toute l’écriture de l’album. Sur beaucoup de points, ça aurait pu très très mal se passer, mais pourtant tout s’est très bien déroulé !

Richard, as-tu ajouté des éléments à la musique après avoir reçu le chant de Steve ?
Richard : Pas vraiment. Les pistes sont plus ou moins les mêmes, les seules choses qui ont vraiment changé sont quelques effets que nous avons rajoutés après coup à la voix de Steve. Nous avons aussi recopié certaines parties pour créer des ambiances particulières. Mais rien de fondamentalement différent.

Peut-on espérer un jour vous voir tous les deux sur la même scène ? L’occasion d’interpréter quelques morceaux de Not the Weapon but the Hand
Richard : Tu peux toujours espérer mais… ça risque d’être très compliqué [rires]. Sans parler de l’investissement en temps, il faudrait trouver des musiciens pour jouer l’album qui est certes simple, mais pas simpliste. Il y a beaucoup de pistes, de détails. Je ne dis pas que c’est impossible, mais ça demandera beaucoup de travail et il faut trouver les bonnes personnes pour le faire.
Steve : Il nous faudrait aussi beaucoup de chanteurs. Il y a beaucoup de lignes de voix qui se superposent et l’effet désiré ne se produirait certainement pas sur scène avec un seul chanteur. L’autre problème, c’est que j’ai beaucoup de projets sans parler du temps que prend Marillion. Nous avons une tournée qui s’annonce aux Etats-Unis et en Europe, et je n’ai aucune idée du moment où nous pourrions nous retrouver pour en préparer une avec Richard.

Steve, comment as-tu pu concilier l’enregistrement des voix avec celles du nouveau Marillion ?
Steve : Comme je le disais juste avant, nous avions tous pris un mois de vacances pendant l’enregistrement du nouveau Marillion. J’en ai donc profité, pendant que les autres partaient avec leur famille, pour enregistrer le chant pour Richard. J’ai fait ça chez moi, dans mon studio sous mon toit. Je me disais que ce serait plus simple de faire ça à la maison, dans une ambiance plus… chaleureuse pour l’album. Après ça, Marillion est parti en tournée en novembre. Je me rappelle que nous étions en Allemagne pendant que Richard terminait la préparation des morceaux. C’était une année assez intense [rires] !

Vous êtes tous les deux des habitués de Steven Wilson et vous connaissez son amour pour le 5.1. N’avez-vous pas eu envie d’avoir un mix en surround pour Not the Weapon but the Hand ?
Richard : Nous en avons discuté tous les deux. Ce serait vraiment bien de faire un mix 5.1 parce que la musique s’y prête bien ainsi que le chant, particulièrement les lignes de voix de Steve. Tous ces petits détails pourraient très bien ressortir.

Parlons des paroles, l’album est-il un concept ? Ou chaque morceau est-il détaché des autres ?
Steve : Il n’y a pas vraiment de concept, il n’a pas été conçu comme ça. Cependant, étant donné l’état d’esprit dans lequel on est au moment où l’on écrit les paroles et la musique, de manière générale, les idées ont tendance à converger. Il y a une récurrence de thèmes autour de l’amour et de la peur. Les émotions humaines ont tendance à naître soit de l’amour soit de la peur. Une personne peut faire le choix d’aborder la vie par l’un ou l’autre de ces côtés. Ces deux forces sont prévalentes dans la nature et dans nos morceaux en l’occurence… A l’exception de « Red Kite ».

Les paroles sont-elles en rapport avec ta vie personnelle ?
Steve : Toujours ! Je n’ai jamais écrit un seul morceau qui ne soit pas en rapport avec ma vie !

Et de quoi parle « Red Kite » alors ?
Steve : Un « red kite » est un cerf-volant rouge évidemment [ndlr : traduction littérale], mais c’est aussi un oiseau de proie natif d’Angleterre. Avec le temps et la chasse il est devenu en voie d’extinction, quasi éteint même. Certains écologistes ont cependant réussi à préserver l’espèce. Maintenant ils pullulent partout dans la campagne anglaise [rires]. Quand je conduis depuis chez moi, dans la campagne londonienne, jusqu’au studio, je vois beaucoup de ces « red kites ». Quand j’ai entendu le morceau de Richard, c’est cette image qui m’est apparue. En fait j’ai appris aujourd’hui que le morceau était inspiré d’un paysage en Islande [rires]. Moi je m’imaginais quelque chose volant haut dans le ciel et j’ai pensé à ces oiseaux, féroces, survolant la voiture, se demandant ce qu’était cette espèce de boîte qui se déplace. Au final ces paroles m’inspirent la vision de notre propre vie d’humains vue par des yeux extérieurs.

Comment les membres de vos groupes respectifs ont-ils reçu votre musique ?
Richard : Personne ne l’a écoutée pour l’instant ! Steven a juste entendu le trailer sur le site et a beaucoup aimé, mais il n’a pas écouté de morceau entier.
Steve : J’ai fait écouter « Lifting the Lid » à Steve Rothery, il m’a dit avoir beaucoup aimé. Je me souviens lui avoir fait écouter « Crack ». Les autres ont dû entendre un ou deux morceaux par ci par là, et je ne me souviens pas avoir reçu de mauvaises critiques de leur part.

Au sujet de « Crack », ce morceau diffère beaucoup des autres. L’ambiance est assez proche du dubstep, qu’en penses-tu Richard ?
Richard : C’est amusant, ce n’est pas la première fois qu’on me parle de dubstep, mais j’aurais tendance à appeler ça du Drum ‘n Bass. Cela va trop vite pour être du Dub, la piste tourne à cent quatre-vingts battements par minute ! Dans tous les cas, j’adore mélanger les rythmes et les types de musique. Le Drum ‘n Bass, ce n’est pas comme le rock où les instruments de lead vont prendre le dessus. Là, la roue tourne, la musique va vite, le rythme ne s’arrête pas pour autant et aucun instrument n’a le temps de prendre le dessus. C’est ce que j’aime dans ce style.

En parlant d’ambiances, le dernier morceau est présent sur ton site depuis un sacré moment. Quand as-tu commencé à travailler sur ces morceaux ?
Richard : Ce dernier morceau est très particulier, je me rappelle très bien les circonstances de son écriture. Roland m’avait offert une pédale de loop. Je pouvais faire des boucles musicales avec ! J’y ai branché un petit synthétiseur en mono et ai commencé à jouer. La musique a commencé à se former, j’en ai fait une toute petite piste et l’ai mise sur mon site. Assez rapidement j’ai eu beaucoup de retours me demandant d’où elle provenait. Elle ne venait de nulle part, je venais de la composer ! Quand j’ai décidé de la mettre sur l’album, j’y ai rajouté la ligne la plus marquante, pour qu’elle se termine sur cette phrase « the world is a safer place, without your beautiful face » [« Le monde est un endroit plus sûr, sans ton beau visage »].

Vous avez une manière, aussi bien toi Richard que Steven Wilson dans Bass Communion, de créer le son d’une manière proche de l’art plastique, en le sculptant. Comment en es-tu arrivé à cette approche ?
Richard : Je n’ai jamais été un grand virtuose, ni un véritable « musicien ». Travailler la technique m’a toujours ennuyé et quand j’ai découvert les synthétiseurs et l’informatique je me suis rendu compte que je m’intéressais de moins en moins aux notes et de plus en plus aux contrôles, à ce que le son faisait. Lorsque je compose, j’entends les différentes combinaisons de manière abstraite. J’essaie de les reproduire dans mes logiciels, ou sur mes claviers. Bien sûr, j’utilise des sons et des accords, mais ce n’est pas la finalité de ce que je crée. Je préfère me focaliser sur le son brut.
Steve : C’est un peu comparable à la cuisine ! [rires]
Richard : Oui, de la cuisine d’avant-garde. Ce que je fais n’est pas dénué de musicalité bien entendu, mais ce qui m’intéresse, c’est de tester des nouveaux sons, de découvrir des possibilités et de les exploiter de la manière la plus musicale possible. Créer des textures, qui font penser à des images, comme des parfums, etc. Par exemple, sur le début de « Red Kite », il n’y a que du piano. Et puis je prends ces arpèges, et je rajoute des éléments sous forme de couches par-dessus pour ajouter petit à petit du détail.

Dernière chose, peut-on attendre de vous d’autres collaborations par la suite ?
Steve : Oh oui ! On va ouvrir un restaurant de cuisine d’avant-garde ! [rires]